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Radio-Espérance, 18 mars 2015 en écoute ICI

 

Les quatre parlementaires français qui se sont rendus à Damas à la fin du mois de février dernier pour s’y entretenir avec le président Bachar El-Assad ont aussi rencontré des personnalités du monde religieux, en particulier les patriarches Jean X et Grégoire III, respectivement chefs des Eglises grecque-orthodoxe et grecque-catholique-melkite. Ces derniers ont participé au dîner offert aux visiteurs par le grand mufti Ahmed Hassoun, principal représentant de l’islam sunnite en Syrie.

Parlant à l’unisson, les deux patriarches ont pu confier à nos élus la profonde déception qu’ils éprouvent face à la diplomatie de Paris dans la crise syrienne, et même face à l’attitude d’une partie des évêques de France. Au Quai d’Orsay comme au sein de l’épiscopat, en effet, certains accusent les hiérarchies chrétiennes de Syrie d’être asservies au régime d’Assad. Sa Béatitude Grégoire III s’explique régulièrement à ce sujet. Il l’a fait récemment dans un entretien très stimulant, publié dans le dernier numéro de la revue trimestrielle, Politique internationale. Ses propos sont étonnants de vigueur pour un homme de 82 ans. Voici ce qu’il déclare sur ce point, je le cite :

 On dit souvent que les chrétiens défendent le régime parce qu’il les protège. Nous serions les suppôts du régime en place. Je ne suis pas redevable au président Assad. Tout au long de cette crise, nous avons conservé notre liberté dans nos prises de position comme dans l’affirmation de nos principes. Personne, depuis le début du conflit, n’a essayé de me forcer à faire telle ou telle déclaration. Ni le président ni l’armée. Lorsqu’on nous accuse de collusion avec le régime, on nous fait un faux procès ».

En Syrie, les chrétiens ne bénéficient d’aucun privilège par rapport aux membres des autres confessions. Celles-ci dépendent toutes du ministère des Affaires religieuses qui accorde un traitement égalitaire à chacune d’elles, par exemple la gratuité de l’eau et de l’électricité pour leurs édifices dédiés au culte. Par ailleurs, au nom de cette égalité, les chrétiens ne subissent aucune entrave à la construction de nouvelles églises et peuvent gérer des écoles privées. On comprend qu’ils préfèrent ce régime, dont l’autoritarisme a, jusqu’à la guerre actuelle, permis une cohabitation pacifique des diverses communautés composant la société syrienne. Cela dit, les chrétiens aspirent eux aussi à des réformes.

C’est pourquoi, concernant la politique de son gouvernement, Grégoire III rappelle avoir, dès le début de la crise, soutenu publiquement les justes attentes du peuple en faveur du changement, reconnaissant que la situation en Syrie ne correspond pas aux standards occidentaux. Mais, selon lui, il fallait laisser le temps au président Assad d’opérer des réformes progressives, en tenant compte du contexte proche-oriental. Or, indique-t-il, le chef de l’Etat a bel et bien mis en route un processus de réformes qui s’est concrétisé notamment par l’élaboration d’une nouvelle Constitution ouvrant la voie au multipartisme. Celle-ci a été adoptée par référendum en 2012, soit un an après le début de la révolution.

Pour le patriarche melkite, la réalisation de réformes ne peut passer par la violence. « Le secret du christianisme, c’est de trouver une autre voie que la violence », affirme-t-il. Et si les dirigeants français s’imaginent que les chrétiens de Syrie sont les complices d’un dictateur, c’est qu’ils ne comprennent pas leur besoin de stabilité. Or, celle-ci est vitale pour leur permettre d’accomplir leur mission.

L’attitude de l’Eglise en Occident déçoit aussi Grégoire III. Ecoutons-le :

 L’Eglise d’Europe nous entend et nous écoute mais les évêques n’ont pas eu le courage de donner un avis qui contredise la politique résolument hostile à Assad des gouvernements de leurs pays respectifs. Au moins deux visites officielles d’ecclésiastiques en Syrie n’ont pas pu avoir lieu à cause des pressions exercées par leurs dirigeants politiques ».

Enfin, le patriarche interpelle la France. Pour lui, contrairement aux autres Puissances, notre pays a pour tradition de placer l’homme au centre de son action diplomatique. Il doit donc renoncer à toute logique guerrière et privilégier le dialogue. Hélas, les protestations gouvernementales qui ont accueilli l’annonce par les Etats-Unis de la nécessité de négocier avec Assad montrent que nos élites sont encore loin de se ranger à cette évidence.

 

Annie Laurent