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Radio-Espérance, 24 décembre 2014- en AUDIO ICI

Pour la cinquième année consécutive, les chrétiens du monde arabe célèbrent la Nativité du Sauveur dans un contexte profondément déstabilisé, à cause des révoltes populaires et de leur répression par les régimes autoritaires, mais aussi à cause des radicalisations islamiques et du jeu des nations, prêtes à sacrifier les chrétiens sur l’autel d’intérêts discutables, fussent-ils parés de vertus telles que la démocratie et les droits de l’homme.
Ainsi, en Irak, la guerre déclenchée par les Etats-Unis en 2003 et l’occupation qui a suivi ont ouvert les portes d’un enfer qui n’ont pas pu se refermer, comme l’a montré l’irruption du califat à Mossoul. En Syrie, l’exigence du départ du président Assad formulée par la France comme unique solution à la crise qui détruit ce pays a encouragé les Etats arabes et la Turquie à soutenir les djihadistes. En Egypte, l’appui que les Occidentaux ont apporté à un régime islamiste, celui des Frères musulmans, sous prétexte que ce dernier était élu selon une procédure démocratique, a précipité le pays dans la violence religieuse. Partout, on passe d’une vengeance à l’autre au sein de l’Islam. Et partout les chrétiens paient le prix fort de ces secousses qui les placent face à un avenir incertain et angoissant. La peur les habite, au point que, même s’ils n’y sont pas directement poussés, un grand nombre d’entre eux ne songent qu’à émigrer et à s’établir dans cet Occident qui, après leur avoir causé un tort considérable, cherche lâchement à organiser leur exode.
Beaucoup de chrétiens, y compris au sein du clergé, ont perdu confiance : ils ne croient plus en la survie de l’Eglise sur sa terre natale. Cette attitude est humainement compréhensible, mais elle est grave, et certains en ont conscience. Aujourd’hui, des voix chrétiennes dans la région invitent leurs coreligionnaires à une réflexion en profondeur sur cette question. Sans nier la légitimité de la peur, il s’agit de se demander si elle n’est pas aussi le symptôme d’un affaiblissement de la foi en Dieu.
Cette réflexion est proposée par deux prêtres catholiques orientaux, membres du patriarcat latin de Jérusalem, auteurs d’articles remarquables. Le premier est le Père Rafiq Khoury. Dans une étude publiée par la revue Proche-Orient chrétien, éditée par les Pères Blancs à Jérusalem, il explique l’angoisse ressentie par les chrétiens de Palestine face aux tragédies des pays voisins et à la perspective d’un Etat indépendant qui serait dominé par l’Islam radical. Cet Islam radical, fait-il remarquer, est d’ailleurs suscité par l’injustice de la politique israélienne, couverte par l’Occident. Pour le Père Khoury, les chrétiens du Proche-Orient doivent comprendre que leur salut ne viendra jamais de l’extérieur. Il ne peut venir que de leur foi profonde, de leur enracinement dans leurs patries et de leur contribution au développement de leurs sociétés.
Le second article, qui vient de paraître dans la revue Etudes de décembre, est signé du Père jésuite israélien, David Neuhaus. Il est d’une rare pénétration et comporte une forte exigence. Tout en étant parfaitement lucide sur la vulnérabilité des chrétiens du Proche-Orient et sans les juger pour leur peur, il les exhorte à en considérer les effets pervers. Pour lui, le premier fruit de la peur est leur tendance à s’isoler, d’abord géographiquement en se regroupant dans leurs quartiers et leurs institutions, donc en fuyant leur voisinage musulman, ensuite culturellement en rejetant la composante arabe de leur identité. Le Père Neuhaus rappelle tout le bien que les chrétiens peuvent apporter à leur entourage musulman et juif, lorsqu’ils ont conscience des responsabilités que leur impose leur baptême et la nécessité de suivre le Christ. Le prêtre rend hommage aux chrétiens qui sont prêts à assumer cette vocation dont la Croix constitue l’horizon toujours possible.
En tant que chrétiens d’Occident, il nous incombe de comprendre et de soutenir cette vocation, sans nous limiter aux secours matériels que la charité nous impose cependant. L’été dernier, le cardinal Barbarin a jumelé son diocèse de Lyon avec celui de Mossoul. Je rêve qu’à sa suite, chaque évêque de France en fasse autant avec un diocèse choisi en Irak, en Syrie, au Liban, en Egypte, en Turquie et en Terre Sainte. Cela pourrait racheter les péchés politiques de l’Occident et constituerait un formidable encouragement pour nos frères d’Orient.

Annie Laurent