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D’OÙ VIENNENT LES CHRÉTIENS D’IRAK ?

Article paru dans L’Homme nouveau n° 1573 du 13 septembre 2014

Le christianisme s’est implanté en Haute-Mésopotamie dès le 1er siècle au sein d’un peuple sémite, les Araméens, dont la langue était aussi parlée en Palestine puisque le Christ et ses apôtres en usaient habituellement. La tradition attribue l’évangélisation de cette contrée à saint Thomas qui y séjourna avant de poursuivre sa mission jusqu’aux Indes, confiant alors à Thaddée, l’un des « soixante-douze » choisis par Jésus (Lc 10, 1), et à leur disciple Mari, le soin de consolider cette Eglise naissante. Puis, des tribus juives et arabes, établies plus au sud, autour de Babylone et d’Our en Chaldée, le pays d’Abraham, se convertirent à leur tour.

Entre 341 et 379,

soumis à la domination des Perses sassanides, qui imposèrent le mazdéisme comme religion officielle, les chrétiens subirent de cruelles persécutions.
Dès ses débuts, l’Eglise de Mésopotamie se rattacha au siège d’Antioche, l’une des trois métropoles de l’Empire romain (avec Rome et Alexandrie) ayant joué un rôle essentiel dans l’évangélisation. Les évêques de ces villes jouissaient d’une primauté sur ceux du territoire relevant de leur juridiction, lequel était découpé en éparchies (« provinces » en grec). Cette hiérarchisation fut confirmée en 325 par le premier concile œcuménique, tenu à Nicée, qui donna la préséance à Rome et ajouta deux autres sièges : Jérusalem et Constantinople. Telle est l’origine des patriarcats.

Au Vème siècle,

la Chrétienté mésopotamienne s’organisa en Eglise autonome. Dans l’espoir d’en finir avec les persécutions, elle rompit d’abord son lien de subordination avec Antioche, cité qui dépendait de l’Empire byzantin ennemi des Perses, créant son propre patriarcat à Séleucie-Ctésiphon (410). Cette séparation ne lui ayant pas apporté la paix escomptée, et bien décidée à montrer qu’elle n’était pas soumise à Constantinople, elle adhéra officiellement à l’hérésie de Nestorius qui privilégiait l’humanité de Jésus au détriment de sa divinité, doctrine condamnée au concile d’Ephèse (431). L’Eglise « nestorienne » connut alors la tranquillité ainsi qu’une expansion prodigieuse vers l’Est puisqu’elle porta l’Evangile jusqu’en Chine. Mais son isolement par rapport aux patriarcats historiques, situés à l’Ouest, entraînant son appauvrissement culturel et spirituel, la rendit incapable de résister aux assauts de l’Islam, qui envahit la Mésopotamie dès le VIIème siècle, puis au déferlement des Mongols, au XIVème siècle.

En 780,

le siège de l’Eglise de l’Orient, comme elle se désignait elle-même, fut transféré à Bagdad, capitale du califat musulman.
C’est aussi pour se dégager de la tutelle byzantine qu’une partie des chrétiens de Mésopotamie adopta une autre hérésie, le monophysisme, prôné par un moine syrien, Eutychès, pour qui la nature humaine du Christ était absorbée par sa nature divine, théorie condamnée au concile de Chalcédoine (451).

Cette nouvelle Eglise fut appelée « jacobite », du nom de son fondateur, Jacques de Tella, ou « syrienne » en raison de la localisation de son patriarcat à Antioche, fondé en 563. Ayant d’abord profité de la conquête islamique qui les débarrassait des pouvoirs byzantin et perse, les jacobites souffrirent des dynasties musulmanes (Arabes, Turcs, Mongols) qui se succédèrent au Proche-Orient.

Dès le XIIIème siècle,

d’abord sous l’influence des Croisés puis, plus tard, sous celle des missionnaires latins, des rattachements au siège de Pierre se produisirent au sein de ces Eglises schismatiques, ce qui entraîna l’érection de deux patriarcats catholiques : celui de l’Eglise « syrienne », fixé à Charfé (Liban) en 1782, et celui de l’Eglise chaldéenne, établi à Bagdad en 1830. Les chaldéens représentent la majorité au sein du christianisme irakien.

Quant aux chrétiens demeurés séparés de Rome, ils se répartissent en deux communautés. La première est l’Eglise assyrienne de l’Orient. Son siège a été transféré à Chicago (Etats-Unis) à la suite du massacre perpétré contre ses membres en 1933 par l’Etat irakien. Alors sous mandat britannique, celui-ci s’opposait au projet d’indépendance des Assyriens qui espéraient ainsi échapper au pouvoir musulman. La seconde est l’Eglise syrienne d’Antioche et de tout l’Orient, dont le patriarche réside à Damas.

Au siècle dernier,

des rapprochements se sont opérés entre ces Eglises et le Saint-Siège. En 1984 et 1994, Jean-Paul II a signé successivement avec le patriarche syro-orthodoxe, Ignace-Zakka 1er Iwas, et son homologue assyrien, Mar Denkha IV, des déclarations communes attestant leur identité de foi christologique. Ces textes admettent que les anciennes ruptures ne reposaient pas que sur des raisons théologiques mais étaient également motivées par des malentendus linguistiques et des considérations de circonstance. Depuis lors, il ne convient plus de qualifier ces chrétiens de « nestoriens » ou de « jacobites » mais ils ne sont pas (encore) catholiques.

A partir du XVIème siècle,

grâce aux Capitulations signées entre François 1er et Soliman le Magnifique, qui autorisaient les sujets latins à circuler librement sur les terres ottomanes, le Saint-Siège encouragea l’établissement de missions catholiques en Irak. Dominicains, carmes, jésuites, lazaristes et capucins européens y bâtirent des couvents, des séminaires, des écoles et des hospices. En 1638, un archevêché latin fut créé à Bagdad, son titulaire étant, par tradition, toujours un carme.

Aujourd’hui,

l’Eglise latine s’appuie beaucoup sur les dominicains, hommes et femmes, tous Irakiens, très actifs dans l’enseignement. Puis, l’Irak accueillit des Arméniens et des protestants qui disposent, eux aussi, de leurs propres structures.

Durant les siècles de gouvernement islamique, les chrétiens autochtones furent soumis au statut inégalitaire de la dhimmitude. Sous le régime du parti Baas (1963-2003) qui, malgré sa réputation laïque, avait proclamé l’islam religion d’Etat, ils ont bénéficié d’une totale liberté de culte et d’enseignement, à condition de faire allégeance au président Saddam Hussein. La nouvelle Constitution, adoptée en 2005, maintient les juridictions propres des Eglises pour les affaires relatives au statut personnel, mais elle oblige le Parlement, où les chrétiens ne disposent que de 3 sièges sur 275, à voter des lois conformes à la charia.

Le système mis en place après le renversement de S. Hussein par les Etats-Unis, dominé par la majorité confessionnelle qui est chiite, se montre depuis le début incapable d’assurer la sécurité des chrétiens et donc d’empêcher leur exode.

Annie Laurent