Conférence donnée par Annie Laurent au groupe EFD du Parlement européen, à Paris, le 18 février 2014
Introduction
Au seuil du IIIème millénaire, un constat s’impose : l’Europe n’est plus ce continent très largement chrétien qu’il était encore jusqu’au milieu du XXème siècle, sociologiquement parlant du moins.
Aujourd’hui, il se caractérise par un pluralisme religieux dont l’islam est l’un des traits les plus marquants. En effet, une importante minorité musulmane s’y affirme avec de plus en plus de visibilité, bousculant de la sorte un monde sécularisé et en crise d’identité.
En même temps, cet islam est traversé par de multiples courants dont on ne sait pas lequel finira par l’emporter. Sur ce point, les Européens de souche ont un rôle important à jouer.
L’islam est l’un des plus grands défis auxquels l’Europe actuelle est confrontée. Voici ce qu’écrivait en 2001 le cardinal Giacomo Biffi, ancien archevêque de Bologne, sur cette immigration musulmane :
Le phénomène se présente lourd et grave ; et les problèmes qui en découlent – pour la société civile comme pour la communauté chrétienne – comportent beaucoup d’aspects nouveaux, doublés de complications inédites, ayant un fort impact sur la vie de nos populations ».
Il ajoutait :
Nous sommes en présence d’une interpellation de l’histoire. Il faut l’affronter sans panique et sans superficialité » (1).
De fait, ce sont là les deux termes indispensables à un jugement équilibré et à des choix responsables.
Il faut bannir la peur et l’irénisme, choisir la lucidité et le courage. Pour cela, il est essentiel de ne plus se laisser submerger par l’émotion ou l’approche compassionnelle mais de redonner sa juste place à la raison.
Plan
I – L’identité des musulmans en Europe
II – Peut-il y avoir un islam européen ?
III – Les erreurs des Etats européens
Conclusion – Des solutions pour une Europe apaisée.
I – L’IDENTITÉ DES MUSULMANS EN EUROPE
1°/ Quelques caractéristiques
a) Combien y a-t-il de musulmans en Europe ? En 2007, leur nombre était estimé à 16 millions pour l’ensemble des pays de l’Union européenne (UE). Certaines études prévoient que les musulmans représenteront 8 % des Européens en 2030. Et si la Turquie intégrait l’UE, il faudrait y ajouter 80 millions de personnes. Ce pays étant le plus peuplé, il disposerait du plus grand nombre de sièges au Parlement de Strasbourg. On mesure les conséquences que cela aurait sur les orientations de l’UE.
Il est malaisé de donner des indications précises car dans certains Etats de l’UE, il est interdit de retenir les données confessionnelles dans les recensements, au nom de la laïcité et du respect des convictions religieuses.
b) Des provenances diverses.
- Maghreb et Proche-Orient arabes ;
- Turquie, Russie, Caucase ;
- Asie centrale et Extrême-Orient : Iran, Afghanistan, Pakistan, Inde, Indonésie ;
- Afrique noire ;
- Balkans : il s’agit là de musulmans de souche européenne, islamisés pendant l’Empire ottoman ;
- Les Européens de souche convertis à l’islam.
c) Diversités culturelles, cultuelles, juridiques, politiques.
L’islam comme religion est un mais il y a des manières différentes de le comprendre et de le vivre.
- Les pays ayant hérité de systèmes laïcs mis en place lors de l’époque coloniale (Afrique noire),
- Les sociétés dont l’islam imprègne toute la vie, publique et privée (pays arabes, Asie centrale),
- Les Turcs tiraillés entre le sunnisme inséparable de la turcité et la sécularisation héritée du système d’Atatürk,
- Les Iraniens ayant quitté leur pays lors de la Révolution de 1979 : très laïcisés.
A noter que la grande majorité des musulmans d’Europe appartiennent au sunnisme.
- Islam tranquille, privatisé, et Islam militant et prosélyte.
- Quel est le véritable Islam, l’Islam authentique ? Islam, religion de paix, d’amour et de tolérance ? Islam, religion idéologique, guerrière, intolérante ?
- L’islam sunnite, ultra-majoritaire, n’étant pas doté d’une structure hiérarchique représentative, il est impossible de répondre à cette question.
Cette diversité rend pertinente la formule : « L’islam est pluriel ». Mais ce constat ne doit pas servir de prétexte pour dissimuler les vrais problèmes que pose l’islam à partir de ses sources fondamentales, notamment le Coran et la Sunna (la tradition mahométane).
L’islam n’est donc plus un facteur étranger à l’Europe mais une composante interne. Il ne se confond plus systématiquement avec l’immigration.
Cet enracinement dans l’Europe s’accompagne d’une réappropriation de la religion et de la culture. Evolution importante de ce point de vue. Les premiers immigrés, après la Seconde Guerre mondiale, venaient en célibataires, pour une période transitoire, avec l’espoir de retourner dans leurs pays. Ils n’avaient pas de revendications particulières sur le plan religieux et cultuel. Peu à peu, ils ont bénéficié de mesures qui ont favorisé leur communautarisation, par exemple l’extension du regroupement familial.
Un changement de perspective est apparu, illustré par cette remarque du Cardinal Bernard Panafieu, ancien archevêque de Marseille :
Naguère nous rencontrions des musulmans, aujourd’hui nous rencontrons l’islam ».
L’islam est devenu la deuxième religion après le christianisme (toutes confessions confondues).
Comme leurs coreligionnaires dans le monde entier, les musulmans d’Europe se réislamisent à vive allure, subissant notamment l’influence de l’islam de la péninsule Arabique. Cela se manifeste de diverses manières.
- La pratique du culte est en constante augmentation. Cf. la construction de mosquées, les prières dans les rues, la demande de nourriture halal, des horaires séparés pour les femmes dans les lieux de loisirs, etc. En France, au moins 70 % des musulmans observent le Ramadan, ce qui est surprenant, compte tenu des contraintes qu’il impose et des difficultés à le pratiquer dans une société non-musulmane. Il est de plus en plus suivi par des non-pratiquants habituels et par des élèves alors qu’il n’est obligatoire qu’à partir de la puberté. C’est une pratique qui se vit en communauté.
- La propagation du port du voile par les femmes : signe d’une affirmation identitaire qui gagne de plus en plus les jeunes générations. Je reviendrai sur cette question.
On a longtemps voulu minimiser le phénomène en considérant que les musulmans d’Europe étaient aussi peu pratiquants que les chrétiens. C’était pour rassurer, comme si, même sans le dire, on considérait qu’être musulman, assidu à sa pratique et attaché à sa doctrine, pouvait poser des problèmes à nos sociétés.
Par ailleurs, les spécialistes de l’islam ont trop voulu réduire leurs analyses à la sociologie, sans tenir suffisamment compte des spécificités propres de l’identité musulmane. Ils ont ainsi oublié que les hommes sont façonnés par une culture.
On commence à se rendre compte qu’une attitude privilégiant l’accueil de cette nouvelle religion et fondée sur une approche laïcisante ne permet pas d’appréhender la réalité islamique dans son exactitude et sa totalité.
Elle ne permet pas de donner des réponses adéquates au défi présenté par l’Islam puisque celui-ci est porteur d’un projet qui se veut à la fois social, politique et religieux : englobant, totalisant, voire totalitaire.
Cardinal Biffi :
L’identification absolue entre religion et politique fait partie de la foi à laquelle les musulmans ne peuvent renoncer, même s’ils attendent prudemment pour la faire valoir d’être en situation de prépondérance » (2).
II – PEUT-IL Y AVOIR UN ISLAM EUROPÉEN ?
C’est le problème de l’intégration des musulmans qui est ainsi posé. Etre pleinement européen suppose que les musulmans acceptent un système de valeurs étranger à la doctrine et à la loi islamiques.
1°/ Trois conditions sont requises pour cela de la part des musulmans.
- Changer leur rapport au Coran et à la Sunna, qui constituent les deux sources principales de la charia (la loi islamique).La représentation de Dieu et le rapport entre Dieu et l’homme conditionne l’anthropologie et l’organisation de la vie sociale.Dans ce domaine, l’islam comporte des dispositions incompatibles avec les valeurs qui ont façonné la civilisation et les traditions européennes et inspiré son droit, largement fondé sur l’Evangile et la doctrine sociale de l’Eglise. J’y reviendrai plus loin.
- Se dégager de la tutelle et de l’influence des pays d’origine.Ils doivent se rendre autonomes sur les plans matériel, politique et culturel. Cf. le financement des mosquées et des écoles coraniques ; la rétribution des imams ; l’envoi d’imams ignorants des réalités et des langues européennes ; les paraboles qui exportent les modèles intégristes, etc. Tout cela crée des dépendances aliénantes.Il y a une différence avec les liens que le Saint-Siège entretient avec les Eglises particulières et les catholiques partout dans le monde. L’Eglise n’inspire pas de choix idéologiques.
- Accepter la laïcité.La laïcité est un concept inconnu en Islam. Celui-ci ignore la distinction des pouvoirs politiques et religieux. A Médine, Mahomet a exercé à la fois le principat et le pontificat, selon la formule de l’écrivain franco-tunisien Abdel Wahhab Meddeb. La tradition musulmane attribue à Mahomet cette sentence : « L’islam domine et ne saurait être dominé ».
Cela n’implique pas forcément un pouvoir théocratique, mais l’Etat ne peut être que confessionnel. Dans un pays où l’islam est majoritaire, le pouvoir doit en principe revenir à un musulman pour garantir l’identité nationale et l’application de la charia.
Les musulmans sont tenus de se soumettre à la Loi car celle-ci est d’origine divine. Or, cette Loi règle la totalité de la vie politique, sociale et personnelle. Toute autre forme d’organisation ne peut être que provisoire, liée à des rapports de forces, comme on a pu le constater au Liban.
En 1976, au début de la guerre qui a frappé ce pays où les chrétiens exerçaient une grande influence sans pour autant monopoliser le pouvoir, l’un des principaux dirigeants religieux musulmans, Hussein Kouatly, directeur général de Dar El-Fatwa, institution représentant l’islam sunnite, publia un long article dans lequel il développait cette doctrine.
Le musulman au Liban, en ne peut être qu’engagé par les obligations de l’islam dont fait partie la création de l’Etat islamique. Celle-ci peut toutefois être suspendue provisoirement en cas de contraintes extérieures. Or, depuis la fin de l’Empire ottoman, et avec lui du pouvoir islamique au début de ce siècle, les musulmans au Liban se sont trouvés dans un Etat où ils ne pouvaient pas instaurer un pouvoir islamique pour deux raisons : le gouvernement du Mandat (français, de 1922 à 1943, ndlr) oppresseur et l’équilibre numérique de la population. Ainsi vit le jour ce qu’on a appelé plus tard la formule libanaise qui remplace l’autorité du seul islam par une autorité chrétienne, notamment maronite, s’exerçant en partage avec les musulmans. La solution fondamentale, c’est l’appel à l’instauration d’un pouvoir islamique au Liban. La laïcité représente une façon de coincer les musulmans parce qu’elle signifie la séparation de la religion et de l’Etat alors que l’islam est un régime total, c’est-à-dire religion et Etat » (3).
En outre, pour beaucoup de musulmans, la laïcité est synonyme d’athéisme, de rejet de Dieu de la cité. Il faut noter qu’ils ont su résister à la sécularisation de la société, à la désacralisation de la vie et à la privatisation de la foi.
Tous les actes humains, ceux qui accompagnent les grandes étapes de l’existence jusqu’aux gestes les plus anodins de la vie quotidienne, sont placés visiblement sous le signe de Dieu.
Il est important de connaître les théories de Tariq Ramadan, intellectuel suisse d’origine égyptienne, très influent auprès des musulmans d’Europe, surtout des jeunes. Pour lui, les musulmans ne sont pas concernés par le débat sur la laïcité car celle-ci est liée à l’histoire de l’Europe. Mais, constate-t-il, la laïcité a conduit à la sécularisation des sociétés européennes. Face à ce mal, les jeunes musulmans doivent s’investir dans le champ social car ils ont une mission : redonner une âme à l’Europe. Telle est la mission que Ramadan leur confie. Sur cette question, son audience a supplanté la doctrine d’un autre penseur européen d’origine musulmane, Souheib Bencheikh. Dans une thèse soutenue à Paris, il donnait des outils pour rendre l’islam compatible avec la laïcité. Ses arguments ont été repris dans un livre intitulé Marianne et le Prophète (4).
Certains responsables musulmans préconisent un « islam de minorité ». Tel est le cas de Tareq Oubrou, imam de Bordeaux. Il faut accueillir cette idée avec réserve. Qu’est-ce que M. Oubrou préconisera lorsque l’islam sera majoritaire ? Il me semble que son discours actuel s’apparente à un principe de géopolitique islamique : le Dar el-Solh. Il s’agit de la « Demeure de la conciliation » ou « Demeure de la trêve », qu’il convient de respecter lorsque le rapport de forces ne permet pas la soumission du Dar El-Harb (« Demeure de la guerre ») au Dar el-Islam (« Demeure de l’Islam »), celle-ci étant considérée comme le lieu où prévaut la vraie paix.
2°/ Quelques problèmes concrets (en rapport avec les principes fondateurs de la démocratie)
a) La personne humaine et l’égalité entre citoyens
La doctrine coranique ignore le concept de personne humaine. Cette notion est d’origine chrétienne. Elle prend sa source dans le Dieu trinitaire, Un en trois Personnes, qui instaure une relation personnelle avec ses créatures humaines.
Le musulman ne tire pas sa dignité de ce qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Genèse 1, 27) mais de ce qu’il est soumis à Dieu (islam = soumission), obéit à Mahomet et appartient à l’Oumma (communauté des croyants musulmans).
Seuls les musulmans sont égaux entre eux. Le Coran instaure trois inégalités entre les hommes :
- Le musulman est supérieur au non-musulman : « Vous êtes la meilleure des communautés suscitées parmi les hommes » (3, 110) ;
- L’homme est supérieur à la femme : « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-ci au-dessus de celles-là » (4, 38) ;
- L’homme libre est supérieur à l’esclave : « Dieu a favorisé certains d’entre vous plus que d’autres dans la répartition de ses dons. Que ceux qui ont été favorisés ne reversent pas ce qui leur a été accordé à leurs esclaves au point que ceux-ci deviendraient leurs égaux » (16, 71).
Parmi les pays dont l’islam est religion d’Etat ou qui fondent leur droit sur la charia, deux Etats arabes n’ont pas ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (l’Arabie-Séoudite et le Yémen). Ceux qui l’ont fait ont émis des réserves sur certains points. La plupart d’entre eux n’ont pas modifié leurs législations pour les mettre en conformité avec la Déclaration. Ils ont élaboré leurs propres documents. Ils comportent des discriminations religieuses, sociales et juridiques. Ce sont donc des textes confessionnels. Exemples :
b) Les rapports entre l’homme et la femme.
Le principe de l’inégalité entre l’homme et la femme s’applique surtout dans le cadre du mariage, qui est d’ailleurs une obligation liée à la religion, sans être pour autant un acte religieux. Il s’agit d’un acte juridique : un contrat de droit privé qui rend licite l’acte sexuel. L’islam ignore la notion de conjugalité qui, pour les chrétiens, est le reflet de l’alliance entre Dieu et l’humanité.
La fidélité n’est requise que de la seule femme. D’où la permission polygamique (4, 3) ; la répudiation (4, 130). Plusieurs milliers de foyers polygames vivraient en France, non déclarés comme tels bien sûr : les épouses sont inscrites comme des cousines, par exemple.
Le Coran prescrit un empêchement matrimonial : « Ne mariez pas vos filles à des polythéistes-associateurs avant qu’ils croient » (2, 221). Cette prescription explique le nombre important de conversions à l’islam d’Européens non-musulmans désirant épouser une musulmane. Les Etats qui ont modernisé leur législation en faveur de la femme (suppression de la polygamie en Turquie et en Tunisie) n’ont pas pu toucher à ce principe car il est clairement exprimé dans le Coran.
Enfin, le mari est explicitement autorisé à battre sa femme (4, 34).
c) Le voile islamique.
Le Coran demande à la femme de cacher ses atours (33, 59), sans pour autant décrire la forme précise du vêtement qu’elle doit porter. Le Coran ne mentionne d’ailleurs pas les cheveux. A partir de cette prescription, des formes vestimentaires diverses ont été conçues selon les traditions et les écoles juridiques. La tenue la plus répandue est le hidjab (mot signifiant « tenture » ou « séparation »).
Voici quelques réflexions suscitées par le port de la tenue féminine islamique :
– Le voile est l’expression de la méfiance envers la femme. Si elle n’est pas chez elle, elle doit se couvrir pour ne pas tenter l’homme. Une réflexion : Quel regard l’islam porte-t-il sur l’homme dans un tel contexte ?
– Le voile intégral (niqab, burqa) est la négation de la personne ; c’est aussi un obstacle à la convivialité sociale.
– La propagation de la tenue islamique chez les musulmanes en Europe est l’expression du rejet de notre modèle social.
– Elle pose un vrai problème pour la mixité entre adultes.
– Attention au piège du religieux : le voile a une signification politique, c’est un marqueur identitaire qui sert à étendre le domaine de l’islam.
d) La liberté religieuse.
Le Coran pose le principe : « Pas de contrainte en religion » (2, 256). Pour les commentateurs, ce verset ne concerne que les musulmans entre eux. Dieu leur demande de ne pas se disputer sur des questions liées à la pratique religieuse.
« Quiconque le veut, qu’il soit croyant, et quiconque le veut, qu’il soit infidèle » (18, 29). Disposition abrogée par : « Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez les associateurs (ou polythéistes), partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, tendez-leur des embuscades. Mais s’ils se convertissent, font la prière et acquittent l’impôt légal, alors laissez-les aller librement » (9, 5, appelé le « verset du sabre »).
Selon la tradition, Mahomet aurait dit : « Celui qui quitte la religion, tuez-le ». Cette phrase est le fondement du crime de la ridda : apostasie de la foi et trahison de l’Oumma.
Le Coran prévoit la liberté de culte pour les « gens du Livre » (juifs et chrétiens), mais avec des limites (pas ou peu de visibilité) et en contrepartie d’un statut inégalitaire et humiliant (la dhimmitude, cf. Coran 9, 29).
L’islam refuse totalement le droit à la liberté de conscience, donc celui de changer de religion. Cf. la nouvelle Constitution tunisienne et ses ambiguïtés : reconnaissance de la liberté de conscience mais affirmation que l’islam est la religion des Tunisiens et que l’Etat garantit la protection du sacré. S’agit-il du seul sacré de l’islam ? Il faut attendre la jurisprudence avant de se prononcer sur les progrès éventuels apportés par cette Constitution.
La citoyenneté n’est pas comprise de la même façon par les musulmans et les non-musulmans.
III – LES ERREURS DES ETATS EUROPÉENS
Trois positions de principe erronées et dangereuses :
- ignorance des spécificités de l’islam : ce n’est pas qu’une religion ;
- tendance à considérer que l’islam est une religion parmi d’autres, donc à traiter comme les autres ;
- tendance à appliquer à l’islam nos propres critères en matière de philosophie et d’organisation de l’Etat et de la société.
On a peut-être manqué, en Europe, l’occasion de ne pas inculquer aux musulmans la notion de « personne » car on a trop facilement répondu – et on continue de le faire – à des revendications communautaristes, au nom de la tolérance, du respect des cultures ou de l’idéologie multiculturaliste ou pacifiste, et par complexe, haine de soi, rejet de l’histoire, etc.
Quelques exemples :
a) Problème des écoles musulmanes hors contrat d’association avec l’Etat. On ne peut en principe dénier ce droit aux musulmans, comme on le fait pour les juifs et les chrétiens. Mais mesure-t-on les conséquences pour l’unité nationale ? Même si les directeurs de ces écoles s’engagent à accueillir tout le monde, on voit mal des parents non musulmans inscrire leurs enfants dans des écoles privées musulmanes, tellement tout y est islamique. Les lois et pratiques iniques, notamment l’enseignement de l’idéologie du genre, risquent d’entraîner la multiplication de ces écoles.
Vers des ghettos confessionnels ?
b) La liberté de conscience. En France, lors des premières discussions entre le gouvernement et les autorités musulmanes, un projet de charte pour l’organisation du culte islamique prévoyait le respect de la liberté de conscience, et explicitement le droit de changer de religion. Cette clause a été supprimée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, sous la pression de certains dignitaires musulmans. Pour justifier ce retrait, le ministre a assuré que la Constitution française garantit la liberté de conscience. Mais cet argument ne suffit pas car pour les musulmans la charia, loi religieuse, est supérieure aux lois civiles. Il fallait exiger un engagement formel des responsables musulmans. Certains intellectuels musulmans ont protesté contre cette reculade.
c) Les mosquées. Faut-il les autoriser ? Impossible de les refuser en vertu du respect de la liberté religieuse, mais il faut savoir que la mosquée n’est pas seulement un lieu de culte. L’autorisation doit donc être donnée moyennant un cahier des charges que le partenaire musulman s’engage à respecter, de façon à ce qu’il n’y ait pas trouble à l’ordre public et que l’on n’enseigne pas des doctrines qui combattent les valeurs européennes ou appellent au djihad. Les apprentis-terroristes sont souvent formés dans des mosquées où l’on prononce des sermons appelant au rejet des valeurs de l’Occident.
d) La formation des imams. La plupart des imams qui officient en Europe sont des étrangers. Beaucoup ne parlent pas la langue des pays dans lesquels ils vivent et ne connaissent pas l’histoire et le contexte de ces pays. Des centres de formation d’imams semblent donc indispensables. Ils existent mais sont financés par les pays riches. Problème : quel islam enseigne-t-on dans ces centres ? Qui contrôle le contenu de ces enseignements ? Que fait-on des passages du Coran et de la Sunna qui invitent au mépris, voire au djihad, contre les non musulmans ? Les Etats européens peuvent-ils s’octroyer ce droit de regard ? Mais au nom de quoi ? Les modèles pluriculturels de Grande-Bretagne et des Pays-Bas ont plutôt favorisé la dimension islamiste.
e) Les organes représentatifs de l’islam. Les Etats européens suscitent la création de telles instances pour avoir un interlocuteur officiel, un peu comme les conférences épiscopales. Mais cela n’est pas conforme à la tradition islamique : interprétations divergentes des textes sacrés, absence de magistère authentique. Ces organismes souffrent d’un manque de légitimité, de représentativité et de divisions internes. Leur autorité est parfois supplantée par celle du Conseil européen de la Fatwa, basé à Dublin. Cet organisme autoproclamé, de tendance islamiste, prétend fixer juridiquement les devoirs religieux des musulmans européens.
f) Les aumôneries musulmanes dans l’armée, les prisons et les hôpitaux. Il s’agit de fonctions inconnues dans l’islam : cette religion ne reconnaît pas d’intermédiaire entre Dieu et l’homme, elle ignore le concept de médiation et d’intercession. Aussi les aumôniers s’attachent avant tout à surveiller la pratique du culte par les musulmans, ce qui favorise leur mise à part.
Au fond, nos pays d’Europe contribuent à « confessionnaliser » leurs citoyens musulmans.
Les Eglises en Europe suivent parfois un chemin identique. Quelques exemples :
- La diffusion du relativisme ou de l’indifférentisme, et ceci en contradiction avec l’enseignement du magistère des papes.
- Le renoncement à la mission évangélisatrice auprès des musulmans. Cf. Père Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon : « Il faut répondre au besoin d’islam des jeunes musulmans ».
- La réticence de certains milieux à accueillir des musulmans au baptême : « Ils ont une religion, pourquoi leur en proposer une autre ? »
- L’interprétation du dialogue comme une fin en soi et non comme un moyen au service de la mission évangélisatrice. Ce n’est pas un dialogue de salon que demande l’Eglise mais « un dialogue de salut » (Cf. Paul VI dans Ecclesiam suam).
- Le prêt, la vente ou le don d’églises qui deviennent des mosquées.
Question : les musulmans sont-ils donc exclus de la connaissance de la Vérité ?
CONCLUSION – DES SOLUTIONS POUR UNE EUROPE APAISÉE
Voici quelques suggestions que j’adresse à nos dirigeants et à nos élites intellectuelles pour des attitudes susceptibles de contribuer à des relations islamo-chrétiennes apaisées en Europe.
1°/ Ne pas faire semblant de croire que l’islam est une religion comme les autres et qu’il n’est qu’une religion. Il convient d’éviter de déclarer sans cesse que « l’islam et une religion de paix, d’amour et de tolérance » et que les actes de violence commis par des musulmans ne se justifient pas au nom de la religion. Ou encore que « l’islam est compatible avec la démocratie ». Il appartient aux responsables musulmans, et non à nous, de montrer aux autres quel est l’islam authentique.
2°/ Eviter le déni de certaines réalités gênantes dans l’islam alors que l’actualité les met en évidence. Ce mensonge conduit les populations européennes non musulmanes à la méfiance, à la peur et à l’agressivité envers les musulmans (cf. « l’islamophobie » : celle-ci n’est pas spontanée), ce qui risque d’engendrer un cercle vicieux de violences. Au demeurant, les accusations d’ « islamophobie » sont un piège dans lequel il faut éviter de tomber, sous peine de se priver de la liberté de critiquer les aspects dérangeants, voire inacceptables de l’islam (cf. l’absence de liberté religieuse ou le traitement de la femme).
3°/ Envisager l’accueil et le traitement des musulmans, qu’ils soient immigrés ou nationaux, en tant que personnes et non comme membres d’une communauté aux traditions et mœurs incompatibles avec celles qui fondent la civilisation européenne. Céder aux revendications communautaristes au nom de la tolérance et du respect des cultures relève d’une générosité mal éclairée. En se multipliant dans tous les secteurs de la vie, l’acceptation de ces revendications par les pouvoirs publics entraîne forcément une rupture du lien social et nuit aux cohésions nationales. Le concept d’assimilation doit d’ailleurs retrouver sa place là où il a été banni (subrepticement, sans le dire aux peuples européens) et remplacer le multiculturalisme là où il est en vigueur par tradition. Les musulmans doivent faire l’effort principal. L’Europe n’a pas de dette envers l’Islam. Comment les autorités allemandes ont-elles pu laisser le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, en visite à Berlin en 2008, déclarer devant le Parlement : « L’assimilation est un crime contre l’humanité » ?
4°/ Rétablir un sain équilibre dans les rapports entre l’homme et la femme, pour faciliter l’assimilation des musulmans. L’égalité ne doit plus être comprise comme indifférenciation, similitude ou interchangeabilité. Il faut renoncer absolument à la folle théorie du genre. La même attitude est requise face aux lois. Mais pour que celles-ci soient respectables et attrayantes aux yeux des musulmans, pour qu’ils y voient des lois supérieures aux leurs, il faut que celles-ci reposent sur la loi naturelle, qui est au fondement du droit chrétien et européen. Ce droit n’est pas confessionnel mais universel. Il profite donc à tous, quelle que soit la religion ou la non religion de chacun. Il est essentiel de refonder des sociétés européennes vertueuses, dignes d’être enviées, et de redéfinir le concept de « droits de l’homme » qui est devenu une idéologie contraire à la dignité de la personne humaine.
5°/ Assumer l’histoire de l’Europe et de chacune de ses nations avec fierté, préserver leur identité, notamment dans l’enseignement scolaire et les discours politiques. Il est totalement faux d’affirmer que « l’Europe a des racines autant musulmanes que chrétiennes » (cf. Jacques Chirac à Philippe de Villiers, lors d’une rencontre à l’Elysée, en 2003). La conscience européenne s’est d’ailleurs largement forgée dans la confrontation avec l’Islam. Les Etats européens doivent respecter l’Eglise et écouter ce qu’elle a à dire au pouvoir politique. Les dirigeants doivent montrer publiquement leur reconnaissance à l’Eglise puisque c’est par elle que la civilisation européenne a été façonnée et a rayonné dans le monde.
C’est une singulière vision de la démocratie que de faire coïncider le respect des individus et des minorités avec le non-respect de la majorité et l’élimination de ce qui est acquis et traditionnel dans une communauté humaine », écrit à ce sujet le cardinal Biffi (5).
6°/ Contrairement à une idée répandue, la laïcité, telle qu’elle est conçue et pratiquée en Europe, malgré une certaine institutionnalisation des Eglises en plusieurs pays, n’est pas une solution adéquate aux problèmes posés par l’islam car les musulmans y voient, à juste titre, un moyen qui conduit à la sécularisation, à l’athéisme et au paganisme. Il faut donc mettre en place une saine laïcité, selon les critères traditionnels rappelés par le pape Benoît XVI autour du concept « d’unité-distinction » :
La saine laïcité signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux » (6).
La séparation stricte entre l’Etat et l’Eglise qui caractérise la laïcité dans certains pays européens ne peut entraîner des relations apaisées entre l’Etat et ses citoyens, quels qu’ils soient. Pour les musulmans, cette laïcité radicale est dangereuse et constitue donc un repoussoir.
En résumé, l’Europe doit donner à ses ressortissants et immigrés musulmans l’envie d’aimer leur pays d’accueil et refuser qu’ils s’y installent pour en profiter égoïstement. L’islam prospère toujours sur la faiblesse des autres car il envisage ses relations avec autrui en termes de rapports de forces. « Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts » (Coran 47, 35).
L’histoire du Proche-Orient illustre amplement cette leçon. Aujourd’hui, l’islam prospère sur l’épuisement culturel et spirituel de l’Europe.
Annie Laurent
(1) « Sur l’immigration », Sedes Sapientiae, n° 75, 2001, p. 1 à 14.
(2) Id.
(3) Cité par Annie Laurent et Antoine Basbous, in Guerres secrètes au Liban, Gallimard, 1987, p. 40-41.
(4) Grasset, 1998.
(5) « Sur l’immigration », op. cit.
(6) Exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, 12 septembre 2012, n° 29.