Depuis quelques années,
les malheurs des chrétiens du Proche-Orient suscitent un intérêt renouvelé en Europe, et particulièrement en France. Cet intérêt s’est accru à partir de 2014 avec l’irruption du califat auto-proclamé sous le nom d’Etat islamique (ou Daech) qui, ayant étendu son pouvoir sur une grande partie de l’Irak et de la Syrie, a contraint les habitants chrétiens (et d’autres) à un cruel exode. L’émergence de l’Islam chez nous et la réflexion qu’il suscite sur sa capacité à coexister paisiblement avec les non-musulmans ne sont sans doute pas étrangères à ce regain d’intérêt.
La mobilisation est forte d’abord dans l’Eglise catholique,
où foisonnent les initiatives spirituelles, humaines et matérielles. Mais elle ne laisse pas les responsables politiques indifférents, comme l’a montré la Conférence internationale sur les minorités persécutées au Proche-Orient, organisée à Paris le 8 septembre en partenariat avec la Jordanie et sous l’égide de l’ONU. L’un des objectifs annoncés lors de cette réunion par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, était de ne pas assister sans réagir à la disparition de « la diversité millénaire » de cette région.
Les chrétiens n’étaient donc pas les seuls concernés puisque le sort des yézidis et d’autres communautés en danger a aussi été examiné à Paris.
Mais le fait d’inclure les chrétiens arabes, turcs, iraniens et israéliens dans la catégorie des minorités, comme le font généralement les dirigeants européens, ne permet pas de prendre en considération la réalité de leur identité et de leur vocation sur les terres choisies par Dieu pour se révéler au monde à travers l’histoire biblique et lui apporter les moyens de son salut par l’Incarnation de son Verbe, Jésus-Christ.
Certes, les disciples du Christ là-bas sont aujourd’hui numériquement minoritaires. Selon les données fournies au Synode spécial des Evêques sur le Moyen-Orient convoqué par le pape Benoît XVI en 2010, il y avait alors 15 millions de chrétiens sur 300 millions d’habitants dans les 17 pays concernés par cette assemblée. En cinq ans, le déclin s’est accéléré dans des proportions alarmantes. Mais pourquoi les chrétiens sont-ils minoritaires alors qu’au VIIème siècle, lors de l’apparition de l’Islam, l’Eglise était répandue partout au Levant ? C’est d’abord le résultat d’une avancée progressive et incessante de l’Islam, notamment au moyen du djihad mais surtout à cause du statut inégalitaire et humiliant de la dhimmitude prescrit par le Coran (9, 29). Pour y échapper, des populations chrétiennes entières sont passées à l’islam au fil des siècles. Le fait minoritaire n’est donc ni un « état de nature » pour les chrétiens ni intrinsèque à leur identité.
Or, il y a une différence importante
avec la situation des membres d’autres communautés religieuses, tels que les druzes, les alaouites, les alévis, les yézidis, etc. Ceux-ci suivent des doctrines ésotériques et initiatiques, réservées à leurs membres. Nés minoritaires, ils sont destinés à le demeurer. Le christianisme, pour sa part, a vocation à se répandre car l’Evangile est destiné à tous les hommes et ceci est vital pour l’Eglise.
Dans son encyclique Redemptoris missio (1990), saint Jean-Paul II considère que la foi grandit en se donnant, sinon elle s’étiole.
Le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son affaiblissement est le signe d’une crise de la foi » (n° 46).
Quant au concept de « protection », qui revient aussi dans le discours politique, il est devenu ambigu. Autrefois, l’empressement des Puissances européennes, et de la France en particulier, à secourir l’Eglise au Proche-Orient répondait au devoir d’une conscience chrétienne.
Mais, dans la France sécularisée et infidèle à son héritage spirituel, oublieuse de sa vocation propre et de son histoire, il s’enracine sur des principes hérités de la philosophie des Lumières, notamment la démocratie laïque et les droits de l’homme considérés comme les « valeurs » idéales pour le monde entier.
Or il y a un malentendu profond
sur ces questions car l’approche européenne repose sur des postulats étrangers aux réalités orientales. Aussi, sans un regard lucide, honnête et vrai, fondé sur la connaissance de l’histoire et des réalités socio-politiques locales, surtout celles relatives à l’Islam, l’Europe devient incapable de concevoir et de conduire une politique adaptée et efficace, laquelle ne profiterait d’ailleurs pas qu’aux chrétiens mais à toutes les populations de la région.
Notre perception actuelle
résulte peut-être d’un aveuglement laïciste, qui relègue la religion dans la sphère privée et réduit le christianisme à un fait culturel, même si l’on concède des avantages à sa présence en Orient puisque le progrès et la défense des libertés passent par ceux qui professent la foi en Jésus-Christ. Mais n’est-elle pas aussi un alibi commode qui permet d’évacuer toute interrogation sur les causes de leur déclin numérique, en espérant ainsi ne pas déplaire au monde musulman ?
En outre, qu’entend-on par « protection » appliquée aux chrétiens ? Cela sous-entend-il un projet de les regrouper dans des mini-Etats confessionnels sous prétexte d’assurer leur sécurité ? Mais le christianisme ne cherche pas sa survie à travers l’enfermement dans des frontières étanches. Après des siècles de « protection » islamique asservissante (la dhimmitude), la tutelle de Puissances occidentales, engagées dans un processus d’apostasie et de remise en cause de la loi naturelle, n’aiderait pas les chrétiens d’Orient à assumer leur mission évangélisatrice auprès des musulmans. Alors qu’ils traversent une crise existentielle sans précédent, ceux-ci ont un besoin urgent d’un authentique témoignage chrétien.
Le fait d’envisager de séparer ou d’éloigner,
par l’exil, les communautés chrétiennes de leurs compatriotes professant d’autres religions reviendrait à les priver de leur raison d’être. Cela serait particulièrement regrettable alors que, face à l’adversité, les Eglises orientales redécouvrent aujourd’hui la vertu d’un esprit de communion qui s’était perverti en communautarisme à cause des vicissitudes de l’histoire et du péché des hommes.
Les patriarches et évêques orientaux, conscients de la responsabilité de l’Eglise, ne cessent de nous répéter qu’ils ne veulent être traités ni comme des minorités ni comme des catégories protégées.
En persistant dans son regard faussé, l’Europe offense gravement les chrétiens d’Orient car elle méprise leur vocation, laquelle résulte d’abord de leur baptême. Les règlements politiques doivent tenir compte de cette donnée essentielle.
Annie Laurent
Famille chrétienne, n° 1967 du 26 septembre au 2 octobre 2015