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Article paru dans le hors-série de L’Homme nouveau, « Marie dans toutes ses splendeurs », n° 23 – Mai 2016.

LE CORAN PARLE-T-IL DE LA MÈRE DU CHRIST ?

« Un musulman qui a tant soit peu médité le mystère de la Vierge n’évoque jamais son nom sans être ému », écrivait feu Si Hamza Boubakeur, ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris, dans l’introduction à la sourate 19 de sa traduction du Coran en français (1). Cette sourate est intitulée Mariam (Marie en arabe), nom que l’on retrouve 34 fois dans le texte. Il s’agit d’un vrai privilège puisque les autres femmes dont il est question dans le Livre saint de l’islam sont anonymes. Tel est le cas pour Eve et pour d’autres, notamment pour celles qui ont tenu une place éminente dans les débuts de l’islam. Leurs noms sont donnés par la Sunna (tradition) et la Sîra (biographie de Mahomet).

            Mais cette Marie « musulmane »

est-elle la même que celle que nous connaissons par le Nouveau Testament ? Le Coran la présente comme « fille d’Imrân » (66, 12) et « sœur d’Aaron » (19, 28), en référence à la famille de l’Amran biblique composée de trois enfants : Moïse, Aaron et Marie (cf. Nb 26, 59). Le nom de Marie est aussi accolé seize fois à celui de son fils Jésus (Issa dans le Coran). Or, douze siècles séparent les deux Marie ! Comment s’y retrouver ?

L’absence dans le Coran d’une généalogie de Marie et de son fils clairement établie, comme celle dressée dans l’Evangile par saint Matthieu (1, 1-17) qui situe la naissance de Jésus au terme d’une lignée bien tracée et fait correspondre les événements aux prophéties de l’Ancien Testament, ne facilite pas la tâche. On y chercherait en vain, par exemple, l’annonce de la venue de l’Emmanuel (Isaïe 7, 14).

Cela est conforme à la logique du Coran, livre intemporel qui n’accorde aucune importance à l’Histoire, se contentant d’offrir des histoires édifiantes mais disparates, souvent empruntées à la Bible. C’est pourquoi aucun des événements relatifs à Marie et à Jésus n’est situé dans le temps et dans l’espace. Ainsi, les mentions de Nazareth, Bethléem et Jérusalem sont absentes du Livre.

Il reste que, malgré la confusion sur son identité, les récits coraniques relatifs à Marie se consacrent uniquement à la mère de Jésus. La Vierge que les musulmans vénèrent est donc « notre » Marie, même si le Coran ignore Joseph, son époux, et si sa mission s’inscrit dans une perspective étrangère à la rédemption, ce qui fait d’elle une musulmane bénéficiant toutefois d’un statut hors du commun.

 « Ô Marie ! Dieu t’a choisie, en vérité ; il t’a purifiée ; il t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers » (3, 42), énonce le plus beau des versets qui la concerne. Voyons comment cette élection s’est manifestée dans sa vie. Les passages relatifs à sa « nativité » et à sa « consécration » préfigurent son destin unique. Devenue enceinte sur le tard et pour remercier Dieu, sa mère (la « femme d’Imrân » selon le Coran) dit à Dieu : « Mon Seigneur ! Je te consacre ce qui est dans mon sein ; accepte-le de ma part » (3, 35). Dès la naissance de Marie, elle pria Dieu de la mettre sous sa protection, « elle et sa descendance, contre Satan, le réprouvé », vœu qui fut exaucé (3, 36-37 a). Marie échappa ainsi au sort commun de tout nouveau-né dont personne d’autre n’a bénéficié. Cette préservation n’équivaut cependant pas à une conception immaculée, inséparable du dessein rédempteur de Dieu. Or, le Coran ignore l’existence du péché originel et ses conséquences funestes pour l’humanité tout entière, et donc la nécessité d’un salut.

Confiée par Dieu à Zacharie,

son oncle d’après le Coran, Marie effectua une longue retraite dans une dépendance du Temple où le Créateur prenait soin d’elle, lui fournissant même la nourriture nécessaire (3, 37 b-c), tandis que des anges l’exhortaient à la piété (3, 43). De la sorte, la jeune fille fut préparée à la mission que Dieu lui réservait : concevoir miraculeusement un enfant qui serait un prophète. « Les anges dirent : “Ô Marie ! Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’un Verbe émanant de lui. Son nom est : le Messie, Jésus, fils de Marie ; illustre en ce monde et dans la vie future ; il est au nombre de ceux qui sont proches de Dieu”. Dès le berceau, il parlera aux hommes comme un vieillard ; il sera au nombre des justes » (3, 45-46).

La réaction de Marie ressemble à celle de l’Annonciation selon saint Luc (1, 26-38). « Elle dit : “Mon Seigneur ! Comment aurais-je un fils ? Nul homme ne m’a jamais touchée”. Il dit : “Dieu crée ainsi ce qu’il veut : lorsqu’il a décrété une chose, il lui dit : “Sois !” et elle est » (3, 47). Une autre version met en scène un « Esprit » de Dieu, Gabriel selon la Sunna (19, 17 b-21).

Dans les deux cas, le Coran omet toutefois cette phrase essentielle prononcée par l’ange : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35).

Il ne dit rien non plus du libre consentement, le Fiat, qui est attendu de Marie.

Adopter ces paroles

serait reconnaître un Dieu trinitaire, ce que l’islam refuse catégoriquement, et, pour lui, les projets divins ne sauraient dépendre d’un acquiescement humain. Quant au Verbe mentionné par l’ange, il s’agit, selon l’interprétation musulmane, de l’expression orale externe par laquelle la volonté créatrice de Dieu passe à l’acte. Cela n’a rien à voir avec l’Incarnation. Le mot « Messie », lui, n’est qu’un titre d’honneur. Ces récits empruntent des détails aux évangiles apocryphes tels que le pseudo-Matthieu et le protévangile de Jacques.

Marie mère est demeurée vierge.

Le Coran l’atteste à deux reprises (21, 91 ; 61, 12). Et il s’en prend avec véhémence aux juifs qui ont calomnié la mère de Jésus à cet égard (4, 156 ; 19, 27-32). A cause de ces prévenances divines, Marie est « parfaitement juste » (5, 75) et parce qu’« elle déclara véridiques les Paroles de son Seigneur et ses Livres », elle est « au nombre des craignants-Dieu » et ainsi donnée en « exemple aux croyants » (66, 11-12).

Malgré tous ses privilèges,

dont le sens demeure caché, comme pour ne pas altérer l’absolue transcendance de Dieu, la Marie de l’islam reste inachevée.

Plus rien n’est dit sur elle après la naissance de Jésus. Il n’empêche qu’elle bénéficie chez beaucoup de musulmans d’une réelle dévotion, d’autant plus étonnante qu’en islam on ne peut recourir à aucune intercession, sous peine de pécher par idolâtrie. La croissance actuelle du culte marial devrait être un signe d’espérance.

 

Annie Laurent

 

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(1) Le Coran, ENAG Editions, Alger, 1989, t. 1, p. 440.