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Durant l’été qui vient de s’achever, les chrétiens d’Egypte et de Syrie ont été durement éprouvés. Non seulement ils ont subi l’acharnement haineux de militants islamistes mais ils ont également eu affaire à un Occident incapable de les comprendre à cause de son ignorance des réalités socio-politiques du monde arabe.

Commençons par l’Egypte.

Le 30 juin, répondant aux attentes de trente-trois millions de manifestants pacifiques, le général Abdel-Fatah El-Sissi, chef de l’armée, a annoncé la destitution du président de la République, Mohamed Morsi, issu de la confrérie islamiste des Frères musulmans et élu un an auparavant.

Puis, le 3 juillet, El-Sissi a confié l’intérim du pouvoir au président du Conseil constitutionnel, Adly Mansour, à qui il a remis une feuille de route lue solennellement en présence des représentants de toutes les composantes de la société, parmi lesquels Théodore II, patriarche des coptes-orthodoxes, la plus importante communauté chrétienne au pays du Nil. Seuls les Frères étaient absents.

Colère des islamistes.

L’engagement des coptes dans cette immense contestation ainsi que le soutien public donné à l’armée par leur pape et par d’autres dignitaires chrétiens, notamment le patriarche copte-catholique, Ibrahim Sidrak, ont déclenché la colère des islamistes.

La plupart des provinces ont été touchées par un véritable ouragan de violences anti-chrétiennes, atteignant son apogée le 14 août : outre de nombreuses agressions contre les personnes (il y a eu des meurtres, dont celui d’un prêtre), les assaillants ont pillé, saccagé et incendié une soixantaine d’églises (y compris latines et protestantes), plusieurs monastères ainsi que des dizaines d’écoles, de magasins et d’habitations appartenant à des chrétiens.

En s’associant au mouvement populaire anti-Morsi, moins dirigé, du côté des musulmans, contre son projet d’islamisation intégrale que contre sa gouvernance calamiteuse en matière économique, sociale et sécuritaire, les coptes s’attendaient à la vengeance des Frères. Ils ont cependant préféré la solidarité nationale à l’intérêt confessionnel – celui-ci les aurait poussés à rester en marge de la contestation -, offrant même leurs souffrances avec « grand amour », comme « prix du rachat de l’Egypte », selon les paroles de Théodore II.

Les chrétiens déçus.

Mais les chrétiens ont été déçus, voire irrités, par l’empressement des Occidentaux à dénoncer un « coup d’Etat » là où eux-mêmes voyaient un « miracle » et par le défilé de diplomates étrangers accourant au Caire pour s’y inquiéter de l’avenir de la démocratie et du sort des Frères musulmans, alors que ces derniers, invités par Adly Mansour à participer au dialogue national, se retranchaient dans une fronde irréductible, fermée à toute auto-critique, obligeant ainsi les militaires à démanteler leurs campements urbains surarmés.

Or, durant le mandat Morsi, le mépris envers les coptes s’est accentué, encouragé par le discours sectaire tenu jusqu’au sommet de l’Etat.

 Nous sommes écœurés par la position des gouvernements occidentaux qui prennent fait et cause pour les Frères musulmans, comme si c’était eux les victimes et non pas les bourreaux »

a déclaré le jésuite égyptien Henri Boulad sur une radio canadienne le 19 août.

En Syrie,

La situation des chrétiens s’est gravement dégradée au cours des derniers mois, avec l’afflux de salafistes sunnites venus de tous les horizons, y compris d’Europe, pour mener le djihad contre le régime de Bachar El-Assad.

Dans les régions du nord passées sous leur contrôle, ces militants imposent la charia (loi islamique). A la violence, les Eglises locales opposent la charité et le témoignage de foi. Clergé et fidèles s’ingénient à créer des espaces de réconciliation et à venir en aide à toutes les victimes de la guerre, quelle que soit leur appartenance religieuse et leur choix politique.

Mais pour les rebelles l’attitude des chrétiens revient à soutenir le pouvoir.

D’où les « châtiments » qu’ils leur infligent : enlèvements contre rançons, viols, meurtres, destructions d’églises, etc. Le 4 septembre, des djihadistes ont investi Maaloula, localité à valeur hautement symbolique pour les chrétiens (les habitants y parlent encore l’araméen, la langue de Jésus). Après avoir fracassé la statue de Notre-Dame de la Paix qui domine la petite cité, ils ont terrorisé la population, sommant certains disciples du Christ à se convertir à l’islam.

Je suis chrétien et si vous voulez me tuer parce que je suis chrétien, faites-le »

a répondu l’un d’eux, Sarkis El-Zakhm, aussitôt abattu avec deux de ses amis, Antoine et Michel Taalab.

 L’Occident pense qu’avec les sunnites au pouvoir la démocratie remplacera la dictature, mais c’est une grande illusion »

avertissait récemment Youssef III Younan, patriarche de l’Eglise syriaque-catholique (1), reprenant ainsi les mises en garde des autres ecclésiastiques de la région.

Tout en admettant la nécessité de réformes, ceux-ci ne cessent de rappeler que, malgré ses défauts, jusqu’à la révolte en cours, le parti dominé par les alaouites qui gouverne la Syrie avait su instaurer des relations apaisées entre les religions. L’évêque d’Angoulême, Mgr Claude Dagens, l’ignore-t-il, lui pour qui Grégoire III Laham, le patriarche grec-catholique, est « l’allié politique et financier d’Assad » ? (2).

Aveuglé par sa conception sécularisée de la démocratie

l’Occident semble incapable de comprendre que, dans un Proche-Orient travaillé par le réveil islamique depuis soixante ans, et en dépit de courants modernistes qui pointent en son sein, la « loi du nombre » profite à des candidats dont les valeurs suprêmes puisent à des sources, le Coran et la Sunna (tradition mahométane), sont très éloignées des siennes.

 

Annie Laurent

article paru dans La Nef d’octobre 2013

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(1) Radio Notre-Dame, 11 septembre 2013.

(2) L’Orient-Le Jour (Beyrouth), 30 août 2013.