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CHRETIENS D’IRAK, REFUSER L’EXIL, REPENSER LE DIALOGUE AVEC L’ISLAM

 

Les événements qui se déroulent en Irak depuis plusieurs mois semblent enfin ouvrir les yeux des Français sur la gravité des malheurs subis par les chrétiens au Proche-Orient.

Du côté de l’Eglise catholique,

cette prise de conscience est attestée par le voyage que le cardinal Barbarin, primat des Gaules, a effectué à Erbil et Qaraqoch à la fin du mois de juillet, afin d’y écouter des chrétiens de la province de Ninive (Mossoul) chassés, avec une cruauté inouïe, de leurs villes et de leurs maisons, de leurs évêchés, paroisses et monastères, par des djihadistes de l’Etat islamique (EI). Cette initiative, empreinte d’une charité digne des Pères des premiers siècles, assortie de l’annonce d’un jumelage du diocèse de Lyon avec celui de Mossoul, a aussi constitué un acte d’espérance d’autant plus marquant que toute présence ecclésiale est en voie d’effacement dans cette région au patrimoine chrétien prestigieux. Que le cardinal ait accompli sa visite en compagnie de Mgr Dubost, chargé des relations interreligieuses au sein de la Conférence épiscopale, comporte en outre une dimension de haute signification dans le cadre du dialogue avec les musulmans.

Quant au gouvernement,

peut-être provoqué par ces démarches, il manifeste un souci inattendu envers ces chrétiens d’Orient que l’on semblait, au nom d’un regard trop laïque, avoir sortis de l’histoire. Cependant, l’offre de visas aux Irakiens chrétiens avides de stabilité ne manque pas d’ambiguïté : sous couvert de compassion, cette proposition ne peut qu’accélérer la disparition, déjà, hélas, trop menaçante, du christianisme mésopotamien. Les chefs des Eglises orientales ont d’ailleurs aussitôt protesté. Ainsi, au terme d’une réunion organisée le 7 août au Liban par le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, pour examiner la situation tragique actuelle, les primats catholiques et orthodoxes du monde arabe ont déclaré :

Certains pays européens encouragent les chrétiens à émigrer de leurs terres, sous prétexte de les protéger des homicides et du terrorisme, ce que nous condamnons et refusons vigoureusement, car nous sommes attachés à notre mission dans ce cher Orient ».

Ces propos ne relèvent pas d’un égoïsme qui rendrait les ecclésiastiques aveugles et irresponsables. Il s’agit, bien au contraire, de la prise en compte réaliste du sens d’une présence chrétienne en milieu musulman. En effet, au-delà du seul apport « culturel » souligné par l’Occident sécularisé, les chrétiens du Levant, de par leur vocation baptismale, sont seuls à pouvoir diffuser au profit de tous des valeurs telles que l’amour, la gratuité, le pardon, le respect et la liberté de conscience, sans lesquelles aucune coexistence pacifique n’est envisageable. Encourager leur exode, soi-disant pour leur bien, rendrait donc irrémédiable le déferlement, ancestral et réactualisé sous nos yeux, des haines entre musulmans de diverses obédiences.

Quant au recours des Occidentaux aux bombardements et à la livraison d’armes, il peut, certes, freiner dans l’immédiat l’offensive djihadiste, mais non point l’éteindre à la racine, surtout lorsqu’il prend place dans une politique incohérente qui a consisté auparavant à soutenir les rebelles syriens ayant servi de terreau à l’EI.

N’oublions pas, par ailleurs, que la confiance des chrétiens envers les Kurdes est loin d’être sans réserve : voici un siècle, ces derniers ont participé activement au génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens ; et, début août dernier, la veille de la conquête de Qaraqoch, ils ont abandonné la ville et leurs « protégés » chrétiens à la fureur de l’EI. Le principe de la légitime défense militaire est admissible, mais n’est-il pas hasardeux d’armes des alliés si ambigus ?

Alors, comment aider les chrétiens du Proche-Orient à demeurer chez eux ? Nos dirigeants politiques et religieux doivent bannir toute compromission et tout faux irénisme. Dans leurs rapports avec les Etats musulmans, les responsables de la Cité ont à montrer une fermeté absolue concernant les droits des ressortissants chrétiens de ces pays, quitte à se priver de contrats « avantageux », sachant que leur crédibilité dépend aussi de l’exercice vertueux du pouvoir.

Pour l’Eglise catholique,

le moment est peut-être venu de réviser sa pratique du dialogue avec les musulmans dans le sens d’une plus grande vérité, premier critère de la charité selon saint Paul (I Co 13, 6). Un document du Vatican au ton inhabituel, publié le 12 août sous la signature du cardinal Tauran, y invite :

 La situation dramatique en Irak (…) exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux, surtout musulmans (…). Tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement, quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années ? »

 

Annie Laurent

Article paru dans L’Homme nouveau n° 1572 du 30 août 2014