En choisissant d’apparaître dans un lieu portant un nom musulman,
la Vierge Marie aurait-elle voulu également délivrer un message relatif à l’islam ? Rien, dans tout ce qu’a confié Sœur Lucie et qui a été authentifié par l’Eglise catholique, ne permet de l’affirmer. En revanche, depuis l’instauration de la République d’Iran par l’ayatollah Khomeyni (1979), une partie des chiites sont persuadés qu’il existe un lien entre les faits surnaturels de Fatima et le triomphe final de l’islam.
Pour les autorités religieuses de Qom,
principal centre chiite iranien, ce n’est pas Marie qui serait apparue dans le village portugais ; il s’agirait de Fatima, fille de Mahomet, épouse d’Ali, cousin de ce dernier, et mère d’Hussein, tous quatre personnages de référence pour le chiisme. Fatima, vénérée par de nombreux musulmans, aurait prédit l’assassinat du pape, la ruine du Vatican, « royaume de Satan », et l’anéantissement du judaïsme et du christianisme, le tout suivi du retour du Mahdi, l’imam occulté qui doit présider au règne universel de l’islam chiite. « Tel est le contenu du troisième secret, que le Vatican connaît mais qu’il tient bien caché », affirma-t-on à Ali Agça, militant turc fanatisé, durant un séjour en Iran où, chargé par Khomeyni d’aller à Rome pour tuer Jean-Paul II le 13 mai 1981, il fut préparé à sa mission afin d’accomplir cette « prophétie », comme il le raconte dans son autobiographie (1).
La thèse d’une erreur de l’Eglise catholique
concernant l’identité de la belle Dame sera reprise dans un documentaire diffusé en octobre 1995 par la télévision iranienne, qui exploitait ainsi l’ouvrage d’un sociologue portugais, Moises Espirito Santo, Les Maures fatimides et les apparitions de Fatima, édité à Lisbonne au printemps précédent. Pour cet auteur, le culte de Fatima serait resté « à l’état latent » dans son pays depuis le temps de l’occupation arabo-islamique (VIIIè-XIVè siècles). La tête couverte aujourd’hui encore des femmes pieuses, le goût des pèlerins pour la douleur et le sang (longues processions pieds nus ou à genoux sur des chemins caillouteux), l’usage répandu du prénom de Fatima (2), entre autres « héritages » islamiques, en seraient des signes probants.
Voyons donc quelle est l’origine du nom
porté par la localité où se déroulèrent les événements surnaturels de 1917. Il faut remonter à 1158, en pleine Reconquête de la Lusitanie (nom alors donné au Portugal). Lors de la bataille de Santarem, le seigneur musulman d’Alcacer do Sal fut vaincu par dom Gonçalo Hermigues, surnommé Traga-Mouros (Mange-Maures), qui captura sa fille Fatima dont il s’éprit. Pour récompenser le vaillant capitaine chrétien, le roi Afonso Henriques consentit au mariage des deux jeunes gens, à condition que Fatima fût catéchisée et baptisée. Celle-ci accepta et prit le prénom d’Oureana. Après sa mort, son époux, retiré comme moine à l’abbaye cistercienne d’Alcobaça, fit déposer ses restes dans la chapelle d’un prieuré voisin. Sans que l’on sache comment, ce lieu fut appelé Fatima. C’est dans cette chapelle, érigée en paroisse, que Lucie et ses cousins ont été baptisés.
L’émission mentionnée plus haut suscita un immense engouement chez les Iraniens. Nombre d’entre eux déposèrent des demandes de visas à l’ambassade du Portugal à Téhéran, tandis que des agences de voyage projetaient d’organiser des pèlerinages dans ce nouveau « lieu saint » de l’islam. Pour freiner cet élan mystique, susceptible de déclencher une crise islamo-chrétienne, et défendre l’honneur des voyants de Fatima contre toute accusation d’imposture, le Saint-Siège publia, le 8 décembre 1995, une mise au point qui précisait :
Les papes et les pèlerins qui se sont rendus au sanctuaire l’ont fait pour vénérer la Bienheureuse Vierge Marie, la mère du Christ, et non la fille du prophète de l’islam ».
Le gouvernement iranien réagit avec modération, prenant ses distances avec le documentaire.
Pour sa part, après la visite que Jean-Paul II lui rendit dans sa prison
et le pardon qu’il lui accorda (27 décembre 1983), Ali Agça, dans son livre précité, paru en 2013, se dit conscient d’avoir été trompé par les ayatollahs de Qom et certain que c’est bien Marie qui a été vue et entendue à Fatima. Mais, persuadé que le fanatisme islamique n’a pas dit son dernier mot, il explique l’attentat manqué de 1981 comme le prélude à un affrontement mondial et redoute le centenaire des apparitions.
Quoi qu’il en soit, rien n’interdit de penser que Marie
ait pu choisir d’annoncer le triomphe de son Cœur Immaculé en un lieu portant le nom de la femme la plus admirée en islam après elle-même, dans l’intention délicate de toucher ceux qui, parmi les musulmans, la vénèrent avec ferveur. De ce point de vue, une part du mystère de Fatima reste peut-être à découvrir.
Annie Laurent
Article paru dans La Nef n° 292, mai 2017____
(1)Je devais tuer le pape, éd. l’Archipel, 2013.
(2) En fait, ce prénom n’est usité au Portugal que depuis le développement du pèlerinage de Fatima.