Print Friendly, PDF & Email

L’implantation du culte musulman en France métropolitaine remonte au début du XXème siècle. Depuis lors, le nombre de mosquées s’est considérablement accru sans que, pour autant, le droit afférent à leur édification n’ait fait l’objet d’une clarification.

LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS

La première mosquée fut celle de Paris, inaugurée le 15 juillet 1926, conjointement par le sultan du Maroc Moulay Youssef et le président de la République Gaston Doumergue. Cette construction répondait à une demande contenue dans un mémoire remis au gouvernement en 1916 par Paul Bourdarie, membre du Comité consultatif des Affaires indigènes. Il s’agissait de manifester la reconnaissance de la France envers les musulmans des territoires relevant de son domaine colonial pour leur loyauté durant la Première Guerre mondiale. « Aux yeux de beaucoup de responsables, la France avait contracté une dette d’honneur et de reconnaissance à l’égard de l’Islam » (Alain Boyer, L’Institut musulman de la Mosquée de Paris, CHEAM, 1992, p. 20).

Ayant accepté ce projet, le gouvernement ne pouvait cependant pas en être l’acteur direct puisqu’il comportait un lieu de culte, ce qui contrevenait à la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État. Pour contourner l’obstacle, une loi votée en 1920, autorisa la construction, sur fonds publics, d’un Institut musulman placé sous la responsabilité d’une association relevant de la loi de 1901, en l’occurrence le Comité de l’Institut musulman à Paris dont l’objet comportait aussi explicitement l’édification d’une mosquée, le tout subventionné par l’État. « La vocation culturelle de l’Institut musulman a été volontairement mise en avant pour autoriser cette entorse aux règles de la laïcité » (Xavier Ternisien, La France des mosquées, Albin Michel, 2002, p. 40).

Quant à la gestion de cette « Maison de l’islam », elle fut confiée à la Société des Habous des lieux saints de l’islam, créée à Alger en 1917 pour défendre les droits religieux des musulmans du Maghreb et d’Afrique francophone. En 1982, avec l’aval des autorités françaises, la Mosquée de Paris est passée sous le contrôle de l’Algérie, qui en assure l’essentiel du budget (entretien des lieux, rétribution du recteur et des centaines d’imams qui dépendent de lui). « Depuis cette date, la mosquée n’a cessé d’être l’instrument le plus efficace de la mainmise du pouvoir algérien sur une partie de l’islam de France » (Ternisien, ibid., p. 41).

En janvier 2020, l’ancien recteur, Dalil Boubakeur, a cédé sa place à un avocat algérien de nationalité française, Chamseddine Hafiz, ce qui n’a rien changé au statut très particulier de cette mosquée.

LES MOSQUÉES AUJOURD’HUI

 État des lieux

« Posons d’emblée pour sûre l’affirmation que l’islam des caves n’existe plus […]. Au contraire, sur le plan pratique, celui de l’exercice concret et matériel [du culte], la situation des fidèles n’a cessé de s’améliorer. Cette nette bonification n’est pas mesurée à sa juste valeur car aucun discours ne l’a relayée », remarque Didier Leschi, ancien responsable du bureau des Cultes au ministère de l’Intérieur (Misère(s) de l’islam de France, Cerf, 2017, p. 105).

Leschi précise qu’entre les années 1970, « au début desquelles il n’existait qu’une centaine de mosquées et une myriade de locaux aménagés dans la hâte et soumis à la précarité », et la fin des années 1990, au moment de la création du Conseil français du culte musulman, on recensait environ 1 600 mosquées gérées par des associations, « outre celles qui se refusaient à avoir pignon sur rue », le plus souvent œuvres de salafistes « qui ne souhaitent pas manifester leur foi au grand jour ». Et l’auteur d’ajouter : « Si l’on dresse une moyenne sur cette période, soit moins d’une vingtaine d’années, plus d’une mosquée ou salle de prière a donc été ouverte chaque semaine dans l’Hexagone » (Ibid., p. 106-107). En 2015, il y avait 2 502 mosquées et salles de prière officiellement recensées (Le Figaro, 20 février 2015).

Bernard Godard, lui aussi ancien fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, distingue les « mosquées-cathédrales » (plus de 70 en 2015), situées généralement au centre des grandes villes et disposant de plus de 1 000 places, des « mosquées-pavillons », appellation réservée aux lieux de proximité installés dans des immeubles ou des pavillons de banlieue (La question musulmane en France, Fayard, 2015, p. 314-316). Xavier Ternisien estime avec raison que la comparaison des grandes mosquées avec les cathédrales « n’est pas forcément très heureuse » puisque « la cathédrale est l’église de l’évêque, celle où se trouve la cathedra, le siège épiscopal qui symbolise son autorité » (op. cit., 70).

L’une des dernières grandes mosquées a vu le jour à Mulhouse en mai 2019. Appelée En-Nour (La Lumière), d’une superficie de plus de 10 000 mètres carrés, elle comporte deux salles de prière en marbre de Carrare permettant d’accueillir 3 000 fidèles, une bibliothèque, une médiathèque, 11 salles de classe, une piscine, une salle de sport, un sauna, un hammam, un spa, un salon de coiffure et un funérarium. Financée par l’émirat de Qatar, c’est le plus vaste lieu de culte islamique en Europe. Cf. Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Qatar Papers, Michel Lafon, 2019, p. 43-48.

Malgré cette augmentation « exponentielle » (Godard, op. cit., p. 314), quinze ans auparavant, Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle, déclarait : « Je crois que c’est parce qu’il n’y a pas assez de lieux de culte musulmans publics qu’il y a une progression de l’intégrisme aujourd’hui » (La République, les religions et l’espérance, Cerf, 2004, p. 131).

En fait, le salafisme, qui prône un islam rigoriste, résolument hostile aux valeurs occidentales, mais aussi à l’islam institutionnel, opère une nette progression dans les mosquées existantes, y compris dans les campagnes. En 2014, 89 d’entre elles étaient sous son influence contre 44 en 2010. (Le Figaro, 20 février 2015).

L’État accommodant

Face à l’accroissement des demandes de permis de construire des mosquées, les pouvoirs publics sont confrontés au problème de leur financement, lequel ne peut être assuré par eux qu’en Alsace et en Moselle soumis au Concordat de 1801. Ailleurs, ce financement n’étant pas toujours assuré par la communauté musulmane concernée ou par des apports étrangers, les municipalités ont recours à des expédients juridiques.

  • Bail emphytéotique : octroi d’un terrain communal sur une très longue durée (souvent 99 ans) moyennant un loyer symbolique.
  • Prêt de locaux et/ou subvention à une association culturelle relevant de la loi de 1901 annexée à la mosquée. L’activité culturelle peut être une bibliothèque, une école coranique, une garderie d’enfants, un salon de thé ou le logement de l’imam.

Une seule possibilité est offerte par la loi de 1905 : dans les agglomérations en voie de développement, les collectivités locales peuvent garantir les emprunts contractés par les associations culturelles pour la construction d’édifices de culte.

Selon Xavier Lemoine, maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) : « c’est délibérément que les gouvernements successifs ont renoncé à faire appliquer la loi de 1905 au profit d’un usage abusif et illégal de celle de 1901 » (L’Incorrect, n° 16, janvier 2019).

Jean-Frédéric Poisson, ancien député des Yvelines, juge nécessaire une évolution de la loi de 1905, non pas en y incorporant l’islam (non concerné en 1905), mais en précisant ce qu’est une « association cultuelle ». Car, « aux termes actuels de la loi – et sans doute aussi d’une interprétation paresseuse – une école coranique ou un centre culturel islamique peuvent ne pas être considérés comme des associations cultuelles, et donc échapper de ce fait aux nombreux contrôles et déclarations prévus pour elles » (L’islam à la conquête de l’Occident, Éd. du Rocher, 2019, p. 251).

À propos des minarets

                La Grande Mosquée de Paris a été dotée d’un minaret dès l’origine. Depuis lors, la conception architecturale et urbanistique d’une mosquée doit observer deux impératifs : être ni trop discrète ni trop visible. Mais les minarets n’ont jamais été interdits, si bien qu’aujourd’hui plusieurs dizaines de mosquées en sont dotées. Il arrive cependant que des municipalités manifestent des réticences, voire des oppositions, aux projets qui en prévoient.

Une réflexion menée par un groupe de travail « Lieux de culte » du ministère de l’Intérieur a adopté la conclusion suivante sur les minarets : « Les symboles ont dans l’islam, comme dans les autres cultes, une grande importance car ils affirment la réalité spirituelle. Ils ne doivent pas être considérés comme des signes ostentatoires ou des provocations, mais comme le témoignage de la vie spirituelle de la communauté musulmane, au même titre que les symboles propres aux chrétiens ou aux juifs. […] La verticalité du minaret à l’extérieur et celle des piliers à l’intérieur manifestent l’élévation spirituelle […]. Bien sûr, il est toujours possible d’imaginer des mosquées sans minaret pour obtenir des édifices tellement anonymes qu’ils n’évoqueraient rien, perçus de l’extérieur. Cette solution, néanmoins, peut avoir l’inconvénient d’éviter de poser les questions de la vraie place de l’islam de France, de la dignité de la communauté musulmane, mais aussi du respect par la République du principe d’égalité de traitement de toutes les croyances. L’islam de France doit pouvoir s’affirmer nettement en tant que tel sur le plan architectural, sans avoir à dissimuler l’expression de sa foi. Des minarets, donc, pourquoi pas ? » (Ternisien, op. cit., p. 71-72).

Sans attendre d’autorisation expresse, plusieurs mosquées de France ont diffusé des appels publics à la prière durant la crise sanitaire de 2020 (p. ex. Lyon, Strasbourg, Marseille). Le site Dôme et minarets revendique désormais l’autorisation officielle de cette pratique. « Au nom de l’égalité du traitement des cultes, les mosquées devraient réclamer ce droit, en particulier dans les villes et quartiers où se concentre une forte communauté musulmane » (cité par Avenir de la Culture, Juin 2020). Or, cela présente de sérieux inconvénients pour la paix civile. Cf. PFV n° 71.

Les financements étrangers

                Des institutions para-étatiques (Ligue islamique mondiale, fondation Hassan II, le Milli Görüs turc) et des États musulmans assurent le financement de la construction de mosquées en France : le Maroc, l’Algérie, l’Émirat de Qatar, l’Arabie-Séoudite et la Turquie. « La Turquie se détache de cet ensemble et sans doute est désormais le premier propriétaire de mosquées en France » (D. Leschi, op. cit., p. 107). Les imams turcs relevant d’Ankara reçoivent chaque semaine les sermons que leur envoie l’Union turco-islamique des affaires religieuses en France via l’ambassade à Paris.

Outre la mainmise politique qui résulte de cet « islam consulaire » dénoncé par Didier Leschi, cette situation a des conséquences directes sur les orientations des mosquées concernées. Pour lui, ces pratiques promeuvent « des conceptions et des pratiques religieuses attentatoires à notre mode de vie. Là se situe le problème » (op. cit., p. 114). D’où la vigilance que les autorités politiques doivent accorder au respect de l’ordre public, de la part des responsables comme de la part des fidèles.

En 2016, en accord avec le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’État a suscité la création d’une Fondation pour l’islam de France (reconnue d’utilité publique par décret du 6 décembre 2016). Composée d’intellectuels, musulmans ou non, elle est chargée de soutenir des projets éducatifs, culturels et sociaux (relevant donc de la loi de 1901).

Une Association musulmane pour un Islam de France, à vocation cultuelle (loi de 1905), lui a été adjointe. Confiée au CFCM, elle a pour objectif de rechercher des financements français pour les mosquées et la rétribution des imams et de garantir la transparence des fonds venus de l’étranger. Mais elle n’a jamais fonctionné à cause de dissensions internes.

Rien n’est donc réglé, ce qui a suscité cette réflexion au philosophe Pierre Manent : « La dépendance des Français musulmans vis-à-vis des associations et pays étrangers a été permise, sinon encouragée, par l’Etat français depuis le début. Celui-ci n’a rien fait pour installer cet islam de France dont il parle tant. Il a préféré sous-traiter l’organisation de l’islam de France aux pays dont sont majoritairement originaires les musulmans français. Et il n’a rien fait pour arrêter la propagande wahabite appuyée par les ressources illimitées de l’Arabie-Séoudite » (L’Homme nouveau, n° 1606, 16 janvier 2016).

 POUR CONCLURE

  Un maire ne peut pas opposer un refus de principe à la construction de mosquées, car ce serait contraire à la loi telle qu’elle est, même s’il peut conditionner son autorisation à certaines exigences nécessaires pour garantir le respect de l’ordre public, comme l’a fait Xavier Lemoine lorsqu’il a accordé un tel permis aux musulmans de Montfermeil, en 2006. Les principales ont été présentées dans un dépliant largement distribué et remis au préfet et à l’évêque :

  • Acquisition par les demandeurs, avec leurs propres deniers, du terrain qui leur était proposé, au prix estimé par les services des Domaines.
  • Absence de toute subvention publique, communale ou autre.
  • Intégration dans le paysage urbain.
  • Absence de minaret.

Cependant, une telle observance est loin d’être répandue au sein de l’État, comme le constate Jean-Frédéric Poisson lorsqu’il dénonce « l’erreur de la projection » : « Cela consiste à regarder l’Islam comme une Église qui n’aurait pas la même foi, mais dont l’organisation serait comparable. Un socle modeste de connaissances précises suffit pourtant à identifier que cette vision ne repose sur rien. Idéalement, l’attitude convenable sur le plan politique comme sur le plan de la simple honnêteté intellectuelle devrait conduire à porter un regard différencié sur les religions : il est peu probable que ce sentiment habite soudainement nos représentants, ce qui n’empêche en rien de les y appeler » (L’Islam à la conquête de l’Occident, op. cit., p. 247).

Ce regard différencié sur les religions est d’autant plus justifié que, comme le note Rémi Brague, « l’islam est à la fois une religion et un système juridique. La charia est décisive. Ce système de lois régit la totalité du comportement humain, y compris le religieux » (Le Figaro, 8 février 2018).

Pour sortir de cette impasse, le sociologue Philippe d’Iribarne explique qu’ « il est nécessaire de clarifier la limite entre ce qui, dans l’islam, relève réellement de la religion […] dont le respect s’impose en raison de la liberté de conscience, et ce qui relève au contraire d’un ordre social qu’il est légitime de combattre, tant celui-ci est ennemi des valeurs cardinales des sociétés occidentales : la liberté […], l’égalité entre hommes et femmes », la distinction entre les deux pouvoirs, spirituel et temporel (Le Figaro, 9 juin 2019).

Annie Laurent

Déléguée générale de CLARIFIER


Abonnez vous à la Petite Feuille Verte !