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Article paru dans La Nef n° 311 – Février 2019

Gilles Kepel, Sortir du chaos. Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018, 514 p., 22 €.

Spécialiste du monde arabe, l’universitaire Gilles Kepel est considéré à juste titre comme particulièrement crédible dans ses analyses relatives non seulement au Maghreb et au Machrek (Levant) mais aussi à la situation de l’islam dans les banlieues françaises. Son dernier livre présente donc un réel intérêt à ceux qui veulent saisir les causes des bouleversements qui secouent les rives méridionales et orientales de la Méditerranée, Turquie et Iran compris, et leurs répercussions en Europe, sans omettre les stratégies des Etats-Unis et de la Russie.

L’auteur part de la guerre israélo-arabe de 1973, année qui marque selon lui le terme d’une période jusque-là influencée par une certaine laïcisation d’Etats tels que la Turquie, l’Egypte et l’Iran, laquelle ne représentait pourtant « qu’un simulacre de la laïcité démocratique en terre européenne ». L’échec arabe face à Israël, la révolution iranienne (1979), suivie du réveil du vieux clivage entre islam sunnite et islam chiite, le financement américain du djihad contre l’occupation soviétique en Afghanistan (1979-1989) ont suscité un processus de réislamisation jusque dans sa dimension djihadiste (Frères musulmans, El-Qaïda, Daech, etc.) qui, à partir des attentats du 11 septembre 2001, s’est transformée en menace pour la paix mondiale, phénomène que les Occidentaux n’ont pas su comprendre avant d’être acculés à réagir par la voie militaire contre les territoires de l’Etat islamique.

Ces évolutions rendaient inéluctable la confessionnalisation rapide des révoltes arabes déclenchées en 2011, auxquelles Kepel consacre des pages abondantes, distinguant la situation des pays du Maghreb, dominés par le sunnisme (ce qui n’a pas empêché la fragmentation de la Libye), de celles des pays composites du Proche-Orient (Syrie, Yémen), où la haine des sunnites contre les chiites et les alaouites a conduit à l’éclatement confessionnel, ce qui est également le cas en Irak depuis l’offensive américaine de 2003, laquelle a en outre fait ressurgir la question kurde.

Les analyses fouillées de Kepel, illustrées par ses contacts et ses voyages, pèchent cependant par l’absence de toute prise en compte de la vocation et de l’avenir des chrétiens du Proche-Orient (est-ce parce qu’il se déclare athée ?) ainsi que des perspectives concernant une improbable paix entre Israël et ses voisins.

 

Annie Laurent