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Radio-Espérance, 27 août 2014 -En écoute ICI

Comme j’ai eu l’occasion de le signaler lors de mes deux dernières chroniques, confrontées aux malheurs de leurs communautés, les hiérarchies chrétiennes du Proche-Orient ont à cœur de manifester leur unité en posant ensemble des gestes de charité. En même temps, elles ne veulent plus se contenter de bonnes paroles, elles exigent des actes concrets et efficaces pour défendre leurs droits sur cette terre marquée par l’histoire biblique. Par ailleurs, les théologiens chrétiens orientaux engagés dans le dialogue avec les musulmans estiment urgent que ces derniers entreprennent un dialogue sérieux entre eux afin de définir un islam compatible avec la convivialité. Faute de quoi, la poursuite du dialogue inauguré par l’Eglise restera stérile, assurent-ils.

 

Il s’agit là de tournants qui méritent d’être connus, compris et soutenus. C’est pourquoi je reviens aujourd’hui encore sur cette question en me faisant l’écho d’une nouvelle initiative oecuménique.

 

Le 20 août, trois patriarches catholiques et un orthodoxe, venus de Beyrouth et de Damas, se sont rendus à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, où ils ont rejoint leur homologue de l’Eglise chaldéenne, Sa Béatitude Louis Sako, chef spirituel de la plus importante communauté chrétienne en Irak. Il s’agissait d’une visite à la fois politique et pastorale. La délégation a rencontré le président kurde, Massoud Barzani, puis les chrétiens expulsés de Mossoul et de sa région et spoliés de leurs biens par les djihadistes de l’Etat islamique. La plupart de ces chrétiens ont en effet trouvé refuge à Erbil, où ils sont bien accueillis. Barzani a révélé à ses visiteurs que les agresseurs ont miné les routes et les maisons des villages abandonnés par les chrétiens en fuite.

 

Durant ce voyage, la question du recours à la force pour empêcher les fanatiques musulmans de continuer leurs crimes a été abondamment évoquée. Les patriarches ont interpellé les grandes Puissances avec une vigueur inhabituelle. Voici ce qu’a déclaré le cardinal Béchara Raï, primat des maronites, je le cite :

 Nous pensons que laisser faire les djihadistes de l’Etat islamique serait véritablement honteux. Qu’un groupe terroriste d’inspiration diabolique soit laissé libre d’agir est un scandale sans précédent. Il est inadmissible qu’un groupe de cette nature opprime ainsi dans l’indifférence du monde des peuples incapables de se défendre eux-mêmes ».

Pour sa part, le patriarche des syro-catholiques, Ignace III Younan, a aussi insisté sur ce point.

 Nous lançons un cri d’alarme, a-t-il dit. C’est notre survie en Mésopotamie qui est en jeu. Les nations libres qui adhèrent à la charte des droits de l’homme doivent avoir le courage d’être fidèles à leurs principes. Nous demandons une intervention internationale pour nous défendre et nullement en vue de conquêtes ».

Pour ce prélat, c’est la doctrine wahhabite, professée en Arabie-Séoudite, qui est l’inspiratrice de l’Etat islamique.

« Ce groupe n’a pu naître que grâce à cet appui »,

a-t-il affirmé, déplorant que le royaume séoudien se dérobe à sa responsabilité dans ce domaine.

 

Très combatif, le patriarche Ephrem Karim, de l’Eglise syro-orthodoxe, a réclamé une visite du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon. Il a aussi plaidé en faveur d’une région autonome pour les chrétiens d’Irak, ce que permet la constitution, et demandé leur armement, comme le souhaitent certains d’entre eux. Cette proposition de région autonome chrétienne ne correspond toutefois pas à la vision missionnaire de l’Eglise catholique. C’est pourquoi le patriarche melkite, Grégoire III, lui a opposé l’option d’une présence chrétienne dans tout le pays. Il s’agit pour lui de perpétuer la convivialité interconfessionnelle et le témoignage évangélique.

 

Enfin, lors d’une catéchèse donnée dans l’église chaldéenne Saint-Joseph à Erbil devant une foule de fidèles, le cardinal Raï a prononcé cette exhortation :

 Aujourd’hui, l’Eglise en Irak complète dans son corps ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Eglise. Aujourd’hui, par leurs souffrances, les chrétiens en Irak rachètent leur patrie ».

Un journaliste libanais présent à la rencontre a commenté ces paroles. Je le cite : «

Adressé à des chrétiens écorchés vifs par la douleur du déracinement, de la colère et du désespoir, le message d’espérance était osé. Mais il a été bien accueilli par un peuple humble qui sait encore baiser la croix ou l’anneau des patriarches et des évêques se frayant un passage au milieu de lui, caressant les joues des tout-petits et bénissant leurs enfants ».

 

Annie Laurent