L’ancienne basilique Sainte-Sophie,

à Istamboul, transformée successivement en mosquée puis en musée, va-t-elle redevenir un lieu de culte musulman ? C’est ce que laisse entendre Laure Marchand, correspondante du Figaro en Turquie, dans un article paru hier dans ce quotidien.

La journaliste étaye l’information sur des propos du vice-premier ministre turc, Bülent Arinç, rapportés par la presse locale. Lors d’une visite dans le quartier historique où se trouve Sainte-Sophie, en fin de semaine dernière, le numéro deux du gouvernement a donc déclaré :

La mosquée Sainte-Sophie sourira bientôt de nouveau ».

Puis, il a critiqué le statut actuel de l’édifice.Pour lui, je le cite,

 un lieu de culte ne peut pas servir à une autre fonction que celle initiale ».

Mais, en s’exprimant de la sorte, Bülent Arinç feint d’ignorer que Sainte-Sophie fut d’abord un sanctuaire chrétien. Et quel sanctuaire !

Au VIème siècle, l’empereur Justinien commanda cette imposante basilique dédiée à Haghia Sophia, c’est-à-dire la « Sainte Sagesse » en grec, pour y installer le patriarcat de Constantinople. Justinien assista à sa consécration, en 537, puis à une seconde consécration, durant la nuit de Noël 562, car l’immense coupole s’était effondrée sous la lourdeur de sa structure.

Une légende assure que l’empereur se serait écrié durant la cérémonie : « Gloire à Dieu qui m’a jugé digne de mener à bien une pareille œuvre ! Je t’ai vaincu, Salomon ». De fait, considérée comme la huitième merveille du monde à la fois par son ampleur et par son somptueux décor de mosaïques d’or et d’argent, Sainte-Sophie avait la réputation de dépasser en démesure l’ancien temple de Jérusalem. Pendant mille ans, elle fut le plus grand sanctuaire chrétien. La basilique Saint-Pierre de Rome la surpassera au XVIème siècle.

Historique

Si j’ai invoqué l’histoire, c’est pour montrer l’importance exceptionnelle de ce lieu de culte pour la chrétienté d’Asie mineure jusqu’à ce que le malheur s’abatte sur elle avec les premières victoires musulmanes, survenues dès le XIème siècle. Sitôt maître de Constantinople, en 1453, le sultan ottoman Mehmet II transforma le nom de la ville qui devint Islambol, « la Plénitude de l’islam », avant de s’appeler Stamboul. En même temps, il ordonna la transformation de Sainte-Sophie en mosquée, turquifiant aussi son nom.

Les croix et les symboles chrétiens furent dégradés, de grands médaillons portant des inscriptions du Coran en arabe furent apposés dans la nef, tandis que l’édifice était surmonté de quatre minarets. Quant au patriarche orthodoxe, il fut contraint de se réfugier dans le quartier du Phanar où se trouve encore son siège, qui est bien modeste comparé à Sainte-Sophie.

Jusqu’au début du XXème siècle, Haghia Sophia fut la principale mosquée d’Istamboul. En 1934, Atatürk, père de la Turquie moderne, lui donna le statut de musée, sort qu’il réserva aussi à un très grand nombre d’églises et de mosquées à travers tout le pays.

Mais, depuis son arrivée au pouvoir, en 2003, le gouvernement islamiste de Recep Tayyip Erdogan s’emploie méthodiquement à restaurer l’identité musulmane de la Turquie. Ce plan pourrait donc bien concerner Sainte-Sophie. Actuellement, une commission parlementaire étudie d’ailleurs une pétition favorable à sa reconnaissance comme mosquée. L’article du Figaro signale des précédents : ces derniers mois, deux églises-musées ont été enregistrées comme mosquées : l’une est à Trébizonde, au bord de la mer Noire, l’autre à Nicée, lieu de deux conciles œcuméniques qui s’y sont déroulés aux IVème et VIIIème siècles.

Compte tenu de la charge symbolique qui s’attache à la basilique d’Istamboul, on imagine aisément ce qu’un changement d’affectation de l’édifice représenterait pour les islamo-nationalistes : ce serait une victoire sur la chrétienté. Ils l’attendent depuis longtemps. En 2006, des militants turcs avaient pénétré dans l’enceinte où ils avaient crié « Allah est grand » pour protester contre la visite que le pape Benoît XVI devait y effectuer le lendemain.

Quant aux chrétiens d’Istamboul, ils se verraient une fois de plus humiliés, eux à qui les autorités d’Ankara multiplient les promesses sans lendemain, notamment en ce qui concerne la restitution des biens immobiliers dont l’Etat turc les a spoliés.

 

Annie Laurent

Radio-Espérance, 20 novembre 2013