« Les coptes aiment le maréchal Sissi », me confiait cet automne une amie française établie depuis des années au Caire. Il est vrai que les chrétiens d’Egypte se sentent mieux depuis l’arrivée à la tête de l’Etat de l’ancien ministre de la Défense, Abdel-Fatah El-Sissi, plébiscité lors de l’élection présidentielle du 28 mai 2014, après avoir renversé, le 3 juillet 2013, le président Mohamed Morsi, membre de la confrérie islamiste des Frères musulmans, qui avait été élu un an auparavant. Ce changement a été cautionné par l’Eglise au plus haut niveau, notamment par le patriarche des coptes-orthodoxes, Théodore II.

Le président Sissi,

qui se montre bienveillant envers le primat de la principale Eglise d’Egypte, a visiblement l’intention d’œuvrer à la pacification des relations entre les diverses communautés qui composent la nation. Plusieurs initiatives récentes illustrent aussi sa volonté de considérer les coptes comme des citoyens de plein droit.
Le 11 octobre, le Premier ministre, Ibrahim Mahlab, a participé à une cérémonie marquant la fin des travaux de restauration d’une église historique, appelée communément « la Suspendue », à laquelle les coptes sont très attachés. Situé dans le quartier du Vieux-Caire, ce très ancien édifice, bâti au Vème siècle, doit son surnom à son impressionnante élévation. L’église a en effet été construite à dix mètres au-dessus du niveau du sol, sur les tours d’une antique forteresse, dite de Babylone, érigée là au temps de l’Empire romain.

Selon la tradition copte,

la Sainte Famille, fuyant les persécutions d’Hérode, aurait fait halte en cet endroit. L’achèvement du chantier était donc très attendu. Au cours de l’inauguration, le Premier ministre, qui est musulman, a tenu à reconnaître le patriotisme des coptes en citant une parole du défunt Chenouda III, prédécesseur de Théodore II :

L’Egypte n’est pas un Etat où nous vivons, mais un pays qui vit dans notre âme ».

Dix jours après, ce même dirigeant, aux côtés du patriarche et d’autres dignitaires religieux représentant diverses Eglises, a annoncé le lancement d’une campagne pour promouvoir le pèlerinage des étrangers sur les pas de la Sainte Famille. Un circuit spirituel en six jours a été préparé en étroite collaboration avec la hiérarchie chrétienne.

Les coptes sont très fiers d’avoir accueilli Jésus, Marie et Joseph pour un séjour qui aurait duré trois ans et demi. Une fête inscrite au calendrier liturgique de leur Eglise commémore d’ailleurs cet événement qui n’est pas qualifié de « fuite » mais, comme il se doit, « d’entrée de la Sainte Famille en Egypte ». A partir du Sinaï puis, après une étape dans ce qui est aujourd’hui Le Caire, les exilés venus de Palestine se seraient embarqués sur une felouque pour descendre le Nil vers le sud. Des sanctuaires jalonnent le parcours présumé des hôtes sacrés jusqu’à Dronka, où le monastère Sainte-Marie (Deir El-Moharraq) marque le point ultime de leur périple.
Les chrétiens attendent maintenant le vote d’un projet de loi en cours d’examen portant sur une amélioration des conditions relatives à l’édification de lieux de culte. La nouvelle Constitution, adoptée par référendum en janvier dernier, en fait une priorité pour le Parlement qui sera élu en 2015. Il s’agit « d’assurer aux chrétiens la liberté de pratiquer leurs rites religieux » (art. 235).
Jusqu’à présent, aucune loi ne régit les demandes de permis de construire des églises qui relèvent donc de l’arbitraire de l’Etat. En fait, l’autorisation nécessite un décret présidentiel qui n’est délivré qu’avec le feu vert du ministère de l’Intérieur, lequel impose des règles telles que l’éloignement de certains bâtiments (écoles, édifices gouvernementaux, mosquées, etc.). Il faut y ajouter les tracasseries administratives. Les délais sont donc interminables (au moins quinze ans) et des refus toujours possibles. Tout cela prive d’églises des quartiers urbains et des villages habités par des coptes qui ont parfois recours à des constructions sans permis. Si la loi est adoptée, elle imposera un délai de 60 jours à la suite du dépôt du dossier et toute absence de réponse vaudra approbation.

Un vent d’optimisme souffle donc chez les coptes.

Aujourd’hui, il y a un changement radical, la nouvelle direction du pays est prometteuse, nous avons un gouvernement qui travaille pour le bien de la patrie et du peuple »,

déclare Monçef Soliman, membre du Conseil communautaire de l’Eglise copte-orthodoxe (1).

Mais cette bonne disposition suffira-t-elle à donner aux chrétiens tous leurs droits ? Un autre copte, l’intellectuel Gamal Assaad, en doute.

 Le problème n’est pas de promulguer la loi mais de garantir tous les moyens de son application. Nous avons en Egypte un grand problème de mentalité, voire même d’éducation qui fait qu’un bon nombre de musulmans radicaux refusent la construction des églises, estimant qu’elles vont à l’encontre des principes de l’islam » (2).

La remarque est justifiée :

malgré leur mise hors-la-loi par Sissi les Frères musulmans conservent une influence certaine sur une grande partie de la population qui a bénéficié à la fois de leur générosité et de leur endoctrinement. Il faut en outre compter avec le parti salafiste El-Nour (la Lumière), plus extrémiste encore, qui reste autorisé.

Or, pour l’islam traditionnel, accorder l’égalité à des chrétiens, fussent-ils des compatriotes, est une injustice faite aux « vrais croyants ». La capacité du gouvernement à aller contre ce principe aura valeur de test pour l’avenir de l’Egypte.

Annie Laurent

Article paru dans La Nef n° 265 – Décembre 2014
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(1) El-Ahram Hebdo, 5-11 novembre 2014.
(2) Id.