Print Friendly, PDF & Email

 

APPEL AUX EVÊQUES DE FRANCE

Comme les cinq années précédentes, les chrétiens du Proche-Orient viennent de célébrer la Nativité et l’Epiphanie du Sauveur dans un contexte profondément déstabilisé par des bouleversements géopolitiques dramatiques : les révoltes populaires et leur répression par les régimes autoritaires, les radicalisations islamiques, le réveil de la haine entre sunnites et chiites, les rivalités ethniques, l’aveuglement d’Israël. Il faut y ajouter le jeu pervers des grandes Puissances qui n’hésitent pas à sacrifier les communautés chrétiennes innocentes sur l’autel d’intérêts discutables, fussent-ils parés de vertus telles que la démocratie et les droits de l’homme.

En Irak

Ainsi, en Irak, la guerre déclenchée par les Etats-Unis en mars 2003 a ouvert les portes d’un enfer qui n’ont pas pu se refermer, comme le pressentait Jean-Paul II. Deux mois avant cette offensive, le saint pape prophétisait qu’étant dépourvue de tout motif légitime, elle allumerait un incendie terroriste, non seulement au Proche-Orient mais aussi dans le monde entier. Nous y sommes…

Partout au Proche-Orient, les Occidentaux ont multiplié les fautes politiques, précipitant les chrétiens dans le malheur.
Le chaos irakien a engendré, en juin dernier, l’irruption à Mossoul d’un califat sunnite sous emprise djihadiste, dont le territoire recouvre une partie de la Syrie orientale et une partie de la Mésopotamie septentrionale.

Pour échapper à la charia et à la tentation d’apostasier, les chrétiens, hiérarchies religieuses en tête, ont préféré tout abandonner.

En Syrie

l’exigence du départ du président alaouite Bachar El-Assad formulée par la France comme unique solution dès le début de la crise qui déchire ce pays depuis mars 2011 a encouragé le monde sunnite (Etats arabes et Turquie) à soutenir une rébellion fanatisée.

Des dizaines de milliers de chrétiens ont été contraints de quitter leurs habitations ; certains, prêtres et laïcs, ont été tués en haine de la foi ; deux évêques sont toujours otages. En Egypte, l’appui que les Occidentaux ont apporté en 2012 au régime islamiste des Frères musulmans, sous prétexte que ce dernier était élu selon une procédure démocratique, a précipité le pays dans la violence religieuse qui a particulièrement visé les coptes, dans leurs personnes et leurs biens.
Partout, on est passé d’une vengeance à l’autre au sein de l’Islam. Et partout, les chrétiens paient le prix fort de ces secousses qui les placent face à un avenir incertain et angoissant. Mais ils n’ont pas apostasié et leur héroïsme doit forcer notre admiration. Cependant, il ne les protège pas de la peur, qui gagne aussi les chrétiens des autres contrées de la région, inquiets d’être à leur tour visés par l’islam radical.

Tel pourrait être le cas en Jordanie, menacée de déstabilisation par les Frères musulmans ;

Au Liban

otage des conflits voisins et affaibli par une grave crise institutionnelle qui marginalise les chrétiens ;

En Palestine

où se profile la perspective d’un Etat dominé par l’islamisme, d’ailleurs suscité par l’injustice d’une politique israélienne couverte par l’Occident.
C’est pourquoi, même lorsqu’ils n’y sont pas directement poussés, un grand nombre de chrétiens de tout l’Orient méditerranéen, traumatisés et épuisés, désespérant de leur avenir sur place, ne songent qu’à émigrer vers cet Occident qui, après leur avoir causé un tort considérable, cherche lâchement à organiser leur exode. L’offre de visas aux chrétiens avides de stabilité ne manque de surcroît pas d’ambiguïté : sous couvert de compassion, elle ne peut qu’accélérer la disparition du christianisme au Levant.

Les chefs des Eglises orientales

catholiques et orthodoxes, protestent d’ailleurs contre ces mauvaises solutions. Leur position ne relève pas d’un égoïsme qui les rendrait aveugles et irresponsables. Il s’agit, bien au contraire, de leur part d’une prise en compte réaliste du sens de la présence chrétienne dans un milieu où le Christ est méconnu, voire rejeté.

En effet, au-delà du seul apport « culturel » souligné par l’Occident sécularisé, les chrétiens du Levant, de par leur vocation baptismale, sont seuls à pouvoir diffuser au profit de tous des valeurs telles que l’amour, la gratuité, le respect, la liberté de conscience et le pardon, sans lesquelles aucune réconciliation et donc aucune coexistence pacifique n’est envisageable.

En juin 2011, visitant l’église des Deux Saints à Alexandrie, cible d’un attentat commis le 31 décembre précédent, j’y ai vu une grande croix enchâssant des lambeaux de vêtements des vingt-trois victimes et portant, sculptée en arabe dans le bois, la prière du proto-martyr saint Etienne alors qu’on le lapidait à Jérusalem :

 Seigneur, ne leur compte pas ce péché ! »

Les œuvres apostoliques des Eglises, très nombreuses, manifestent amplement une mission qui est appréciée par les plus éclairés des non-chrétiens. Faudrait-il priver le Proche-Orient de tous ces trésors ?

Cependant, beaucoup de chrétiens ont perdu confiance : ils ne croient plus en la survie de l’Eglise sur sa terre natale ni en l’utilité de leur témoignage. Cette attitude est humainement compréhensible, mais elle risque d’entraîner des effets délétères pour la foi, celle-ci pouvant alors se concevoir sous le seul angle confessionnel ou sociologique, donc amputé des responsabilités inhérentes au baptême.

Tel est le cas lorsque les chrétiens s’isolent géographiquement de leur environnement ou lorsqu’ils rejettent la composante orientale de leur identité. Ce faisant, ils privent leurs « périphéries » juives ou musulmanes des bienfaits de l’Evangile. Evidemment, l’acceptation de cette vocation, exigeante mais si grande, passe par une difficile prise de conscience : la Croix en constitue l’horizon toujours possible, et cette réalité est aussi valable pour nous, chrétiens de France.

Comprendre et soutenir nos frères

Pour aider efficacement nos frères chrétiens en Orient, il nous incombe d’abord de comprendre en profondeur et de soutenir leur mission. Ensuite, nous devons les encourager à demeurer dans leurs pays afin d’y assumer leur vocation baptismale avec détermination, dans la joie et la confiance en Dieu, Maître de l’histoire.
L’été dernier, le cardinal Philippe Barbarin a jumelé son diocèse de Lyon avec celui de Mossoul. Cette initiative admirable, digne de la charité des Pères des premiers siècles chrétiens, a aussi constitué un acte d’espérance d’autant plus marquant que toute présence ecclésiale est menacée dans cette province au patrimoine chrétien prestigieux.

Aujourd’hui, un rêve m’habite : qu’à la suite du Primat des Gaules, chaque évêque de France jumelle son propre diocèse avec un diocèse d’une Eglise orientale de son choix, en Irak, en Syrie, au Liban, en Egypte, en Terre Sainte, en Iran et en Turquie. Ces gestes, dont l’efficacité dépendra de la publicité qui leur sera donnée, pourraient aussi racheter les péchés politiques de l’Occident, que j’ai signalés plus haut.

France, fille aînée de l’Eglise

Enfin, ils adresseraient un message fort aux dirigeants musulmans qui profitent du désintérêt de l’Occident pour imposer des traitements injustes à leurs compatriotes chrétiens. Ils montreraient au monde islamique que la France catholique n’est pas morte malgré le laïcisme actuel qui choque tant de musulmans, autrement dit qu’elle est encore capable d’être fidèle à sa vocation de « fille aînée de l’Eglise ».

Annie Laurent

Article paru dans Famille chrétienne n° 1932 – 24-30 janvier 2015