Hors série Islam N°4
Articles parus dans Famille chrétienne, n° 1944 du 18 au 24 avril 2015.
POURQUOI L’ISLAM CONFOND SPIRITUEL ET TEMPOREL
Dans le Coran, Dieu garantit le triomphe inéluctable de l’islam « sur toute autre religion » (48, 28). Cette promesse va de pair avec l’obligation d’appliquer la charia (loi islamique) par étapes jusqu’à ce qu’elle s’impose au monde entier puisqu’elle est réputée d’origine divine et prophétique, la Sunna (Tradition : faits et paroles de Mahomet) complétant le Coran dans l’ordre législatif.
Pour les musulmans, Mahomet est la source d’imitation par excellence, d’où l’importance accordée à son expérience. Or, à Médine, où il vécut de 622 jusqu’à sa mort en 632, le prophète de l’islam, tout en gardant ses prérogatives religieuses, a conçu et gouverné la première cité islamique de l’histoire. Il y a exercé tout à la fois « le principat et le pontificat » selon l’intellectuel français d’origine tunisienne, Abelwahhab Meddeb.
Dès le début, il y a donc eu confusion des pouvoirs. C’est pourquoi l’islam ignore le concept de laïcité, que ce soit sous forme d’une distinction ou d’une séparation entre le temporel et le spirituel. Si bien que seul un dirigeant musulman, sans que celui-ci soit forcément un « religieux » et quel que soit par ailleurs le régime en place (monarchie, république), bénéficie de la légitimité pour gouverner un pays où l’islam est majoritaire. Lui seul est censé pouvoir veiller à l’application de la charia, celle-ci concernant aussi bien la vie publique que la vie privée. Pour de nombreux musulmans, la laïcité à l’occidentale équivaut au refus des peuples chrétiens ou post chrétiens de se soumettre à la Loi de Dieu.
L’ÉGLISE DISTINGUE LES POUVOIRS SANS LES SÉPARER
Ce qu’il est convenu d’appeler « laïcité » repose sur une parole du Christ, « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21), qui introduit la distinction entre les deux pouvoirs, le spirituel et le temporel.
L’Eglise n’a pas reçu du Christ la mission de s’immiscer dans le gouvernement temporel des divers Etats, même si ceux-ci peuvent lui demander son concours et assurer sa liberté interne en la munissant d’une certaine assise temporelle. Car les divers Etats outrepassent leur mission propre en s’immisçant dans toutes les questions touchant à la foi de l’Eglise et à son gouvernement, ainsi qu’aux fondements de la loi naturelle révélée par Dieu mais inscrite dans le cœur de chaque homme. La définition actuelle de la laïcité, conçue comme séparant les deux pouvoirs, s’est éloignée de son origine évangélique.
Benoît XVI a donné une explication limpide à ce sujet.
La saine laïcité signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux. Aucune société ne peut se développer sainement sans affirmer le respect réciproque entre politique et religion en évitant la tentation constante du mélange ou de l’opposition. Le rapport approprié se fonde, avant toute chose, sur la nature de l’homme – sur une saine anthropologie donc – et sur le respect total de ses droits inaliénables. La prise de conscience de ce rapport approprié permet de comprendre qu’il existe une sorte d’unité-distinction qui doit caractériser le rapport entre le spirituel (religieux) et le temporel (politique), puisque tous deux sont appelés, même dans la nécessaire distinction, à coopérer harmonieusement pour le bien commun. Une telle laïcité saine garantit à la politique d’opérer sans instrumentaliser la religion, et à la religion de vivre librement sans s’alourdir du politique dicté par l’intérêt, et quelquefois peu conforme, voire même contraire, à la croyance » (Ecclesia in Medio Oriente, n° 29).
Annie Laurent