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LES FEMMES ARABES

Dès le début des révoltes arabes, les femmes ont fait une apparition massive et remarquée dans les rues et les médias, notamment en Tunisie et en Egypte. La tête couverte du hidjab (foulard), le corps entièrement dissimulé sous le niqab (voile intégral) ou habillées à l’occidentale, elles réclamaient toutes plus de liberté. Etaient-elles pour autant d’accord sur le contenu à donner à cet idéal ?

Les situations actuelles mettent au contraire en évidence le profond clivage qui divise sur ce sujet les sociétés arabo-musulmanes, y compris dans leur composante féminine. Et ce clivage s’inscrit dans le difficile rapport de l’Islam contemporain avec la modernité, où la question de la femme occupe une place centrale.

Les révolutions

Déclenchées à l’initiative de contestataires imprégnés de culture laïcisante, les révolutions ont été vite récupérées par les mouvements islamistes (Ennahda en Tunisie, Frères musulmans en Egypte, salafistes dans les deux pays). Pour leurs militants, hommes et femmes, la liberté acquise servirait promouvoir le « tout islam » sans entraves, ce qu’empêchaient plus ou moins les anciens régimes.

Réformes et initiatives

Aussi, vainqueurs d’élections organisées selon des procédures démocratiques, les islamistes ont entrepris des réformes forcées de la culture et des mœurs, l’avantage revenant dans ce domaine à l’Egypte où la population adhère nettement plus qu’en Tunisie à un islam traditionnel. L’initiative la plus inouïe a été le lancement, en juillet 2012, de la chaîne satellite Maria TV, dont toute l’équipe est féminine et où les animatrices et les employées, même celles qui ne passent pas à l’écran, ainsi que les invitées, sont obligées de revêtir le niqab noir, qui ne laisse qu’une fente pour les yeux. Selon sa directrice, Alaa Ahmed, cette chaîne a pour but d’éduquer les femmes sur leur religion et de les inciter à la vertu. Il s’agit aussi de « prouver à la société que des femmes en niqab sont actives, peuvent jouer un rôle et réussir, devenir médecin, ingénieur ou une célébrité du monde médiatique ». Cependant, Maria TV déplaît aux salafistes pour lesquels la parole publique de femmes, lorsqu’elle est non contrôlée, contrevient à l’éthique islamique, leur voix étant considérée comme awra (point vulnérable) (1).

Les musulmanes égyptiennes

avides d’émancipation ne se résignent pourtant pas à une telle régression. Ainsi, Mozn Hassan a-t-elle fondé l’institut Nazra (Regard) destiné à lutter contre les innombrables discriminations légales infligées aux femmes, même en cas de viol, et les idées sexistes, qui sont très répandues au pays du Nil. La femme est toujours coupable des méfaits des hommes, explique cette diplômée en droit matrimonial (2).

En Egypte, le harcèlement sexuel, sous toutes ses formes, est devenu un véritable fléau. Selon le psychologue Ahmed Abdallah, « le harceleur tente de faire croire à la femme que sa présence dans la rue est un crime » (3). Face au laxisme des pouvoirs publics, un groupe de jeunes volontaires a lancé la campagne « Arrêtez le harceleur » qui mène des actions concrètes de protection des victimes et de sensibilisation de l’opinion. On comprend qu’au printemps dernier, les femmes étaient nombreuses à réclamer la déposition du président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans. Au sein de cette confrérie islamiste ouverte aux militantes, même certaines d’entre elles se plaignent d’être marginalisées.

La situation des femmes en Tunisie

est moins préoccupante à cause de l’héritage de Bourguiba, le père de l’indépendance, qui leur a donné un statut inédit dans le monde arabe. Le Code de statut personnel, promulgué en 1957, instaure le mariage par consentement mutuel, proscrit la polygamie et autorise le divorce pour les deux conjoints. Cette modernisation a influencé les mentalités, notamment dans les villes.

La présence d’Ennahda au gouvernement et au Parlement, où ses députés sont majoritaires, ainsi que la soumission croissante de femmes aux pressions islamistes et la multiplication d’agressions sexuelles, inquiètent cependant celles qui craignent la remise en cause de ces acquis. Lors de la rédaction du projet de nouvelle Constitution, qui n’est pas encore terminée, les élues libérales se sont battues avec succès pour le maintien du principe d’égalité entre les sexes, que les islamistes, parmi lesquelles Meherzia Labidi, vice-présidence de l’Assemblée nationale constituante, voulaient remplacer par celui de « complémentarité ».

Le féminisme tunisien

a aussi pris une allure idéologique radicale avec l’apparition publique d’un groupe de Femen, en mai dernier. La photo de l’une d’elles, Amina Sboui, la montrant les seins nus avec cette inscription en arabe, « Ce corps m’appartient, il n’est l’honneur de personne », diffusée sur Internet, a beaucoup choqué dans son pays et ailleurs.

Le soutien que lui ont apporté des féministes européennes ne servira sûrement pas la cause des femmes arabes.

Pour susciter chez les musulmans le désir de rompre avec une conception injuste des rapports entre l’homme et la femme, l’Occident doit d’abord retrouver chez lui l’équilibre voulu par le Créateur dans ce domaine, c’est-à-dire l’égalité dans la différence et non une égalité synonyme de similitude ou d’interchangeabilité.

 

Annie Laurent

Article paru dans La Nef n° 253 de novembre 2013

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(1) El-Ahram hebdo (Le Caire), 5-11 septembre 2012.

(2) Id., 29 mai – 4 juin 2013.

(3) Id., 30 mai – 5 juin 2012.