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Article paru dans La Nef, n° 288, janvier 2017

Bruno Nassim ABOUDRAR, Comment le voile est devenu musulman, Flammarion, 2014, 252 p., 20 €.
Le titre de cet ouvrage pose une question digne d’intérêt alors que le port du voile islamique sous diverses formes se répand dans les pays d’Europe. Pour y répondre, l’auteur, fils d’un Marocain et d’une Hongroise, professeur d’esthétique à l’Université Paris 3, s’est livré à une enquête approfondie qui l’amène à des démonstrations inattendues. Ainsi, paradoxalement, le voile, censé dissimuler la musulmane, attire l’attention sur elle, surtout lorsque ce vêtement est intégral. Cela pose le problème de l’image au regard de la doctrine iconoclaste de l’Islam, doctrine opposée à la conception chrétienne en la matière. Aboudrar consacre des pages très justes à cette comparaison et l’extension actuelle de la tenue islamique lui inspire cette réflexion pertinente dès l’introduction :

En se voilant, les musulmanes d’Occident assument à un double titre une fonction d’image en contradiction profonde avec les convictions au nom desquelles elles se voilent ».

Pour commencer, Aboudrar rappelle le sens du voile dans l’Antiquité païenne puis dans le judaïsme et le christianisme, s’attardant sur les commentaires, notamment des Pères de l’Eglise, de la première épître de saint Paul aux Corinthiens relative aux sens religieux et anthropologique que revêt l’exigence pour la femme de se couvrir la tête. Quant à l’islam, le Coran se montre en fait peu précis sur le sens du vêtement féminin, qui est d’abord destiné à distinguer les musulmanes des mécréantes. La raison première de cette obligation relève d’une nécessité civile, liée à l’ordre public, avant que la jurisprudence, durcissant le texte coranique, fasse du voile un emblème religieux, signe d’obéissance à un ordre de Dieu. C’est d’ailleurs sur ces mutations ou détournements de sens que s’appuient les travaux d’intellectuels musulmans arabes qui, à partir du XIXème siècle, ont ouvert la voie au féminisme dans l’espace islamique.
Vient ensuite l’épisode de la période coloniale, avec l’orientalisme voyeur des Occidentaux puis le dévoilement forcé dans des circonstances diverses qui ont parfois été traumatisantes, comme en Algérie. Enfin, on saura gré à Aboudrar de poser la question du regard que l’islam porte sur l’homme, qui serait incapable de vivre la mixité sociale.

Annie Laurent