Article paru dans La Nef n° 288, janvier 2017

Nabil Mouline, Le Califat. Histoire politique de l’islam, Flammarion, coll. Champs Histoire, 2016, 287 p., 9 €.

Pour comprendre le succès du califat auto-proclamé sous le nom « Etat islamique » (Daech), on ne saurait trop recommander la lecture de cet essai. Pour son auteur, l’historien Nabil Mouline, chercheur au CNRS, l’institution califale, objet constant de discorde à l’intérieur de l’Oumma (la communauté des musulmans), et ceci dès l’origine, alimente aussi la nostalgie de nombreux fidèles de l’islam depuis sa suppression par Atatürk en 1924.

Avec beaucoup de minutie, Mouline rappelle les circonstances de la création du califat que Mahomet n’a pas décidé lui-même mais qui s’appuie sur l’ordre politique qu’il a voulu pour consolider la religion. Ce sont donc les premiers successeurs (les « bien guidés »), auxquels se réfère surtout l’islam sunnite, qui ont imaginé cette institution spécifique vouée au gouvernement de l’Oumma. Cette époque étant la référence pour les tenants de la tradition islamique, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’en proclamant le néo-califat, en Irak en 2014, Abou Bakr El-Baghdadi, se soit donné le nom du premier calife et ait choisi le noir pour son drapeau, imitant ainsi la couleur officielle du temps de Mahomet.

Mais tout au long de l’histoire, malgré sa conceptualisation précise, due au constitutionnaliste Mawardi (XIème siècle), le califat a subi bien des aléas : dynasties héréditaires (quelquefois chiites) ou concurrentes, emprise des oulémas (juristes), etc. Ces péripéties ont entraîné des divisions irrémédiables, minant très tôt ce qui aurait pu constituer la devise des musulmans : « Un Dieu, une Oumma et un Calife ». Dans les temps modernes, l’idéologie islamiste inspirée des Frères musulmans a entrepris de restaurer sous sa tutelle cette unité perdue, mais elle est désormais supplantée par le djihadisme et ses métastases à travers le monde. Sous couvert de solution, c’est bien un symptôme de la crise qui gangrène le monde musulman que révèle l’émergence de ce néo-califat.

 

Annie Laurent