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Voir aussi PFV n°49 : L’identité de l’imam ICI

En France, le Conseil Français du Culte musulman (CFCM) est considéré comme l’instance officielle par l’Etat, même si sa représentativité est contestée par une partie non négligeable des musulmans, si bien que, dans la pratique, elle ne peut ni parler en leur nom à tous ni les engager tous.

Le chiisme est extrêmement minoritaire en France. Il existe une Association des Musulmans chiites de France, mais elle n’est pas intégrée au Conseil Français du Culte musulman (CFCM), institution qui ne concerne donc que l’islam sunnite.

1 – L’impossible unité

Les imams qui officient en France ne relèvent pas d’un statut unifié. Certains exercent cette fonction dans le cadre d’une responsabilité plus large. Tel est le cas des recteurs de mosquées dans les grandes villes ainsi que des aumôniers dans les prisons, l’armée et les hôpitaux, cette dernière fonction n’étant cependant pas coutumière en islam. D’autres conduisent la prière en plus de leur travail habituel ou parce qu’ils sont sans emploi, et enfin de manière occasionnelle.

Par ailleurs, l’absence de hiérarchie favorise l’éparpillement idéologique. Ainsi, l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF, devenue Musulmans de France en avril 2017), s’inspire des Frères musulmans ; Foi et Pratique représente le Tablighi Jamaat (Association pour la prédication), mouvement prosélyte et littéraliste qui a beaucoup œuvré à la réislamisation des immigrés ; le salafisme se fonde sur le wahabisme, l’idéologie officielle de l’Arabie-Séoudite. Ces instances recrutent leurs propres imams et gèrent des dizaines de mosquées.

En outre, certaines mosquées et leurs imams dépendent de structures liées à leurs pays d’origine qui en assurent le financement : la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris est « algérienne » ; le Rassemblement des Musulmans de France est « marocain » ; la Turquie dispose de deux Confédérations, Milli Görüs et le Comité de Coordination des Musulmans turcs de France.

Cette absence d’autonomie financière entretient la persistance d’une « gestion consulaire de l’islam » héritée de l’époque coloniale, constate Didier Leschi, ancien responsable du Bureau des cultes au ministère de l’Intérieur, auteur d’un livre récent et très lucide, Misère (s) de l’islam de France (éd. du Cerf, 2017, p. 141).

Il faut enfin compter avec les imams étrangers détachés par l’Algérie, le Maroc et la Turquie, qui séjournent en France pour une durée limitée, notamment durant le Ramadan. Ils seraient environ 300. La plupart d’entre eux ne parlant pas français prêchent dans leur propre langue, ce qui est aussi le cas d’imams résidents permanents. « Une grande partie des 2 500 imams de France ne sont pas francophones, ou pas suffisamment pour prêcher en français », reconnaît Tarik Abou Nour, imam en Ile-de-France (cité par La Croix, 21 avril 2017). En fait, moins d’un tiers seulement des imams ont la nationalité française.

  1. Leschi déplore également la défaillance des imams « qui donnent le sentiment de vivre de l’islam plutôt que pour l’islam», fuyant la réflexion doctrinale, se dérobant face à la violence, incapables de promouvoir un « islam social » et se réfugiant dans la victimisation ou le prétexte de « l’islamophobie » (op. cit., p. 73).

2 – Quelle formation ?

  1. Leschi écrit :  Nous le savons, à de rares exceptions près, les imams ont une formation qui globalement laisse à désirer » (op. cit., p. 127).

Il existe pourtant en France des établissements de formation privés. Le plus connu, l’Institut Européen des Sciences humaines, a été fondé en 1992 par l’UOIF. Installé à Saint-Léger de Fougeret, près de Château-Chinon (Nièvre), il est doté d’un internat, accueille toutes sortes d’étudiants, y compris des filles, et donc pas seulement de futurs imams. Il ne délivre d’ailleurs pas de diplômes d’habilitation pour cette fonction. Et tout se déroule dans un cadre strictement islamique (prières, port du voile pour les étudiantes). Les cours comprennent l’étude des textes fondateurs de l’islam, les écrits d’auteurs ayant inspiré les théories de l’islamisme mais pas ceux des auteurs militant pour la modernisation de la pensée. En 2005, l’Institut a ouvert à Saint-Denis, près de Paris, un second établissement portant le même nom.

En 1992, s’ouvrait aussi une Université islamique de France (en 1993, elle prit le nom d’Institut d’Etudes islamiques de Paris) fondée par Didier Ali Bourg, un Français devenu musulman. Mais celle-ci est fréquentée de manière irrégulière par des étudiants désirant seulement acquérir des connaissances de base sur leur religion.

Ces trois instituts se sont fixé pour objectif l’arabisation et la réislamisation de la jeunesse musulmane de France. Leur financement provient essentiellement des pétro-monarchies du golfe Persique. Auteur d’une étude approfondie sur le sujet, le chercheur Franck Frégosi note que ces deux instituts, « dans l’ensemble, ne font pas une place suffisante à des enseignements, à des disciplines non islamiques ou à des données relatives à la société environnantes » (« Les filières nationales de formation des imams en France », in F. Frégosi, La formation des cadres religieux musulmans en France, L’Harmattan, 1998, p. 101-139).

Il faut également tenir compte des formations non déclarées dispensées par des mosquées salafistes, lesquelles seraient au nombre de 148 (Le Figaro, 3 février 2016).

Enfin, une partie des imams officiant en France sont formés à l’étranger, par exemple à l’Université d’El-Azhar, au Caire, où, malgré l’ouverture affichée par son chef, A. El-Tayyeb, l’enseignement ne favorise pas l’innovation ; dans des instituts d’Arabie-Séoudite, où l’enseignement repose sur le wahabisme ; à l’Institut Mohammed VI de Rabat (Maroc).

3 – Vers des imams à la française ?

Didier Leschi souhaite « qu’apparaisse enfin en France une formation théologique de qualité plutôt que l’on continue à passer des accords diplomatiques pour s’en remettre à des institutions de l’étranger et omettre du même coup que, en la matière, le lieu est presque aussi important que le contenu. Comment ne pas saisir que le questionnement théologique est aussi tributaire de son inscription territoriale ? Qu’on ne se pose pas les mêmes questions quand on est formé à Rabat, Ankara ou Alger qu’à Paris ? […] Il s’agit tout autant que les imams soient instruits du culte qu’ils vont professer qu’imprégnés de la culture au sein de laquelle ils vont officier […]. Il y a urgence à mettre en place un centre de savoir musulman en France qui puisse être en relation aux savoirs universitaires et bénéficier d’eux et qui aurait vocation à délivrer à la fois des formations en sciences islamiques mais aussi en sciences humaines et sociales » (op. cit., p. 129-130). Sans cela, l’incertitude demeurera de savoir « quel est le missel de l’islam de France » (p. 147).

La Charte de l’imam

            Selon le CFCM, la Charte de l’imam, promulguée en mars 2017 (cf. supra), « traduit la volonté des imams de France de proclamer avec solennité les principes et les valeurs qui les animent ». Parmi les douze principes composant le texte, outre l’aptitude au dialogue interreligieux (art. 6) et l’amour de la patrie (art. 8), on trouve « l’attachement profond aux valeurs universelles qui fondent notre république ainsi que l’attachement au principe de laïcité garant de la liberté de conscience et du respect de la diversité des convictions et des pratiques religieuses » (art. 4), et l’impossibilité d’invoquer Dieu « pour justifier la haine et semer la terreur » (art. 7).

Il reste que plusieurs de ces principes sont contredits par l’enseignement du Coran et de la Sunna, lesquels ne peuvent être supprimés à cause de leur caution « divine » et « prophétique ».

L’islam du juste milieu

L’article 2 mérite une mise au point. Il stipule : « L’imam veille à porter et à prêcher un islam ouvert et tolérant, un islam du juste milieu ». L’expression « islam du juste milieu » revient souvent dans le discours des responsables musulmans. Au Maroc, elle fait même partie du vocabulaire officiel. Cette formule est empruntée au Coran où Allah dit aux musulmans : « Aussi avons-nous fait de vous une Communauté de juste milieu » (2, 143, traduction du cheikh Hamza Boubakeur, ancien recteur de la Mosquée de Paris). D’autres traducteurs écrivent : « une Communauté éloignée des extrêmes » (Denise Masson et Régis Blachère) ou : « une Communauté de justes » (éd. El-Bouraq, Beyrouth).

A première vue, il s’agit là d’une invitation à la modération. Mais il convient de noter que ce verset se situe dans le contexte d’une polémique religieuse avec les juifs et les chrétiens, accusés d’exagérations dans leurs croyances. Ce qui justifie la position de Haoues Seniguer, professeur à Sciences-Po Lyon, critiquant son emploi dans la Charte de l’imam : « C’est une expression un peu fourre-tout, dont on ne sait quelles réalités elle recouvre, et dont tout le monde se réclame, même les milieux radicaux ». Pour lui, ce document « est avant tout un signal envoyé à l’Etat et aux non-musulmans » (La Croix, 31 mars 2017).

Quoi qu’il en soit, plusieurs fédérations ont refusé d’adhérer à cette Charte : la Grande Mosquée de Paris, l’UOIF, Milli Görüs, le Comité de Coordination des Musulmans turcs de France, ainsi que l’association Foi et Pratique.

Le Conseil théologique

Réagissant à ces oppositions, Anouar Kbibech, président du CFCM, a reconnu les insuffisances de la situation actuelle concernant l’aptitude des imams à exercer leurs fonctions en France :

 Nous souhaitons être en mesure de vérifier leur formation théologique, mais aussi leur formation civile et civique, et ceci fait encore débat entre nous » (La Croix, 31 mars 2017).

Tel était l’un des objectifs du « Conseil théologique » dont il avait suscité la création sous le parrainage du CFCM, en mai 2016.

 Il est souhaitable d’élaborer une position collégiale et commune sur le plan théologique entre les différentes composantes de l’islam en France », indiquait le communiqué annonçant cette création (Le Figaro, 13 mai 2016).

Sa mission est « d’engager la réflexion et l’effort intellectuel sur la contextualisation de la pratique religieuse en France » et de préparer « un contre-discours basé sur un argumentaire théologique solide, en réponse aux discours véhiculés par certains et qui circulent sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes ». Ce « Conseil théologique », tout en disant vouloir respecter la diversité de l’islam de France, envisageait aussi l’instauration d’une « certification des imams » afin de remédier au fléau des imams auto-proclamés et de rassurer les pouvoirs publics.

Mais cette initiative a été rejetée par l’un des présidents d’honneur du CFCM, Mohammed Moussaoui, fondateur de l’Union des Mosquées de France, d’obédience marocaine. Cette dernière gèrera l’antenne de l’Institut Mohamed VI (Rabat) dont l’ouverture est annoncée pour 2018.

QUELLE SOLUTION ?

   Voici les conseils d’un juriste libanais sunnite, Mohamed Nokkari, qui enseigne à Beyrouth et à Strasbourg :

 Il est urgent de fermer tous les instituts salafistes présents en France ainsi que les mosquées abritant leurs partisans. Nous devons faire pression sur les pays qui abritent ces universités et interdire aux Européens de s’y rendre. D’un côté nous combattons le terrorisme mais de l’autre les jeunes sont influencés par leurs enseignements. Que seuls les imams diplômés de certaines universités soient autorisés à prêcher dans les mosquées de France ! L’Etat français doit dissoudre les organismes musulmans de France et les rassembler en un seul et unique organe religieux et nommer à sa tête quelqu’un de reconnu. Le Concordat qui a cours encore en Alsace et en Lorraine doit être étendu à l’ensemble du territoire. L’Etat doit intervenir et imposer ses structures car l’islam de France est trop divisé et ne peut plus s’organiser. Les musulmans de France peuvent accepter cela car c’est dans la mentalité musulmane que l’Etat puisse intervenir dans la sphère religieuse. Cela sera possible si l’Etat nomme quelqu’un de très ouvert et ayant fait de solides études religieuses. Cela a déjà été le cas au Liban à l’époque du mandat français » (Site Aleteia, 20 novembre 2015).

Un consistoire islamique pourrait répondre à ces exigences. Il devrait être dirigé par une personnalité musulmane de confiance, capable d’imposer l’adhésion de tous les cadres religieux aux principes communs fondateurs de la civilisation européenne ainsi que l’obligation de prêcher en français. Ce faisant, l’Etat s’autoriserait certes à contrôler le contenu d’enseignements doctrinaux, ce qui n’est pas conforme à la laïcité. Mais, à défaut, le problème des imams demeurera insoluble.

Seule une réelle volonté politique pourrait entreprendre ce chantier.

 

Annie Laurent

alaurent@associationclarifier.fr


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