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CONFLIT EN IRAK : LE DESSOUS DES CARTES

Qu’est-ce que l’Etat islamique (Da’ech en arabe) ?

Cette formation sunnite irakienne est née en 2006 à l’initiative d’El-Qaïda. Son but était de combattre par le djihad le régime de Bagdad, dominé par le Premier ministre chiite Nouri El-Maliki, et les forces américaines qui occupaient alors l’Irak. A partir de 2011, une partie de ces djihadistes se sont déplacés en Syrie pour participer à la rébellion contre le régime alaouite de Bachar El-Assad.

En 2013, le mouvement s’est scindé en deux entités rivales, le Front El-Nosra (Syrie) et l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, Irak) qui se livrent depuis lors une guerre impitoyable. En juin 2014, après s’être emparé de Mossoul, chef-lieu de la province de Ninive, le chef actuel de l’EIIL, Abou Bakr El-Baghdadi, a proclamé l’Etat islamique (EI) sous la forme d’un « califat ». Celui-ci recouvre environ un tiers de l’Irak (nord-ouest) et une partie du nord-est de la Syrie, à partir d’Alep. Il disposerait d’au moins 200 000 combattants, dont 60 % d’Irakiens, épaulés par des ressortissants venus de tous les continents, y compris d’Europe. Beaucoup transitent par la Turquie (sunnite), qui a ouvert sa frontière avec la Syrie aux mercenaires étrangers et aux livraisons d’armes.

Comme il s’agissait de lutter contre des régimes d’obédience chiite ou dérivée, les riches monarchies sunnites de la Péninsule arabique ont largement financé l’EIIL à ses débuts. Puis, craignant d’être déstabilisé par le terrorisme, le royaume séoudien lutte maintenant contre l’EI. Mais l’EI possède des fonds considérables (dons privés, pillage de l’antenne de la Banque centrale à Mossoul, prélèvement d’impôts sur les populations qu’il contrôle, vente en contrebande de pétrole et de pièces d’antiquité.)

 

Quel est l’objectif du califat ?

En proclamant la « restauration » du califat, El-Baghdadi pensait certainement à l’époque où cette institution politique, mise en place après la mort de Mahomet (632), pour gouverner l’Oumma (la communauté des musulmans), s’était établie à Bagdad (750-936) sous obédience sunnite. Lors de son abolition par Atatürk, en 1923, le siège califal était à Istamboul. Depuis, beaucoup de musulmans nostalgiques rêvent de sa restauration, ce qui explique en partie le succès de l’EI. Mais un tel projet semble impossible à réaliser compte tenu de l’éclatement de l’Oumma en quantité d’Etats indépendants, surtout depuis le démantèlement de l’Empire ottoman (début XXème siècle), et de la présence des musulmans sur tous les continents et dans toutes les cultures.

La plupart des Etats musulmans ont d’ailleurs refusé le « califat » d’El-Baghdadi, non que le principe leur déplaise mais parce que chacun voudrait en prendre la direction. Outre l’Irak et la Syrie, le projet immédiat de l’EI concerne aussi la Jordanie, la Palestine et le Liban. Début août, des djihadistes venus de Syrie ont encerclé à cette fin plusieurs localités du nord-est du pays du Cèdre sans parvenir à les conquérir.

Pour El-Baghdadi, l’installation du « califat » répond aussi à un désir de revanche sur le chiisme auquel le sunnisme s’oppose depuis les débuts de l’histoire de l’islam. Il s’agit donc de briser l’arc qui s’est constitué après la révolution de Khomeyni en 1979 et qui part de l’Iran jusqu’au Liban en passant par la Syrie et l’Irak, pays où se trouvent les lieux saints du chiisme, Nadjaf et Kerbala.

 

Les Kurdes peuvent-ils tirer profit de l’offensive de l’EI pour obtenir l’Etat indépendant auxquels ils aspirent ?

La nation kurde est une réalité mais elle est privée d’Etat puisque ce peuple est réparti entre l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Le Kurdistan irakien jouit d’un statut d’autonomie dans le cadre d’une fédération et il est certain qu’une partie de ses habitants aspire à un Etat au plein sens du terme. Le président Massoud Barzani vient d’ailleurs de demander au Parlement d’organiser un référendum sur l’indépendance, projet sur lequel la population est divisée. Grâce au soutien des Etats-Unis qui les aident à contrer l’offensive de l’EI, les Kurdes se sont emparés de la ville pétrolière de Kirkouk, agrandissant ainsi leur territoire de 40 %. Cependant, la reconnaissance d’un Kurdistan indépendant par l’ONU contredirait son soutien officiel à un Irak uni. Quoi qu’il en soit, le destin de cette province dépendra des rapports de forces, de l’avenir de l’Irak et de la Syrie.

 

Comment expliquer la réaction des Etats-Unis face à l’EI ?

Pendant des mois, les Etats-Unis ont laissé se développer l’EI sans réagir. Devant la fulgurance de l’avancée des djihadistes, le président Obama s’est résolu à contrecœur à appuyer la résistance des Kurdes par des bombardements aériens, décidés en accord avec le gouvernement de Bagdad mais en dehors de toute autorisation de l’ONU, la résolution du 15 août se contentant de réclamer le désarmement et la dissolution immédiate de l’EI, sans se prononcer sur les moyens pour y parvenir. L’assassinat en direct du journaliste James Foley, perpétré par un djihadiste mandaté pour cela en réaction aux frappes militaires, et les menaces proférées par le meurtrier envers les Etats-Unis constituent un défi lancé à Obama qui ne pourra sûrement pas faire l’économie d’une longue guerre. Les Etats-Unis paient aujourd’hui le prix des fautes qu’ils ont commises ces dernières décennies au Proche-Orient, depuis leur abandon du chah Reza Pahlavi face à Khomeyni (1979) jusqu’à l’invasion de l’Irak suivie de la chute de Saddam Hussein et du démantèlement de son armée (2003). Ces options ont largement contribué au réveil de l’islam radical.

 

Une intervention militaire de la France est-elle envisageable ?

La chute de Qaraqoch, le 9 août, et l’ampleur du drame humain qui s’en est suivi, ont obligé la France à sortir de la réserve qu’elle avait observée lorsque l’EI s’est emparé de Mossoul deux mois auparavant. Mais Paris privilégie l’action humanitaire et diplomatique et n’a sans doute pas les moyens d’une intervention militaire. Alors qu’elle jouissait d’une réelle influence en Irak sous le régime du Baas, la France est en retrait depuis 2003. Les chiites lui reprochent de ne pas avoir pris part à la guerre qui leur a permis de s’emparer du pouvoir. Après avoir armé les rebelles syriens, comme le président Hollande l’a reconnu, la France va-t-elle coopérer avec Assad pour lutter contre l’EI ? Va-t-elle accepter la participation de l’Iran à une solution en Irak après l’avoir écarté lors des conférences sur la Syrie ?

 

Comment les Eglises du Proche-Orient réagissent-elles aux événements ?

La tragédie atteint aujourd’hui une telle ampleur que les responsables d’Eglises ne veulent plus se contenter des déclarations ambiguës émises par des dignitaires musulmans lorsque ces derniers daignent compatir aux souffrances infligées par certains de leurs coreligionnaires à leurs compatriotes chrétiens. Réunis au Liban le 7 août, à l’initiative du cardinal Béchara Raï, primat des maronites, les patriarches catholiques et orthodoxes du monde arabe ont réclamé des actes concrets de la part des instances islamiques.

 Nous adjurons les instances islamiques, sunnites et chiites, de promulguer des décrets religieux clairs jetant l’interdit sur l’agression contre les chrétiens et tous les autres innocents. Nous demandons en outre à tous les parlements du monde arabe et islamique de voter des lois favorisant l’ouverture, rejetant clairement toute forme d’exclusion religieuse de l’autre et responsabilisant toutes les personnes qui enfreindraient ces lois ».

Annie Laurent

Article paru dans Famille chrétienne, n° 1911 du 30 août au 5 septembre 2014