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Article paru dans La Nef n° 302 – Avril 2018

Jacob Rogozinski, Djihadisme : le retour du sacrifice, Desclée de Brouwer, 2017, 259 p., 18, 90 €.

Professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg, l’auteur de cet essai très dense propose une analyse des causes qui inspirent l’idéologie djihadiste. Le « dispositif de terreur » qui en résulte s’inscrit dans une stratégie délibérée, conçue dans une finalité de revanche et de conquête. Sur ce plan, explique justement J. Rogozinski, le djihadisme, relevant d’une démarche de type religieux, n’a rien à voir avec le nihilisme ni avec le fascisme. L’auteur s’oppose aussi à la tentation de définir une essence immuable de l’islam. Plutôt que de « diaboliser cette religion comme si elle ne formait qu’un seul bloc », il convient, écrit-il, de soutenir les musulmans qui s’opposent « à la régression fondamentaliste ». S’agit-il vraiment d’une régression ? Faut-il par ailleurs aller jusqu’à considérer le Coran comme porteur d’un « projet d’émancipation initial » opposé à « un islam qui le trahit », selon le souhait de l’auteur qui se livre ici à une comparaison hasardeuse avec le catholicisme ? On ne peut en revanche qu’apprécier le bienfondé de sa réflexion sur le rapport entre les pouvoirs religieux et politique, si mal compris par l’Occident post-chrétien, ce qui fausse le rapport de ce dernier avec le monde musulman.

Cela dit, pour J. Rogozinski, c’est plus la colère que la haine qui motive le recours à l’extrême violence surgie de l’Oumma. Cette position nous semble justifiée, au moins en partie. Pourquoi la colère ? Celle-ci s’enracine dans le « complexe d’Ismaël », fruit du déni de reconnaissance dont souffrirait l’islam lorsqu’il s’assimile à Ismaël, que la Bible présente comme le demi-frère d’Isaac, unique fils légitime d’Abraham. Ce complexe originel est actualisé par l’humiliation résultant de la création de l’Etat d’Israël, note le philosophe avec raison. Mais, pour guérir l’islam de ses frustrations, qui a aussi d’autres causes, faut-il le suivre lorsqu’il « rêve » de l’inclure dans « l’unique Promesse » de Dieu ? Un chrétien fidèle ne peut certes pas adhérer à cette suggestion contraire à l’enseignement du Magistère (cf. Dei Verbum du concile Vatican II), même s’il est appelé à à reconnaître le musulman comme un frère en humanité, également aimé par Dieu. La distinction est de taille et l’on ne peut que regretter la hardiesse de Rogozinski sur ce point et quelques autres, alors que son livre contient nombre de réflexions pertinentes.

 

Annie Laurent