Depuis quelques années, la situation critique dans laquelle se trouvent les chrétiens du Proche-Orient suscite un intérêt renouvelé en France, et pas seulement au sein de l’Église puisque des dirigeants politiques et des intellectuels de toutes obédiences s’en mêlent eux aussi.
Sans doute faut-il voir dans ce regain d’attention, après des décennies d’indifférence alors que nos frères d’outre-Méditerranée n’ont jamais cessé de souffrir, un effet collatéral de la présence d’un islam qui se développe chez nous à marche forcée, bousculant ainsi une population installée dans le confort de la laïcité.
Certains, dans l’opinion publique, se demandent peut-être comment les chrétiens du Levant s’y prennent pour cohabiter avec les adeptes d’une religion et d’une culture dont on découvre peu à peu chez nous l’éloignement de la civilisation occidentale pétrie d’Évangile. On ne saurait déplorer une préoccupation dont la légitimité est incontestable, même si elle manque d’approfondissement compte tenu de l’ampleur du défi représenté par l’islam.
Car, avec lui, il ne s’agit pas seulement d’une question d’organisation civique ou sociale mais d’un enjeu qui engage l’existence d’une nation tout entière, de sa vocation propre et de l’avenir surnaturel de chacune des âmes qui l’habitent. Bien que l’on n’en ait pas vraiment conscience, on est presque là dans l’ordre de la métaphysique ;
Constatant cette évolution, nos élites s’emparent donc de la question des chrétiens d’Orient avec empressement.
En témoigne la multiplication des déclarations, des articles d’opinion, des pétitions, des rapports parlementaires, des gestes humanitaires (par exemple l’accueil des blessés de la cathédrale syro-catholique de Bagdad, cible d’un attentat lors de la Toussaint 2010). Mais il n’est pas sûr que ces initiatives soient inspirées par un regard bien ajusté aux réalités et servent finalement l’objectif proclamé.
Pour y voir plus clair, partons d’une prise de position assez fréquente dans les milieux politiques.
On y affirme la nécessité de « protéger les minorités opprimées au Proche-Orient », en pensant sans le dire – laïcité et ménagement de l’islam obligent ! – aux chrétiens de cette région.
Peu importe qu’un tel souci parte d’un sentiment d’authentique compassion ou réponde à un moins honorable calcul électoraliste, ce qui compte étant de savoir s’il correspond aux véritables besoins des chrétiens ressortissants des pays arabes, d’Iran, de Turquie et d’Israël (car le Proche-Orient n’est pas qu’arabe, on l’oublie trop souvent).
Pour commencer, il faudrait ne pas occulter les raisons de leur état de minoritaires. Pourquoi dans cette région marquée par l’histoire biblique, presqu’entièrement acquise à l’Évangile au VIIe siècle, même s’il y subsistait des communautés juives, ne reste-t-il aujourd’hui qu’environ 15 millions de baptisés sur une population de plus de 300 millions de personnes ? Il ne s’agit pas d’une situation acquise à l’origine et immuable comme c’est le cas pour d’autres minorités, telles que les druzes, les alaouites, les alévis ou les yézidis qui, n’étant pas prosélytes, se contentent d’assurer leur survie communautaire en évitant les mariages hors de leur cercle, allant parfois jusqu’à dissimuler leurs véritables croyances pour se protéger d’un environnement hostile.
Concernant l’affaiblissement numérique des chrétiens, on peut toujours invoquer, pour le passé, le rôle des hérésies et des schismes, et pour le présent, les guerres ou les difficultés économiques, mais cela ne doit pas servir de prétexte à occulter le rôle essentiel de l’islam car c’est bien lui qui est la cause décisive de ce déclin.
Ensuite, il serait préférable, au sujet des chrétiens, de retenir l’idée de « communauté » plutôt que celle de « minorité », la première étant plus valorisante que la seconde. Les disciples du Christ au Proche-Orient, et ceci à quelque Église qu’ils appartiennent, ont besoin d’être encouragés dans leur mission.
Or, prétendre les protéger en les isolant dans des territoires où ils ne seraient qu’entre eux, donc en principe à l’abri de la domination politico-sociale de l’islam, c’est aller à l’encontre de leur vocation baptismale.
Être chrétien ne consiste pas d’abord à survivre dans une sécurité absolue, cela engage à être visiblement et joyeusement disciple de Jésus-Christ, donc à œuvrer à l’établissement du Royaume de Dieu, non d’une manière confessionnelle selon les conceptions juive et musulmane relatives à l’État et à la société, mais dans une perspective universelle. On comprend alors pourquoi les évêques irakiens s’opposent au projet de regrouper dans la plaine de Ninive, à l’est de Mossoul, ceux de leurs fidèles qui sont demeurés dans leur pays après la chute de Saddam Hussein (2003). Là, ils formeraient un canton homogène, à côté des entités sunnites, chiites et kurdes séparées qui se sont constituées de facto sur le territoire mésopotamien, mais leur foi risquerait de s’étioler faute de rayonner.
Protéger les chrétiens d’Orient passe par la prise en compte des bienfaits qu’ils ont à apporter à leurs compatriotes, croyants et incroyants, en raison des exigences de leur baptême.
L’Occident doit pour cela abandonner ses lunettes laïques. Sinon, son regard continuera d’être faussé et sa pitié sans effet concret.
A.L.