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Radio-Espérance, 23 octobre 2013

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L’Occident a mauvaise presse ces temps-ci auprès des chrétiens du Proche-Orient. Leurs hiérarchies religieuses, en Syrie, au Liban et en Egypte, reprochent à l’Europe et aux Etats-Unis d’Amérique de soutenir partout les militants islamistes, y compris ceux qui recourent au djihad. Or, l’actualité récente a montré de quel prix les chrétiens paient leur refus de céder à la haine ou leur fermeté dans la fidélité au Christ.

Le 11 octobre dernier, au Liban, le patriarche maronite, Sa Béatitude Béchara Raï, s’est montré particulièrement sévère pour l’Occident à cause de son soutien à l’armement de la rébellion en Syrie. Devant une délégation européenne conduite par Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax-Christi France, le patriarche a fustigé ce qu’il a appelé « l’objectif hypocrite » de ce conflit. Il s’agit, a-t-il dit, de « vider le Proche-Orient de sa civilisation et de le maintenir en état de guerre permanente à des fins politiques et économiques ».

La Russie

profite de la déception occasionnée par l’Occident pour s’imposer dans cette région. On se souvient comment, début septembre, alors que les Etats-Unis et la France s’apprêtaient à lancer des frappes militaires contre Damas, Moscou a fait preuve d’une remarquable habileté diplomatique pour arrêter ce projet insensé. Son initiative a été fort appréciée par les chrétiens orientaux. Ils se sentent désormais mieux compris par la Russie orthodoxe que par l’Occident incroyant.

En témoigne la démarche récente de quelque 50 000 Syriens chrétiens habitant la région de Kalamoun, au nord de Damas : ils ont demandé la nationalité russe sans pour autant renoncer à leur citoyenneté syrienne, ce qui est autorisé par la loi de leur pays. Le communiqué du ministère russe des Affaires étrangères, qui a donné l’information le 15 octobre, cite la lettre adressée au gouvernement de Moscou pour étayer cette démarche. En voici un extrait : « La Russie poursuit une politique ferme visant à protéger la Syrie, son peuple et son entité territoriale. Les chrétiens d’Orient le savent depuis des siècles : personne ne protège leurs intérêts mieux que la Russie. Nous serons donc protégés par la Russie si nous sommes menacés d’extermination physique par les terroristes ». Et les auteurs de cette lettre s’en prennent aussi à l’Occident, coupable, selon eux, de soutenir ces terroristes dont l’objectif est de mettre fin à la présence chrétienne au Proche-Orient.

En remplaçant désormais l’Europe dans son rôle protecteur des chrétiens d’Orient, la Russie n’innove cependant pas. Elle renoue avec une tradition qui remonte au XVIIIème siècle. Cette tradition s’appuie sur l’influence que le patriarcat orthodoxe de Moscou cherche depuis lors à exercer dans le monde arabe. Il bénéficie pour cela du déclin de son rival, le patriarcat œcuménique de Constantinople, dont l’affaiblissement est continu depuis la conquête ottomane de l’ancienne Asie mineure chrétienne devenue la Turquie musulmane. Malgré son athéisme, le régime communiste qui s’est imposé en Russie au XXème siècle n’a pas rompu avec cette tradition, lui donnant toutefois une autre forme. L’Union soviétique a, en effet, su habilement utiliser l’Eglise orthodoxe, qui lui était soumise, comme levier pour sa pénétration politique et idéologique au Proche-Orient. Une génération d’évêques relevant du patriarcat orthodoxe d’Antioche, dont le siège est à Damas, a même été formée dans les instituts de théologie de Moscou.

Dans les années 1950,

l’Union soviétique a aussi profité de son alliance avec le président égyptien Nasser lorsque ce dernier s’est retourné contre l’Occident et a plaqué le socialisme sur le nationalisme arabe. On a alors assisté à l’émergence de partis communistes dans plusieurs pays de la région. Il est même arrivé, comme au Liban, qu’un grec-orthodoxe en prenne la tête. Durant cette période, de nombreux jeunes Arabes ont bénéficié de bourses d’études offertes par Moscou où ils allaient donc suivre des formations spécialisées et d’où ils revenaient souvent avec une femme ou un mari russe.

En assumant à nouveau fièrement son identité orthodoxe, la Russie post-soviétique a donc aussi renoué avec une tradition favorable aux chrétiens du Proche-Orient. Comment le lui reprocher alors que l’Occident, en reniant ses racines religieuses, est devenu incapable de freiner l’expansionnisme musulman ?

 

Annie Laurent