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Interview de Henri de Saint-Bon / la Nef  -Février 2017-

L’islam éclaté

La Nef – L’islamisme avec son insupportable violence est-il propre à certaines branches de l’islam ou est-il consubstantiel à l’islam lui-même ?

Henri de Saint-Bon – Quelles que soient ses branches et leurs ramifications, l’islam est la religion du Coran unique et identique pour toutes. Or, le Coran  contient des versets d’une rare violence envers les non-musulmans. Pour n’en citer qu’un, le verset 47,4 prescrit « Si vous rencontrez au combat ceux qui n’ont pas cru, la première chose à faire est de trancher les cous, jusqu’à ce que vous les ayez massacrés ». La violence est donc consubstantielle à l’islam, même si d’autres versets coraniques préconisent les bonnes actions. Cette religion est marquée à ses débuts par les assassinats des 2e et 3e califes Omar et Uthman et des trois 1ers imams chiites Ali, Hassan et Hussein. Par la suite, huit des neuf imams historiques suivants sont empoisonnés. L’islam se développe ainsi sous le signe de la violence. Imagine-t-on saint Paul assassinant saint Pierre pour prendre sa place comme évêque de Rome ?

Ceci ne signifie en rien que le musulman est violent par nature ou, du moins, qu’il l’est plus qu’un chrétien ou qu’un animiste. La violence est malheureusement dans la nature de l’homme : dès le début de l’histoire Caïn tue Abel. La moitié de l’humanité tue l’autre ! Mais en pratiquant la violence, le musulman agit selon les préceptes de sa religion. Certes, dans l’histoire et aujourd’hui encore, des chrétiens ont agi avec violence mais c’est toujours en contradiction avec les enseignements de l’Evangile.

La Nef – Le monde musulman est lui-même politiquement divisé, les pays de l’Oumma n’hésitant pas à se faire la guerre : quelles en sont les principales causes ?

HDSB :  Ces divisions sont anciennes. Les deux principales branches de l’islam, sunnisme et chiisme, s’opposent dès le départ sur la question de la légitimité de la succession de Mahomet et donc du pouvoir politique à la tête de l’Oumma, opposition sur laquelle se sont greffées des divergences religieuses. Leur rivalité, qui n’a jamais cessé, atteint aujourd’hui un paroxysme, même si ce clivage sert souvent à masquer des conflits d’intérêts politiques et économiques. La raison de cette grande discorde n’est donc pas d’abord d’ordre doctrinal.

Cette hostilité oppose actuellement les puissances qui incarnent l’une et l’autre ces deux branches, l’Arabie Saoudite et l’Iran. Cette sorte de nouvelle fitna (discorde) se manifeste via des partis séides armés, tels que le Hezbollah chiite et le Front Al-Nosra sunnite.

Oui, le monde musulman est profondément divisé et les antagonismes internes ne sont pas près de s’estomper. On est face à une lutte ancestrale dont les développements en cours expliquent en grande partie le chaos actuel du Proche-Orient.

S’ajoute une fitna supplémentaire au sein du seul sunnisme Elle oppose les tenants d’une lecture « modérée » du Coran aux fondamentalistes qui veulent imposer un retour à l’islam des origines, et banissent la tradition élaborée au cours des siècles qui a, selon eux, dégradé l’islam. On assiste là à une lutte sans merci pour la définition et la représentation de l’orthodoxie sunnite. Et au sein même du fondamentalisme islamique existent de fortes divisions. Ainsi, Al-Qaida et l’État islamique sont devenus ennemis irréconciliables à cause de divergences stratégiques sur la manière de répandre l’islam dans le monde.

La Nef – Y a-t-il un moyen d’éradiquer la violence que l’on observe dans l’islam ? Une réforme conduisant à une évolution substantielle de l’islam vous semble-t-elle possible ?

HDSB :  Au IXe siècle, une partie de l’islam s’engage dans l’approche rationnelle du mutazilisme qui considère le Coran comme une œuvre humaine, et donc écarte le dogme du Coran incréé. Les versets n’étant plus estimés d’origine divine peuvent être modifiés, voire abrogés. Cette démarche fut déclarée hors-la-loi et l’est encore. Pourtant, le retour au mutazilisme est la seule solution pour une réelle évolution de l’islam. Celle-ci suppose l’abrogation officielle des passages prônant la violence et la condamnation de leurs émules.

Tant que les versets inacceptables du Coran seront considérés comme intangibles, la violence restera un élément constitutif de l’islam.

Evidemment, cette révolution ne peut être envisagée que sur le long terme. Elle n’est pas utopique car de plus en plus de musulmans courageux la préconisent. Ils doivent être très fermement encouragés et leurs écrits et paroles amplifiés et largement diffusés.

 

La NEF – N° 289 de février 2017 en page 41