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Radio-Espérance, 6 mai 2015

 

Le week-end dernier, j’étais à Lourdes où j’ai participé au premier pèlerinage des chrétiens d’Orient accueillis dans la région Midi-Pyrénées. Une cinquantaine de personnes, la plupart originaires de Mossoul et de toute cette région du nord de l’Irak, ont pris part à l’événement. Certaines résident à Lourdes même, où une association a été fondée pour leur venir en aide, leur enseigner le français, leur trouver du travail, scolariser les enfants, initier tous ces fidèles des Eglises chaldéenne ou syriaques aux rites de la liturgie latine, mais aussi aux règles de la laïcité qu’ils ont souvent du mal à comprendre.

Par exemple, beaucoup d’entre eux, désirant que leurs proches restés en Orient viennent les rejoindre en France, s’adressent pour cela à Mgr Nicolas Brouwet, l’évêque du lieu. Ils sont persuadés qu’il a un accès direct au ministre concerné pour obtenir des visas. Car c’est ainsi que cela se passe dans leur pays. A ce sujet, Mgr Brouwet déplore que le gouvernement ne tienne pas vraiment les promesses qu’il avait faites l’année dernière aux chrétiens de Syrie et d’Irak, lorsque les djihadistes de l’Etat islamique les ont expulsés de chez eux.

Ces situations compliquent parfois les relations entre Français et Orientaux. Mais la charité est capable de transcender ces malentendus. En ouverture de la messe qu’il a présidée dimanche, l’évêque s’est adressé aux réfugiés présents avec humilité, justesse et bienveillance. Il les a notamment félicités pour leur fidélité au Christ qui les a fait renoncer à tant de choses auxquelles ils étaient naturellement attachés. Je le cite : « Vous n’avez pas voulu lâcher votre foi chrétienne bien enracinée en vous. La foi est plus forte que tout. Même si nous n’avons pas la même culture, les mêmes modes de vie, les mêmes codes, c’est elle qui nous unit. Nous avons quelque chose de fort en commun ». Il a aussi appelé la France à ouvrir plus grand ses portes aux chrétiens persécutés. Après le déjeuner, partagé avec ces hôtes orientaux, Mgr Brouwet a accompagné la procession jusqu’à la Grotte de Massabielle.

Pendant mon voyage de retour, dans le train, j’ai lu le dernier livre de Sébastien de Courtois, Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions. L’auteur, installé à Istamboul, est un spécialiste des chrétiens de Turquie et de Mésopotamie, territoires qu’il sillonne depuis quinze ans. Son livre, au ton très personnel, commence comme un reportage au Kurdistan où il est allé rencontrer les anciens habitants de la province de Mossoul ou de Syrie chassés de chez eux. « Le discours officiel de l’Eglise est de dire aux gens de rester en Irak, remarque-t-il, mais plusieurs prêtres m’ont avoué en secret ne plus y croire ». Et comment croire, en effet, à un retour possible à Mossoul après la destruction de tant d’églises et de monastères, après la décision de l’Etat islamique de supprimer tous les noms des institutions chrétiennes et syriaques, ou encore après le pillage et l’occupation des maisons par les anciens voisins musulmans ?

Dépositaire de ces récits, très affecté par la perspective d’une éradication définitive de toute présence chrétienne sur ces terres bibliques, alors qu’il ne voulait pas y croire malgré les signes avant-coureurs, Sébastien de Courtois se rend maintenant à l’évidence face à la précipitation des événements. Par ailleurs, choqué par l’indifférence et les complexes des Occidentaux alors que la tragédie des chrétiens d’Orient est connue depuis plus d’un siècle, il ne dissimule pas sa souffrance devant tant de malheurs et d’injustices ; il l’exprime par des phrases poignantes. Il ne cache pas non plus les doutes qui l’assaillent. Je le cite : « J’ai peur de voir cet Orient s’assécher, devenir un paysage de désolation et de tristesse. J’ose affirmer qu’il ne m’intéresserait plus ».

Mais, le désir du combat l’emporte. C’est pourquoi Sébastien de Courtois refuse de croire à l’irrémédiable. Aussi s’accroche-t-il aux moindres signes capables d’entretenir l’espérance. On le voit ainsi raconter le retour de quelques familles descendantes des rescapés du génocide de 1915 qui ont choisi de quitter l’Occident pour revenir dans la patrie de leurs ancêtres. On le trouve aussi dialoguant avec tel ou tel musulman persuadé que seuls les chrétiens peuvent empêcher la stérilisation du Proche-Orient. Il faut lire cet ouvrage au titre si éloquent : « Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions », publié aux éditions Stock.

 

Annie Laurent