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Radio-Espérance, 16 octobre 2013

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Depuis son indépendance, obtenue en 1943, le Liban est l’otage d’un voisinage particulièrement encombrant. Chaque secousse interne survenant en Syrie ou en Israël le voit notamment contraint d’accueillir sur son territoire de nombreux réfugiés qui fuient la guerre.

Ainsi, au cours des derniers mois, au moins 800 000 Syriens, chrétiens et musulmans, ont trouvé asile en terre libanaise. Ils ont rejoint dans le malheur les 400 000 Palestiniens, descendants pour la plupart des familles qui avaient été contraintes d’abandonner leurs maisons et leurs terres lors de la création de l’Etat d’Israël, en 1948.

Ces Palestiniens étaient en majorité musulmans sunnites, mais il y avait parmi eux un nombre non négligeable de chrétiens. Or, cette réalité est rarement prise en compte dans les écrits consacrés à la question palestinienne. Une lacune qui vient heureusement d’être comblée grâce à deux journalistes françaises, Nathalie Duplan et Valérie Raulin. Elles publient aux éditions du Passeur un livre intitulé : Le camp oublié de Dbayé, Palestiniens chrétiens, réfugiés à perpétuité, qui éclaire de manière très juste le drame trop ignoré de ces chrétiens.

Pendant une semaine, les auteurs, qui connaissent bien le Liban, ont vécu en compagnie des 4 000 résidents de Dbayé, le seul parmi les douze camps palestiniens à n’être peuplé que de chrétiens. Sur place, Nathalie Duplan et Valérie Raulin ont recueilli les souvenirs des survivants des premiers réfugiés. Tous venaient de la Galilée, notamment des environs de Nazareth et de Haïfa, d’où l’armée israélienne les avait chassés.

Les anciens racontent leur vie en Palestine, leur départ qu’ils croyaient provisoire, puis leur fixation au Liban où, à l’initiative du patriarche maronite, ils ont été accueillis sur des terrains appartenant à cette Eglise, laquelle s’est montrée aussi généreuse pour les musulmans. Les chrétiens ont cependant préféré se rassembler en un même lieu plutôt que de se disperser. C’est ainsi qu’ils se sont regroupés en contrebas du monastère Saint-Joseph, à Dbayé donc, où ils vivent avec leurs descendants grâce à l’assistance d’une instance relevant de l’ONU et d’organisations charitables qui prennent en charge leurs besoins les plus élémentaires. Mais ils demeurent apatrides, ce qui limite considérablement leurs droits dans tous les domaines et porte gravement atteinte à leur dignité.

Dans les années 1950, les Palestiniens chrétiens auraient pu acquérir la citoyenneté libanaise. Le président de la République de l’époque, Camille Chamoun, leur en avait fait la proposition. Il souhaitait ainsi renforcer l’influence du christianisme dans un pays où l’essor démographique bénéficiait déjà aux musulmans. Mais la plupart des réfugiés chrétiens ont refusé cette offre, considérant qu’elle les priverait de leur droit au retour dans leur patrie, droit auquel ils ne croient plus du tout aujourd’hui.

Sans regretter leur choix d’alors, mais aussi sans amertume, ils décrivent les difficultés de leur vie actuelle. Par exemple, le gouvernement libanais interdit aux réfugiés d’exercer certains métiers, notamment les professions libérales, et de se rendre propriétaires de maisons en dehors des limites du camp. Les chrétiens sont donc confinés à Dbayé, certains d’entre eux parvenant cependant à partir travailler pour un temps en Afrique ou en Occident.

La cohabitation avec leurs coreligionnaires libanais n’a pas toujours été facile. Ainsi, pendant la guerre, beaucoup de Palestiniens chrétiens se montraient solidaires de leurs compatriotes musulmans qui, sous couvert de défendre leur cause, s’employaient à déstabiliser le Liban. Cela n’empêchait pas les musulmans de reprocher aux habitants de Dbayé leur trahison parce qu’ils persistaient à demeurer dans une région chrétienne, qui était aussi le berceau de la résistance maronite. Or, celle-ci appliquait à tous les Palestiniens, chrétiens ou musulmans, les mêmes préjugés négatifs qui n’ont d’ailleurs pas tout à fait disparu. La souffrance venait de tous les côtés.

Aujourd’hui les chrétiens de Dbayé regrettent l’erreur qui les a poussés à soutenir la guérilla palestinienne mais ils aimeraient plus de compréhension de la part des Libanais. Et sans doute aussi des chrétiens d’Occident. C’est pourquoi j’encourage la lecture du livre de Nathalie Duplan et Valérie Raulin : « Le camp oublié de Dbayé », aux éditions du Passeur.

 

Annie Laurent