Article paru dans La Nef n° 324-325 – Avril-mai 2020
Par Annie LAURENT
Alors que le président Macron avait annoncé sa volonté d’en finir avec le « séparatisme islamiste », un livre tout récent (1) montre qu’il a du pain sur la planche !
La photo d’une musulmane revêtue d’un voile intégral et côtoyant le président Macron à Mulhouse le 18 février est bien mal tombée alors que cette visite dans la ville qui abrite la plus grande mosquée de France était placée sous le signe d’une « reconquête républicaine ». Le chef de l’Etat venait d’annoncer solennellement son intention d’en finir avec le « séparatisme islamiste » et d’énumérer les mesures qu’il entend instaurer pour promouvoir un « islam de France » à la place d’un « islam en France ». Emmanuel Macron a ponctué son discours par l’affirmation forte de deux convictions. « Dans la République, l’islam politique n’a pas sa place (…) ; on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République » (1).
De tels principes peuvent-ils être acceptés par les musulmans de France ?
Pour Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), cela ne fait aucun doute. « Les musulmans de France ne veulent pas d’un ghetto communautaire », affirme-t-il dans une tribune (2).
Cette assurance est pourtant largement démentie par les études sérieuses sur l’influence croissante de l’islamisme, qui se multiplient désormais à travers des livres documentés. Les territoires conquis de l’islamisme, que vient de publier Bernard Rougier, plonge le lecteur dans ces milieux organisés en écosystèmes (3). Directeur du Centre des Etudes arabes et orientales, cet universitaire y rassemble le fruit des recherches de treize auteurs. La majorité sont des étudiants français d’origine maghrébine ou subsaharienne qui sont allés enquêter sur le terrain et rencontrer des militants dans des quartiers populaires dont ils sont eux-mêmes issus. « A ce titre, ils ont observé, mieux que quiconque, les modalités idéologiques et pratiques de la prise de pouvoir des islamistes sur l’expression de l’islam en France », souligne Rougier, qui signe aussi plusieurs chapitres.
Le résultat est stupéfiant. Quatre mouvements, dont l’origine, l’identité et le projet sont présentés en début d’ouvrage, entretiennent une logique de rupture avec la société et ses institutions : Frères musulmans, salafisme, djihadisme et Tablîgh. Ce dernier, moins connu, qui a été fondé en Inde, a établi son centre français à Saint-Denis ; il se signale par son prosélytisme rigoriste à l’adresse des musulmans qu’il œuvre à reconvertir en donnant la priorité à l’imitation intégrale de Mahomet. Bien que rivaux, ces mouvements vivent parfois une forme d’hybridation. « Des militants d’orientations diverses s’opèrent dans les structures de socialisation ».
Parmi les moyens mis au service de la réislamisation, les librairies, secteur généralement trop peu étudié, ont un rôle privilégié. La plupart des livres qui y sont vendus, y compris ceux qui sont destinés aux enfants, opposent l’islam à « l’Occident décadent » et l’on n’y trouve que très rarement les auteurs adeptes d’un islam libéral. Internet, avec ses vidéos et ses sites d’échanges, ainsi que des chaînes de télévision, certaines cryptées (on en compte au moins 250 francophones), s’inscrivent dans la même perspective. Des mariages entre djihadistes y sont organisés pour le combat en Irak et en Syrie.
Aubervilliers, Mantes-la-Jolie, Argenteuil, Toulouse, le Val-de-Marne et Bruxelles : dans ces lieux, les auteurs ont reconstitué les itinéraires de terroristes connus ; ils ont aussi écouté les prêches des imams. Ceux-ci dressent des frontières infranchissables entre les musulmans et les « mécréants », qui, même bons et généreux, ne peuvent pas plaire à Allah et gagner le paradis. Les vêtements islamiques, masculins et féminins, sont destinés à marquer les territoires islamisés. Là, il n’est pas question d’accepter la moindre concession aux valeurs républicaines, telles que la mixité entre adultes et l’égalité entre l’homme et la femme, et même parfois de voter car il n’est pas bon de donner du crédit à ceux « qui font des lois contraires aux lois d’Allah ». Macron est ici visé directement.
L’un des chapitres les plus saisissants rapporte les confidences des musulmanes prisonnières à Fleury-Mérogis. Avides de pureté et d’idéal, beaucoup sont devenues salafistes dès l’adolescence. L’idéal motive ceux qui passent de la délinquance au terrorisme : la valorisation du djihadisme, présenté comme un engagement pur et bon, est alors perçu comme un moyen de rédemption.
La lecture de ce livre laisse augurer bien peu de chance de réussite aux projets du chef de l’Etat. Il en ira ainsi tant que les dirigeants français n’auront pas saisi le lien constitutif entre religion et politique dans l’islam, ce qui en fait un système étranger à la culture européenne. En attendant, « l’assimilation recule, l’islamisation progresse », note le député Christian Vanneste (4).
- Le Monde, 20 février 2020.
- Id., 19 février 2020.
- PUF, 2020, 23 €.
- Site La faute à Rousseau, 20 février 2020.