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Dans le système français de laïcité, l’autorisation accordée aux représentants des religions pour construire de nouveaux lieux de culte (églises, mosquées, synagogues, etc.) relève exclusivement de la responsabilité de l’État (cf. PFV n° 72). L’Église catholique n’a donc aucune compétence ni aucun pouvoir en ce domaine, mais cela ne l’empêche pas d’avoir une doctrine qu’elle s’efforce de défendre.

POSITIONS DE PRINCIPE

 L’enseignement de base se trouve dans la Déclaration Dignitatis humanae de Vatican II (1965). Tout en rappelant que « l’unique vraie religion […] subsiste dans l’Église catholique et apostolique » (§ 1), le Concile déclare « que la personne humaine a droit à la liberté religieuse », celle-ci ayant « son fondement dans sa dignité » (§ 2). Il précise que ce droit « dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil » mais qu’étant « doués de raison et de volonté libre », tous les hommes sont « tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion » (§ 2).

Vatican II n’a pas reconnu l’équivalence entre les religions. Le « droit civil » sous-entend la responsabilité de l’État. Tout en affirmant le principe du droit à la liberté de culte, l’Église n’a donc pas à s’impliquer dans les projets des autres religions.

LA GRANDE MOSQUÉE DE ROME

Le 21 juin 1995, une Grande Mosquée, pouvant accueillir 12 000 fidèles, et le centre islamique qui lui était adjoint, ont été inaugurés à Rome. Après l’octroi du permis de construire, le maire de la ville en a informé le pape Jean-Paul II qui n’a émis aucune objection.

Mgr Michaël Fitzgerald, alors secrétaire du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, a expliqué la position du Saint-Siège. « La liberté religieuse ne signifie pas seulement être libre de vivre sa foi en privé, personnellement, mais aussi la possibilité de la vivre avec ses coreligionnaires, dans sa dimension communautaire. Pour cela, il faut un lieu de culte […]. La mosquée de Rome peut être perçue comme une offense faite au caractère catholique de la ville. Mais s’il existe une présence musulmane importante à Rome, l’Église ne s’oppose pas à la construction d’une mosquée » (« Pax vobiscum », 30 Jours, n° 6, 1995).

L’ensemble mosquée-institut est situé dans le quartier de Parioli, éloigné du Vatican, et il est probable que les autorités civiles ont tenu compte de cette distance. Sa localisation respecte une condition émise par Vatican II, à savoir que les pouvoirs publics ne peuvent « refuser à l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès lors que l’ordre public juste est sauvegardé » (Dignitatis humanae, § 3). On peut penser qu’une proximité avec la basilique Saint-Pierre aurait pu blesser la sensibilité des catholiques romains et entraîner des troubles dans l’espace public.

La mémoire historique des Italiens est d’ailleurs marquée par le débarquement des armées turques à Otrante en 1480 (813 chrétiens décapités en cette circonstance ont été canonisés par le pape François le 12 mai 2013). Cet assaut était commandé par le sultan Mehmet II, le conquérant de Constantinople (1453) ; vingt-sept ans après s’être emparé de la « seconde Rome » et avoir islamisé la basilique Sainte-Sophie, le tour de la « première Rome » lui semblait venu. Il espérait ainsi accomplir un hadîth (propos) prophétique de Mahomet bien connu des musulmans (cf. Hervé Roullet, Les martyrs d’Otrante, éd. H. Roullet, 2018).

En 2008, suite à de nombreux incidents avec des imams radicaux en Italie, le ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni, envisagea un moratoire sur toute nouvelle construction de mosquées.  Le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la Culture, a rappelé le droit de l’État d’intervenir lorsqu’une mosquée adopte des finalités politiques. Réagissant à une démarche du cardinal Dionigi Tettamanzi, archevêque de Milan (+ 2017), qui protestait contre la fermeture d’un lieu de culte illégal, R. Maroni a déclaré : « Je suis le ministre de l’Intérieur, pas un constructeur de mosquée ! Nous sommes intervenus sur la soi-disant mosquée de la rue Jenner (un garage, transformé en “lieu de prière” qui débordait sur la rue, sur le trottoir et la voie publique, car il y avait un problème d’ordre public » (Joachim Véliocas, L’Église face à l’islam, entre naïveté et lucidité, Éd. de Paris, 2018, p. 47 et 67).

L’ÉPISCOPAT DE FRANCE : DES ATTITUDES CONTRASTÉES

 En 1999, la Conférence des Évêques de France a élaboré une série de fiches définissant sa position sur les diverses questions soulevées par la présence croissante de l’islam, entre autres les demandes de lieux de culte.

« Comment gérer la symbolique de la mosquée dans l’espace public ? Quel avenir voulons-nous construire ? Le lieu de culte sera-t-il le symbole d’un accueil amical ou celui d’une “victoire à l’arraché” remportée par l’Islam sur une population hostile ? ».

« Il faut savoir que même si la pratique religieuse pour l’islam ne recouvre pas exactement le sens qu’elle a pour un chrétien, elle garde un caractère d’obligation (en particulier la prière du vendredi). Le droit à la liberté religieuse s’étend non seulement à l’adhésion privée, mais aussi à la profession de foi publique. Ce droit, l’Église le reconnaît aussi pour les autres croyants » (Catholiques et Musulmans. Fiches pastorales, Documents Épiscopat n° 6-7, avril 1999, fiche IV).

Largesses épiscopales

Dans les années 1970-2000, en France, des évêques ont parfois soutenu publiquement des demandes précises de mosquées, même lorsque celles-ci émanaient de représentants de l’islamisme (p. ex. Créteil, Poitiers, Lyon, Saint-Dié, Créteil, Metz et Strasbourg). Certains diocèses ont autorisé le prêt ou la vente d’églises ou de chapelles désaffectées (p. ex. Lille, Nantes, Clermont-Ferrand, Asnières, Autun, Argenteuil, Amiens, Dole, Bourges). Cf. Véliocas, op. cit.

En 1977, Mgr Jean Dardel, évêque de Clermont-Ferrand, a « prêté » aux musulmans de la ville une grande chapelle, propriété des Sœurs de Saint-Joseph, qu’ils ont transformée en « grande mosquée ». « Les portes de l’Église s’ouvrent à nous plus aisément que celles de l’administration », nous a confié sur place en 1995 Mohamed Fourati, enseignant tunisien dans cette ville (Annie Laurent, Vivre avec l’Islam ?, Éd. Saint-Paul, 1996, p. 191).

Mgr Michel Dubost, évêque d’Évry, répondant au président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur, qui proposait que les églises vides soient allouées au culte islamique : « Sur le principe, je préfère qu’elles deviennent des mosquées plutôt que des restaurants » (Le Figaro, 16 juin 2015). Commentaire de l’abbé Pierre Amar (diocèse de Versailles) : « Le fait qu’une église devienne une mosquée serait évidemment un symbole fort. Il sonnerait en quelque sorte la “victoire” du croissant sur la croix » (Famille chrétienne, n° 1954, 27 juin-3 juillet 2015).

Réserves et prudences épiscopales

A Lyon, dans les années 1970, le cardinal Alexandre Renard (+ 1983), favorable à de telles cessions, finit par renoncer à son projet de mettre à la disposition des musulmans l’église Saint-Bernard, certains de ses diocésains lui ayant fait valoir l’inconvenance qu’il y avait à donner aux musulmans un lieu dédié au prédicateur de la croisade (A. Laurent, op. cit., p. 191).

Mgr Raymond Bouchex, archevêque d’Avignon (+ 2010), estimait que l’Église n’a pas à se mêler de ces questions car « faciliter la propagation de l’islam revient à montrer aux musulmans que l’on considère leur religion comme égale au christianisme » (Ibid.).

Mgr Pierre Raffin, évêque de Metz : « Quant aux lieux servant au culte, églises ou chapelles, il faut exclure d’emblée l’hypothèse de les prêter, afin d’éviter des situations malencontreuses » (« L’islam en Moselle », Lettre pastorale, 3 janvier 1993, p. 40).

Mgr Bernard Panafieu, archevêque de Marseille (+ 2017). Tout en admettant qu’il « n’est pas moral que des hommes et des femmes pratiquent dans des conditions irrespectueuses de leur foi », il considérait que les mosquées « doivent être réservées à la prière, non à la propagande ». Pour lui, « la dépendance financière envers des pays étrangers pose un problème grave » (Famille chrétienne, n° 1046, 29 janvier 1998).

Nouvelles recommandations

La générosité des évêques a fini par s’émousser lorsqu’ils ont compris qu’un sanctuaire cédé provisoirement ne pouvait être récupéré, les musulmans bénéficiaires le considérant dès lors comme patrimoine du domaine de l’Islam (Dar el-Islam). Leurs confrères d’Afrique les avaient mis en garde contre ces pratiques qui pouvaient les gêner dans leur propre apostolat et amener les musulmans à se considérer vainqueurs sur le christianisme en France.

Des orientations publiées en 2000 par la Conférence des Évêques de France montrent une prise en compte de ces éléments. « Éviter de déclencher une guerre des symboles (clocher contre minaret). Notamment, ne pas transformer une église inutilisée en mosquée car on touche à une symbolique identitaire dont le retentissement nous échappe : blessure à l’identité locale “chrétienne” ou non, perspective d’un islam dont la vocation serait de remplacer le christianisme à plus ou moins long terme. Même le prêt provisoire d’une salle ou d’un édifice n’est pas sans conséquences négatives possibles. Dans l’hypothèse d’un accord, certaines garanties sont nécessaires. Dans tous les cas, consulter l’évêque du lieu » (« L’Église et l’Islam en France », Questions actuelles, n° 15, septembre-octobre 2000, p. 30).

L’EXIGENCE DE RÉCIPROCITÉ

Dans sa première encyclique, Redemptor Hominis (1979), Jean-Paul II a insisté sur la réciprocité en matière de liberté religieuse. « La limitation de la liberté religieuse et sa violation sont en contradiction avec la dignité de l’homme et avec ses droits objectifs. Je désire, au nom de tous les croyants du monde entier, m’adresser à ceux dont dépend de quelque manière, l’organisation de la vie sociale et publique en leur demandant instamment de respecter les droits de la religion et l’activité de l’Église. On n’exige aucun privilège mais le respect d’un droit élémentaire » (cité par A. Laurent, « Ouverture et fermeté », Le Temps de l’Eglise, octobre 1993).

Or, ce principe n’est pas toujours respecté en Islam au motif que les musulmans sont les « vrais croyants » et constituent « la meilleure communauté suscitée pour les hommes » (Coran 3, 110). Reconnaître des droits aux autres religions et à leurs fidèles, ne fût-ce que du point de vue civil, reviendrait en quelque sorte à accepter la remise en cause de la supériorité de l’islam et de ses membres.

Dans les États riverains du golfe Persique, où la nationalité se confond avec l’appartenance à l’islam, les très nombreux chrétiens étrangers, qui y résident pour des raisons professionnelles, ont certains droits en ce qui concerne leur culte mais celui-ci fait l’objet de restrictions : les églises, en nombre très insuffisant et souvent très éloignées des lieux d’habitation, sont banalisées à l’extrême, ne peuvent comporter ni croix extérieures ni cloches, et les processions sont interdites.

En Arabie-Séoudite, où résident plusieurs millions de chrétiens étrangers, seul le culte musulman est autorisé, ceci sur la base d’un hadîth attribué à Mahomet : « Deux religions ne doivent pas coexister dans la Péninsule arabique » (cité par Antoine Fattal, Le statut légal des non-musulmans en pays d’islam, Imprimerie catholique, Beyrouth, 1958, p. 85). Le culte chrétien, totalement prohibé, ne peut être célébré que dans la clandestinité, en fait dans certaines ambassades. Un chrétien mort dans le pays ne peut même pas y être enterré, sous prétexte que l’Arabie est une « terre sacrée ».

Le Saint-Siège ne cesse pourtant pas de rappeler aux dirigeants de ces pays le respect du droit à la liberté religieuse, faisant valoir la bienveillance pratiquée en Occident à cet égard. Il espérait que l’ouverture d’une mosquée à Rome (financée par l’Arabie-Séoudite) ouvrirait la voie à la réciprocité. Mais en vain.

Le sujet a été évoqué avec insistance par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, au cours d’un voyage officiel qu’il a effectué à Riyad, peu de temps avant sa mort, en 2018. Il a proposé à ses hôtes un accord sur « l’élaboration de règles communes pour la construction de lieux de culte » qui permettrait à chaque communauté religieuse « d’avoir une place appropriée pour accueillir la prière publique » (La Croix, 2 mai 2018). Cette demande n’a été suivie d’aucun effet.

POUR CONCLURE

                Selon le journaliste Laurent Joffrin, « la cession d’églises à l’islam serait un beau symbole de concorde et de fraternité » (Libération, 9 juillet 2015).

Tout ce qui précède montre l’utopie d’une telle affirmation, ce que confirme la récente affaire de Sainte-Sophie à Istamboul. Celle-ci éclaire de manière significative l’esprit de confrontation qui guide l’Islam dans ses relations avec les États héritiers du christianisme. Par son décret du 10 juillet 2020, reconvertissant en mosquée l’ancienne basilique byzantine islamisée en 1453 (cf. supra) puis muséifiée en 1934 par Atatürk, fondateur de la république, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a appliqué la phrase de l’un de ses inspirateurs, le poète turc Ziya Gökalp (1875-1924) : « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casernes et les croyants nos soldats ».

Erdogan a en outre présenté son geste comme la première étape d’une « renaissance » islamique qui devra s’étendre de Boukhara (Ouzbékistan) et à Cordoue (Espagne) (Le Salon beige, 29 juillet 2020). Dès le 21 juillet, Sultan bin Mohamed El-Qasimi, l’émir de Charjah (l’une des sept principautés des Émirats arabes unis), a réclamé que le culte musulman puisse être célébré dans la cathédrale de Cordoue. L’édifice, transformé en mosquée en 756, avait retrouvé sa vocation catholique lors de la Reconquête en 1236.

Annie LAURENT

Déléguée générale de CLARIFIER 


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