I – AU SERVICE DU DJIHAD
- A propos du respect de la vie
Le Coran enseigne que Dieu est le maître de la vie et de la mort. « C’est Lui [Dieu] qui vous fait vivre et qui vous fait mourir » (23, 80). C’est Dieu également qui « a décrété un terme pour chacun de vous, un terme fixé par Lui » (6, 2). Cela implique une prédétermination de la durée de la vie et ôte donc tout pouvoir et toute liberté à l’homme de mettre délibérément fin à ses jours ou à ceux d’autrui, par l’avortement (cf. 17, 31), l’euthanasie, l’assassinat, etc.
- Licéité du meurtre
Le meurtre est licite en plusieurs circonstances, notamment dans le cadre du talion (cf. 2, 178, 179 et 194), du « crime d’honneur » (p. ex. : une femme célibataire ou adultère enceinte), de l’apostasie et du djihad.
Action comprise dans le Coran sous son seul aspect guerrier, le djihad est un devoir religieux, une « obligation de communauté » consistant à « faire effort » pour « la cause de Dieu » ou à combattre « dans le chemin de Dieu ». « Combattez [les incrédules] jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition et que le culte de Dieu soit rétabli » (2, 193. Cf. aussi 5, 33 ; 9, 5 ; 9, 29 et 22, 78). La sédition peut concerner des musulmans qui professent une doctrine ou suivent des pratiques considérées comme non orthodoxes ou déviantes par ceux qui les combattent. Par exemple : sunnites contre chiites et alaouites, chiites contre sunnites, comme cela se produit en Irak, en Syrie, au Liban et au Pakistan.
Le djihad est prescrit à tous, même à ceux qui l’ont « en aversion », car c’est « un bien » pour eux (2, 216). Il ne faut jamais l’interrompre : « Ne faiblissez pas ! Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts. Dieu est avec vous, il ne vous privera pas de la récompense due à vos œuvres » (47, 35).
II – LA CONCEPTION ISLAMIQUE DU MARTYRE
1°/ Valeur sanctificatrice du meurtre et du suicide
Les djihadistes qui meurent au combat pour le triomphe de l’Islam ont droit au titre de « martyr » (chahîd) car le Coran établit un lien entre djihad et martyre : « Il [Dieu] ne rendra pas vaines les actions de ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu » (47, 4. Cf. aussi 3, 157 ; 3, 169 et 4, 74). Le djihad revêt donc une dimension sanctificatrice, d’où sa désignation comme « guerre sainte ».
La mort du musulman qui sacrifie sa vie pour cette cause, considérée comme la plus noble, est alors sacralisée, y compris lorsqu’elle prend la forme du suicide et du meurtre.
L’attentat-suicide trouve ainsi sa justification. Hussein Fadlallah, guide spirituel du Hezbollah libanais :
Le Coran condamne celui qui se donne la mort par faiblesse (…). Mais l’Islam permet ce type d’acte si c’est pour une cause juste. La libération de la Palestine et du sud du Liban [alors occupé par Israël] en est une »
(La Croix, 6 septembre 1997).
Cette permission peut même être donnée à la femme, comme cela s’est produit chez les Palestiniens et les Tchéchènes ainsi qu’en Irak.
Historiquement, la pratique de l’attentat-suicide, avec la valeur de martyre qui lui est attachée, est une spécificité chiite. Tombée en désuétude depuis le Moyen Age, elle a resurgi lors de la révolution iranienne (1978). Mais, vu son impact et son « efficacité », elle est imitée par des djihadistes sunnites.
2°/ Un martyre intéressé
« Dieu a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens pour leur donner le Paradis en échange. Ils combattent dans le chemin de Dieu : ils tuent et ils sont tués » (9, 111).
Ce verset évoque l’idée d’un échange entre Dieu et l’homme : en mourant tout en tuant, le djihadiste a la certitude de gagner la récompense suprême.
Le martyr musulman peut donc mourir tout en haïssant et en tuant, y compris des innocents. Il est alors persuadé de défendre la cause de Dieu et de hâter le règne de l’Islam sur le monde. Sa motivation n’est pas gratuite. Il ne meurt pas pour l’amour de Dieu ou pour ne pas renier sa Religion. Il lui est d’ailleurs permis, en cas de contrainte, d’abjurer oralement tout en gardant sa croyance dans le cœur (cf. Coran 16, 106), selon une pratique qu’on appelle la taqiya (dissimulation).
Cette doctrine favorise le conditionnement psychologique ; elle confère à la mort violente, volontaire ou pas, une dimension religieuse qui la rend désirable. On l’a vu quand, pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988), le dirigeant chiite Khomeyni envoyait des milliers d’adolescents iraniens sur le front contre Saddam Hussein, considéré comme illégitime à cause de sa confession sunnite et comme impie en raison de la coloration laïque de son régime. Ces soldats en herbe, dont les familles se déclaraient « fières » du « don » qu’elles faisaient de leurs enfants à la cause sacrée de l’Islam, savaient qu’une mort certaine les attendait, mais ils avaient aussi la garantie, symbolisée par le port d’une petite clé autour du cou, d’accéder au Paradis.
Par ailleurs, selon l’Islam, sacrifier sa vie pour une cause gratuite, comme la charité, n’implique pas d’être reconnu martyr. Ainsi, pendant la guerre d’Algérie (1958-62), l’ami musulman de l’officier Christian de Chergé (futur prieur de N.-D. de l’Atlas) qui a protégé ce dernier de son corps pour l’empêcher d’être atteint par les balles d’un combattant du FLN, a-t-il été assassiné en représailles. En défendant un « ennemi », il avait commis une trahison.
3°/ A propos du djihad pacifique
Certains musulmans, dépassant le cadre strict du djihad coranique, donnent à ce combat une interprétation spirituelle, morale ou sociale. Pour eux, être chahîd (= martyr) peut aller jusqu’à prendre le risque de mourir en luttant pour la justice, la liberté et le respect de tous, contre la violence, etc. Tel est parfois le cas de militants politiques qui s’opposent à l’islamisme ou d’intellectuels qui appellent à la réforme de la pensée islamique. Certains d’entre eux paient ces engagements de leur vie car, pour les islamistes, cette forme de djihad s’apparente à l’apostasie. En voici trois exemples :
- – 1985 : au Soudan, l’écrivain et homme politique Mahmoud Taha a été pendu sur ordre du président Nimeiry à la suite de la publication d’un livre, Le second message de l’Islam, dans lequel il préconisait de ne retenir du Coran que les aspects spirituels et moraux ;
- 1992 : en Egypte, l’écrivain et avocat Farag Foda, accusé d’apostasie par une fatwa (avis religieux) d’El-Azhar, institution représentative de l’Islam égyptien, pour avoir critiqué l’intégrisme musulman et défendu les coptes, a été assassiné par deux islamistes ;
- 2013 : en Tunisie, deux politiciens libéraux, Chokri Belaïd, fondateur du Parti patriotique démocratique, et Mohamed Brahmi, député, ont été abattus par des djihadistes.
III – QUELLE EST LA DOCTRINE CHRETIENNE DU MARTYRE ?
Dans le christianisme, le martyre implique nécessairement la gratuité, l’amour et le pardon.
Le martyre est le suprême témoignage rendu à la vérité de la foi ; il désigne un témoignage qui va jusqu’à la mort. Le martyr rend témoignage au Christ, mort et ressuscité, auquel il est uni par la charité. Il rend témoignage à la vérité de la foi et de la doctrine chrétienne. Il supporte la mort par un acte de force »
(Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 2473).
Le Nouveau Testament exige l’exercice inconditionnel de la charité et du pardon, y compris envers les ennemis et les bourreaux (Cf. Mt 5, 43-47 et 6, 12-14 ; Lc 6, 27-35). Il invite à suivre l’exemple de Jésus-Christ lors de sa Passion (Cf. Lc 23, 34 ; Ac 7, 60 ; Rm 12, 14).
Un chrétien peut désirer mystiquement le martyre par imitation de son Maître, mais il ne peut en aucun cas rechercher sa propre mort, fût-ce en provoquant l’ennemi de la foi, dans l’espoir d’obtenir la palme du martyre. Ce serait pousser le bourreau au péché et donc commettre un grave manquement à la charité.
Enfin, la finalité du martyre chrétien n’est pas d’ordre temporel mais d’ordre spirituel : il s’agit d’œuvrer à l’avènement du règne de Dieu.
Annie Laurent