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Les actes terroristes commis en France depuis 2015 par des musulmans se réclamant de leur religion, ainsi que le départ au Proche-Orient de tant de jeunes fanatisés pour y participer au djihad suscitent bien des interrogations sur le statut et le rôle des imams. Régulièrement, l’Etat s’empare de ce sujet, mais les échecs succèdent aux échecs. Il y a pourtant urgence à trouver des solutions capables d’assurer la paix dans notre pays.            Nous avons donc pensé utile de nous interroger sur cette question délicate à laquelle Annie Laurent consacre deux Petites Feuilles vertes. La première, n° 49, que vous trouverez ci-joint, définit l’identité et les attributions de l’imam ; la seconde, n° 50 dresse un état des lieux de la situation des imams en France et préconise les mesures à adopter pour leur intégration.

 

QUELS IMAMS POUR LA FRANCE ?

 

         Le 29 mars dernier, le Conseil Français du Culte musulman (CFCM) a annoncé l’adoption d’une « Charte de l’imam », demandant à tous les imams qui exercent leurs fonctions sur le territoire national de l’accepter et de s’y conformer. Or, dès le lendemain, plusieurs personnalités et fédérations (celles-ci regroupent les musulmans en fonction de leur pays d’origine ou de leur allégeance idéologique) ont protesté contre cette initiative. Pour Kamel Kebtane, natif d’Algérie et recteur de la Grande Mosquée de Lyon, « il s’agit d’un véritable contrat de travail, imposé de façon unilatérale, alors que les statuts du CFCM ne l’autorisent pas à s’ingérer dans les affaires des mosquées » (L’Express, 30/3/2017). Cependant, d’après Anouar Kbibech, qui cumule les présidences du CFCM et du Rassemblement des Musulmans de France, lié au Maroc, les instances de toutes obédiences ont été consultées avant l’adoption de cette charte (La Croix, 31 mars 2017).

Cet épisode nous fournit l’occasion, d’une part de préciser ce qu’est un imam et quelles sont ses attributions (PFV n° 49), d’autre part d’examiner les conditions de leur intégration dans la France actuelle (PFV n° 50).

 

PFV N° 49 – L’IDENTITÉ DE L’IMAM

           

Dans une société habituée au catholicisme, comme la France, il peut être tentant de considérer l’imam comme l’équivalent du prêtre. Or, l’islam ignorant toute médiation entre Dieu et les hommes, le sacerdoce ne s’y justifie pas. En effet, dans l’Eglise, le prêtre est investi d’un pouvoir sacerdotal qui le rend apte, par l’ordination, à dispenser la grâce divine à travers l’administration des sacrements et à exercer une paternité spirituelle, charisme inconnu dans l’islam.

On entend fréquemment dire qu’« en islam il n’y a pas de clergé ». Cette affirmation manque de clarté ; elle tend à confondre clergé et sacerdoce. En fait, il existe des personnes exerçant des fonctions dans le domaine de la religion. Mais ce sont des laïcs, des hommes « de religion » et non pas des « religieux » car l’islam méconnaît la vie consacrée (monastique ou apostolique) et donc l’engagement envers Dieu par des vœux (pauvreté, obéissance et chasteté).

« Tous les textes [sacrés] sont unanimes sur ce point : l’imamat est une pure fonction, souvent transitoire, interchangeable et relayable. Il n’y a rien, absolument rien, qui puisse rappeler une quelconque ordination », écrit le professeur Ralph Stehly dans La formation des cadres religieux musulmans en France, ouvrage dirigé par Franck Frégosi (éd. L’Harmattan, 1998, p. 27).

Dans l’islam sunnite, l’imamat se réfère au culte, tandis que dans le chiisme, il revêt une bien plus grande importance (cf. infra).

Etymologie

            Le mot imâm dérive de la racine verbale amma, commune à toutes les langues sémitiques, qui signifie « être à l’avant », « marcher en tête ». « A l’origine, l’imam était le convoyeur des caravanes […]. Dans le Coran, le mot acquiert une signification religieuse ». Il équivaut à « guide » (Slimane Zeghidour, L’islam en 50 mots, Desclée de Brouwer, 1990, p. 51).

 La fonction

            L’imam n’est pas quelqu’un qui se situe « à part » par rapport aux fidèles ; il ne se distingue de ceux-ci que par la fonction qu’il exerce. Même s’il est considéré comme le plus instruit en matière religieuse, il ne s’agit pas là d’une condition absolue pour être imam : la piété a souvent plus d’importance que la science.

Le rôle de l’imam consiste d’abord à présider la prière rituelle (salât) du vendredi, rite qui se déroule à haute voix dans la mosquée, face à la niche du mihrâb indiquant la direction de La Mecque. Comme les cinq courtes oraisons quotidiennes obligatoires, cette prière hebdomadaire, beaucoup plus longue, n’est valide que si elle est récitée en arabe, langue du Coran. Elle est précédée d’un sermon (khotba) que l’imam prononce en chaire (le minbar) et pour cela toutes les langues conviennent. En milieu musulman, ceux qui sont empêchés de se rendre à la mosquée peuvent entendre les paroles de l’imam car celles-ci sont retransmises par haut-parleur disposé au sommet du minaret.

Le prêche de l’imam peut comporter des aspects aussi bien religieux que juridiques ou politiques puisqu’il s’aligne sur les enseignements du Coran et de la Sunna (Tradition mahométane) : appel au djihad, rejet de la laïcité, recommandation aux maris de frapper leurs épouses, méfiance envers les juifs et les chrétiens, etc.

Certains pays ont instauré un contrôle des sermons, en particulier là où les imams sont des fonctionnaires nommés et rémunérés par l’Etat ; il arrive même que les instances officielles chargées du culte imposent un texte obligatoire à tous les imams du pays, par exemple pour soutenir le parti au pouvoir. Tel est notamment le cas en Turquie, qui dispose de 80 000 imams, diaspora comprise.

L’imam préside également les prières des grandes fêtes du calendrier religieux musulman et les inhumations rituelles.

Conditions pour être imam

Le droit musulman classique (fiqh) a posé des règles pour l’exercice de la fonction d’imam : être musulman, adulte, et avoir un minimum de connaissance du Coran, au moins des sourates et versets utilisés dans la prière rituelle. Mahomet aurait dit à ce sujet : « Que vous dirige celui qui est le plus expert en récitation du Coran ». Il aurait aussi interdit à quiconque de s’imposer imam : « Qu’aucun imam ne dirige la prière s’il s’est choisi lui-même, contre le gré des fidèles ou contre leur volonté, sans les consulter » (cité in F. Frégosi, op. cit., p. 29-30).

Dans les assemblées mixtes, étant entendu que les femmes sont obligatoirement cachées derrière un rideau, l’imam doit être un homme. Mahomet a émis un précepte formel à ce sujet : « Une femme ne doit jamais conduire les hommes dans la prière » (ibid., p. 91). Le juriste Malek bin Anas (m. 795), fondateur de l’école de droit malékite, a complété cette interdiction en ces termes : « La présidence de la prière par une “imame” est totalement blâmable ». Selon un autre juriste, Chafei (m. 820), fondateur de l’école chaféite, « si une femme dirige la prière d’un groupe mixte, la prière des femmes est valable mais pas celle des hommes et des garçons » (ibid., p. 31-32).

Cependant, aujourd’hui, certains pays, comme l’Egypte, autorisent des femmes à tenir le rôle d’imam pour des assemblées féminines. Le Maroc et l’Algérie ont créé la fonction de « mourchidate » (guide), exercée par des femmes ; diplômées en sciences islamiques, elles interviennent dans les mosquées, les écoles, les hôpitaux et les prisons pour conseiller et prévenir la radicalisation.

Traditionnellement, l’imam était choisi par la communauté au sein de laquelle il vivait. Aucune formation spécifique n’était exigée de lui et il ne relevait d’aucune autorité. A notre époque, la fonction d’imam s’est professionnalisée. Les candidats à l’imamat suivent donc une formation appropriée, sanctionnée par un certificat. En même temps, on assiste à la multiplication d’imams auto-proclamés qui dispensent souvent leur enseignement par les réseaux sociaux, échappant ainsi à tout contrôle des pouvoirs publics.

Il existe dans le sunnisme une institution prestigieuse, El-Azhar, située au Caire (Egypte) et constituée d’une mosquée, d’une université et d’un réseau d’écoles. Son principal responsable, actuellement Ahmed El-Tayyeb, porte le titre de « grand-imam ». Il est nommé par le chef de l’Etat. Son rôle dépasse donc largement les seules attributions liées au culte.

L’imam dans le chiisme

            Dans cette branche de l’islam (minoritaire mais rivale historique du sunnisme, cf. A. Laurent, L’Islam, pour tous ceux qui veulent en parler, éd. Artège, 2017, p. 43-45), le titre d’Imam est attribué au guide de la communauté (Oumma). Il est en quelque sorte l’équivalent du calife sunnite. Le premier Imam fut Ali, cousin et gendre de Mahomet, quatrième successeur de ce dernier.

Le rôle de l’Imam, à la fois religieux et politique, est central. Le titulaire de l’imamat « détient, à l’exception de la révélation [coranique], toutes les prérogatives du Prophète » (Henri Laoust, Les schismes dans l’Islam, Payot, 1977, p. 417). « Ainsi, tout en étant infaillible et possédant la qualité de meilleur des hommes, l’Imam est le médiateur entre les hommes et Dieu, le dépositaire de la loi, le facteur d’unité de la communauté, le chef de la cité » (Mohammad-Reza Djalili, Religion et révolution, Economica, 1981, p. 17). Lors de la révolution iranienne (1978-79), l’ayatollah Khomeyni s’est imposé au sommet de la hiérarchie cléricale chiite en se donnant le titre d’« Imam ».

 

Annie Laurent

alaurent@associationclarifier.fr

 

PFV n° 50 à suivre.


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