Clarifier, en partenariat avec Mission Ismérie, a organisé un grand colloque le 21 janvier 2021, à Paris, intitulé « L’islam face à la Bible ».
Dans la continuité du colloque précédent « Islam-Occident : où va-t-on ? », nous avons voulu poursuivre notre exploration des rapports entre islam et Occident par la question de l’appréhension de la Bible par l’islam doctrinal et par les musulmans. Les écritures sacrées et la compréhension qu’en développent leurs croyants sont en effet une clé fondamentale pour appréhender les sociétés et les civilisations, leurs visions du monde et de l’homme. En la matière, islam et Occident chrétien comme post-chrétien diffèrent fondamentalement. La Bible pourrait-elle être un chemin d’accès, d’adaptation, voire d’enracinement dans nos sociétés ?
Mais pour pouvoir l’envisager, il nous faut comprendre comment la Bible est perçue en islam : qu’est-ce que le concept « d’écritures sacrées » en islam ? Comment la Bible est-elle comprise au regard du Coran ? Comment passer au-dessus des blocages pour faire comprendre le fonds civilisationnel de l’Occident aux musulmans ? Comment donner à aimer la culture française, et, pourquoi pas, proposer la foi chrétienne ?
Pour réfléchir à ces questions essentielles, le colloque a mobilisé des intervenants et des témoins, intellectuels, observateurs, acteurs engagés. En voici une présentation générale, et quelques échanges avec le public :
Et voici le compte-rendu et les vidéos des interventions (cliquez sur les titres pour un accès direct) :
Introduction
Général Bertrand Binnendijk (2S) : « L’islam, religion du droit »
Le général Bertrand Binnendijk (2S) est ancien attaché de Défense en Israël, ayant travaillé dans la coopération militaire avec le monde arabo-musulman. Il a enseigné durant plusieurs années les fondamentaux de l’islam et les relations géopolitiques moyen-orientales à l’Ircom d’Angers, à l’IEP de Rennes (Sciences Po) et à l’ICES, et donné de nombreuses conférences sur le sujet de l’islam.
Bertrand Binnendijk a proposé une présentation riche et pédagogique des fondements de l’islam (son prophète, ses textes sacrés, sa tradition, sa charia), de sa vision du monde et de la psychologie musulmane. Il les a illustrés par quelques applications concrètes – la situation de la femme en islam, les subterfuges juridiques, la notion de droits de l’Homme -, permettant de mieux comprendre le monde sunnite, de voir combien l’islam est en même temps religion, civilisation et droit. Et combien il fallait considérer ces trois dimensions comme indissociables pour l’appréhender, pour éviter les confusions et les erreurs.
L’islam entend en effet régir une multitude de domaines au point que son droit concerne tous les aspects de la vie, tels le culte, l’organisation de la famille, l’héritage, le régime des biens, les échanges, le droit pénal, la responsabilité civile, l’ordre politique national et international, et d’autres encore. On résume cela souvent par le mot de charia, mais celle-ci est davantage un état d’esprit, un respect de la volonté de Dieu, qu’un code en tant que tel – lequel existe bel et bien cependant. État d’esprit qui remonte, selon l’islam, à ses origines mêmes, dans la prédication de son prophète et le rôle de modèle, de guide universel et de législateur qu’il y a tenu. A sa suite, on a assisté à un développement considérable du fiqh, c’est-à-dire des livres de droit, sur plusieurs siècles, fondé d’abord sur l’effort d’interprétation des écritures, le Coran et la Sunna (la tradition prophétique), mais aussi sur le raisonnement analogique (qiyas) et le consensus (Ijma’), la coutume et parfois le jugement personnel des savants et des juges. Quatre écoles de droit orthodoxes ont émergé, avec leurs jurisprudences, parfois divergentes, voire opposées. Le droit sunnite est cependant resté figé depuis le XIe siècle. La décision d’arrêter l’effort d’interprétation (ijtihad) a été prise au maximum de l’extension de l’empire musulman sous la dynastie abbasside pour calmer les oppositions, au risque donc d’une certaine sclérose handicapant depuis l’adaptation des sociétés musulmanes à l’évolution du monde.
Le droit en islam ne fonctionne pas selon les catégories auxquelles les Occidentaux sont habitués, reposant essentiellement sur la division entre le permis (halal) et l’interdit (haram), entre lesquelles les actions humaines sont classifiées selon diverses catégories, depuis les subtilités du licite (obligatoire, recommandé, superfétatoire…) jusqu’au blâmable (qui est donc prohibé). Il ne se fonde pas en soi sur la morale, en ce sens que les actes humains n’ont d’autre valeur que leur conformité scrupuleuse à la législation divine. Ainsi, il n’existe pas à proprement parler de responsabilité individuelle reposant sur la conscience personnelle : est bien ce qui est permis, est mal ce qui est interdit. Par exemple, si une mère ne pouvant nourrir ses enfants vole de la nourriture, elle est considérée comme ayant commis un acte interdit, et donc un acte intrinsèquement mauvais. Elle doit alors être condamnée sans prise en compte des circonstances atténuantes.
Une forte contrainte s’exerce alors sur le for intérieur, qui interdit, par définition, à la réflexion de s’aventurer en dehors de ce qui est permis. Dès-lors, pour pouvoir vivre à l’intérieur d’un tel système, des astuces juridiques, les hiyal (stratagèmes, subterfuges, ruses) ont été développées pour permettre à la société musulmane de répondre aux besoins immédiats tout en respectant formellement la rigidité des règles divines. C’est le cas dans certaines relations homme-femme (mariage temporaire, divorce arrangé). C’est aussi le cas, tout particulièrement dans notre monde actuel depuis que l’islam a été confronté au droit des puissances coloniales (esclavage, statut de la personne), ou pour traiter de nouveautés qui n’avaient pas encore cours lors de l’élaboration de la doctrine. Les règles de la finance islamique moderne ont été développée comme cela, permettant de contourner les interdits religieux sur le prêt à intérêt. Reste cependant que le carcan du droit n’autorise pas tous les contournements, ainsi que le montre le refus de nombreux pays musulmans de ratifier pleinement la déclaration de droits de l’Homme de l’ONU. Des déclarations des droits de l’Homme en islam lui ont été préférées.
Le défi de l’adaptation du système juridique islamique à la réalité du monde moderne reste donc entier. Des penseurs musulmans appellent certes à une nouvelle ijtihad, afin d’adapter le système juridique des pays musulmans à la réalité du monde moderne. Elle ne peut cependant se faire en islam que dans les limites de ce que le Coran et la Sunna peuvent autoriser, c’est-à-dire qu’il ne s’y agit pas tant de moderniser l’islam que d’islamiser la modernité.
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Odon Lafontaine : « La Bible selon la tradition musulmane »
Conférencier, auteur des livres Le grand secret de l’islam (Kindle, 2015-2020) et La Laïcité, mère porteuse de l’islam ? (avec le P. Michel Viot, préface de Rémi Brague, Saint-Léger, 2017), Odon Lafontaine est l’un des fondateurs de Mission Ismérie, participe à son travail éditorial, à son pôle d’études sur l’islam avec l’association Clarifier, et à la formation des chrétiens sur l’islam. Il est aussi très investi dans l’association EEChO (Enjeux de l’Étude du Christianisme des origines).
L’intervention d’Odon Lafontaine a permis de comprendre comment l’islam « doctrinal » considère la Bible, en replaçant celle-ci dans la vision globale que l’islam porte sur lui-même et sur le christianisme et le judaïsme. On comprend ainsi que l’islam se considère non pas comme une religion apparue au VIIe siècle avec son prophète, mais comme la religion primordiale voulue par Dieu, correspondant à la nature primordiale selon laquelle il a créé chaque homme (la fitra), depuis Adam. Cette nature, cette religion, commandent son adoration exclusive dans une forme de « monothéisme pur » (30,30 ; 51,56). Mais les hommes n’ont eu de cesse que de se détourner de leur nature, de se détourner de Dieu, d’où la raison pour laquelle il n’a cessé d’envoyer des prophètes et des messagers pour les rappeler à l’ordre divin.
Pour cela, certains d’entre eux ont communiqué des écritures, calquées sur le modèle de l’écriture divine que Dieu conserve avec lui au Ciel (43,2-4 ; 56,77-79 ; 85,21-22). Abraham a ainsi donné les « feuillets d’Ibrahim » (53,36 ; 87,18), Moïse, la tawrat (Torah islamique, cf. 21,48), David, le zabour (Psaumes islamiques, cf. 4,163 ;17,55 ;21,105), Jésus l’injil (Évangile islamique, au singulier, cf. 57,26-27), et Mahomet, l’ultime prophète, le sceau de la révélation, a donné le Coran. La « descente » de ces écritures, et les prédications des différents prophètes se sont faites à chaque fois sur le même modèle : les hommes se dévoyant de leur fitra, et abandonnant la religion voulue par Dieu, celui-ci missionnait successivement des envoyés pour leur réexpliquer la vraie religion, devant ainsi remplacer leurs religions dévoyées. Dans la vision islamique, le judaïsme procède ainsi d’un dévoiement des enseignements islamiques des prophètes de l’islam – Abraham, Moïse, David et bien d’autres -, et le christianisme du dévoiement de l’enseignement du Jésus islamique. Et la Bible procède donc d’une falsification des écritures islamiques qu’ils avaient originellement apportées. Il existe ainsi une forme de blocage religieux en islam pour l’appréhension de la Bible, qui est donc considérée a priori comme un texte que les Juifs et les chrétiens ont trafiqué pour justifier leurs religions dévoyées.
Ce blocage est d’autant plus fondamental qu’il est une conséquence de la foi islamique elle-même : pour que l’islam soit légitime, pour que son prophète ait quelque chose de juste, de pertinent, à proclamer, il faut que le christianisme et le judaïsme soient faux. Donc, en raisonnant selon le schéma proposé par la tradition islamique de religions révélées, fondées sur leurs écritures saintes, il faudrait aussi que ces écritures soient fausses. Voilà le cœur de la problématique de la Bible en islam : son statut ne tient pas à la réalité de ce qu’elle est, de son histoire, de son sens, mais à la mécanique idéologique de l’islam lui-même. De-là, on comprend que, dans l’autre sens, défendre l’authenticité de la Bible, c’est désavouer directement celle de l’islam et du Coran. Ainsi, la thématique de la falsification (tahrif) et du détournement (tabdil) a-t-elle été développée de manière univoque par la tradition de l’islam au sujet de la Bible, selon son interprétation de nombreux versets coraniques (2,59 ; 2,75-79 ; 3,78 ; 4,46 ; 5,13 ; 5,41 ; 7,162).
Pourtant, le texte coranique présente toujours de nombreux versets semblant attester de l’authenticité des écritures juives et chrétiennes (3,34 ; 4,136 ; 5,47 ; 6,34 ; 10,64 ; 18,27 ; 29,47 ; 48,29). Certains enjoignent même Juifs et chrétiens à s’y référer (5,68 ; 10,94), laissant donc supposer qu’il existait encore une écriture biblique « authentique » au temps des prédications coraniques. Et la tradition présente par ailleurs des épisodes où le prophète de l’islam semble lui aussi attester de cette authenticité. Il se trouve même dans le Coran des versets semblant engager les musulmans à lire la Bible pour y trouver des versets prophétisant la venue de Mahomet (7,157 ; 61,6). Les musulmans se retrouvent ainsi face à une forme d’injonction contradictoire leur demandant de croire en même temps à la falsification de la Bible tout en recommandant sa lecture. Le cadre de l’islam les enferme donc dans un dilemme insoluble en islam : soit la Bible a été falsifiée alors que le Coran affirme le contraire, et donc le Coran est faux, et donc l’islam est faux ; soit la Bible n’a pas été falsifiée, mais alors, comme elle contredit le Coran, c’est donc que celui-ci est faux, et donc que l’islam est faux.
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Jean-Baptiste Maillard : « La révolution Internet »
Passionné d’Internet, Jean-Baptiste Maillard s’investit à plein dans l’évangélisation sur le web, ayant fondé et dirigeant la plateforme dédiée depuis 2015, Lights In the Dark (www.lightsinthedark.com), avec la possibilité d’y discuter en ligne avec des « e-missionnaires ». Il a lancé de nombreux sous-projets thématiques (Lumière de Noël, Saint Valentin, SOS Porno, etc.). Il est l’auteur d’Évangéliser sur Internet, mode d’emploi (Editions des Béatitudes, 2019).
Jean-Baptiste Maillard pratique l’évangélisation sur Internet depuis une dizaine d’années. Il a créé pour cela une association en 2015, « Lights In The Dark », avec un site Internet amiral éponyme (https://www.lightsinthedark.info), et des déclinaisons thématiques sur d’autres sites dédiés : Noël, l’addiction à la pornographie, la Saint Valentin, le linceul de Turin, la vie après la mort, etc. Il y propose des contenus, textes et vidéos, et, surtout, la possibilité de discuter en direct, « chatter » avec des missionnaires en ligne formés spécialement pour cela. A partir de cette expérience, il est venu présenter un état des lieux de l’évangélisation en ligne, de son pendant islamique (la « coranisation »), de leurs dynamiques et perspectives.
De prime abord, Jean-Baptiste Maillard n’est pas un spécialiste de l’évangélisation des musulmans. Cependant, il a été amené, avec ses équipes, à discuter avec beaucoup d’entre eux, en ligne et au hasard de ses rencontres. Les musulmans se posent aussi les questions que soulèvent ses différents sites, et certains viennent y chercher des réponses et discuter. Internet est en effet la « première source d’information religieuse », a-t-il dit, et beaucoup de musulmans sont en fait dans l’attente d’une proposition chrétienne. Mais l’intervenant a tenu à montrer combien ce sont surtout des sites musulmans, des figures musulmanes, qui tiennent pour le moment le haut du pavé sur Internet. S’appuyant en particulier sur le rapport La fabrique de l’islamisme (dirigé par Hakim El Karoui, Institut Montaigne, 2018, disponible en ligne sur le site de l’institut : https://www.institutmontaigne.org/publications/la-fabrique-de-lislamisme), il donné des exemples et des chiffres clés quant à l’investissement des musulmans sur la « coranisation » en ligne, y compris faite par des islamistes. Elle passe beaucoup par les réseaux sociaux, qui sont la « caisse de résonance » de leur prédication, via notamment des figures médiatiques, des influenceurs connaissant un succès très important. L’islam est ainsi la première religion sur le web français. On y trouve des sites et plateformes de prédication, de présentation générale aux non-musulmans francophones, de formation, d’explication de sa doctrine (notamment sur la question de la Bible en islam), proposant d’apprendre l’islam en ligne – « 100% gratuit » – de manière simple et rapide. Certains vont même jusqu’à présenter un compteur de conversions en temps réel, avec des objectifs à atteindre.
Il semble donc absolument nécessaire que les chrétiens s’investissent aussi sur Internet, sur les réseaux sociaux, qu’ils y développent des propositions chrétiennes pour aller rejoindre les musulmans. Le magistère romain y encourage tout particulièrement les fidèles, comme l’a rappelé Jean-Baptiste Maillard. Toutefois, malgré les propres efforts de ce dernier, l’offre catholique n’est pas encore très développée, tout spécialement celle à destination des musulmans, malgré la percée de nouveaux influenceurs catholiques, et la présence de sites de référence, sur la Bible notamment. Les chrétiens évangéliques en revanche sont beaucoup plus actifs, depuis longtemps, et ont développé une certaine expertise : parcours bibliques, parcours de formation en vidéo, sites internationaux en plusieurs langues, dont l’arabe, formats originaux, appui sur les Écritures…
Reste que « Lights In The Dark » s’y développe bien, avec d’immenses perspectives. Et que déjà, les témoignages de conversion, les fioretti des rencontres avec les musulmans se multiplient, comme Jean-Baptiste Maillard a pu en présenter certains des plus touchants dans son intervention, faisant comprendre au public combien il faut soutenir l’effort d’évangélisation sur le web par tous les moyens.
[1] https://www.lightsinthedark.info
[2] La Fabrique de l’islamisme, dirigé par Hakim El Karoui, Institut Montaigne, 2018, disponible en ligne sur le site de l’institut : https://www.institutmontaigne.org/publications/la-fabrique-de-lislamisme
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Un chrétien issu de l’islam : « Mon parcours, de musulman à missionnaire chrétien »
X. s’est converti au christianisme en pays musulman, et y annonce depuis l’Evangile aux musulmans. Il témoignera de son parcours et de son action.
X. est né musulman en pays musulman. Il y a rencontré Jésus grâce à certaines émissions de radio, par une station qui diffusait des programmes chrétiens évangéliques en arabe. « J’ai alors découvert que Dieu est amour (…). L’islam me disait que Dieu est miséricordieux, mais je n’y avais jamais entendu que Dieu est amour ». Jésus a alors fait irruption dans sa vie, par sa Parole que relayait la radio et qu’il écoutait tous les jours. Mais il lui a fallu un certain temps avant d’avoir sa propre Bible, une religieuse amie à qui il la lui demandait ne voulait pas la lui confier à la légère. X. a alors triomphé de sa peur de franchir le seuil d’une église, et a pu se confier au prêtre qu’elle lui avait recommandé. Il l’a accompagné jusqu’au baptême et bien au-delà. Un baptême discret, à huis clos, dans un lieu isolé.
X. est ainsi devenu chrétien, catholique, et a grandi dans la foi. Après quelques années, il est parti en France poursuivre sa formation chrétienne, étudiant la théologie, la Bible, s’investissant dans la vie de l’Église, animé d’une foi de plus en plus vive.
Revenu dans son pays pour annoncer Jésus à ses compatriotes, il s’y occupe de plusieurs groupes : il accompagne des personnes en réflexion, en chemin vers le Christ, des catéchumènes et des néophytes. Plusieurs sont baptisés chaque année. « Le nombre ne nous intéresse pas », dit-il. « Nous ne sommes pas une entreprise de recrutement (…). Ce qu’il faut, c’est une formation solide ». Mais il n’en dit pas moins que « nous continuerons à baptiser jusqu’à la fin des temps » !
Cette formation solide repose beaucoup sur la possibilité de découvrir la Bible dans sa propre langue. Les groupes qu’il accompagne la lisent dans trois langues, et notamment car X. s’est beaucoup investi dans sa traduction en arabe dialectal local, en collaboration avec des chrétiens évangéliques. Ils ont même créé un site internet qui la propose ainsi en audio et à l’écrit.
X. ne partage pas cependant toutes les orientations de ses amis chrétiens évangéliques. Certains baptisent trop vite, sans « formation solide », sans prendre le temps de l’enracinement dans la foi. Des ex-musulmans, convertis évangéliques, en viennent ainsi à vivre leur foi dans le rejet du monde arabo-musulman. Ce qui non seulement crée des difficultés dans les relations entre chrétiens et musulmans, voire avec les autorités, mais, surtout, n’est pas vraiment ajusté au point de vue de la foi. X. affirme au contraire qu’il n’est pas chrétien contre ses compatriotes musulmans, ni contre son pays. « Ma foi me fait aimer davantage mon pays » et le fait s’impliquer plus encore pour lui.
Jésus a ainsi transformé X., comme sa famille a pu en faire l’expérience. Plutôt tolérante, elle ne s’est pas opposée à sa conversion, même si, restée musulmane, elle en a été interloquée. X. a tout fait pour ne pas créer de « scandale ». Son père reconnait maintenant que quelque chose a profondément changé en lui, qu’il est habité, que c’est quelque chose de « fou ». X. montre ainsi par l’exemple, avec sa famille, avec ses amis musulmans, qu’un chemin de fraternité et d’amour est possible entre chrétiens et musulmans. Il reconnait volontiers les « semences du verbe » dans la conduite bonne de ceux-ci. Pas dans l’islamisme cependant, cette version mortifère de l’islam. Il est joyeux, rempli d’espérance et d’un zèle contagieux pour la mission : « N’ayez pas peur, allez-y, annoncez Jésus Christ, pas en imposant mais en proposant ! » a-t-il conclu son intervention.
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Philippe d’Iribarne : « Oser la Bible pour comprendre l’Occident »
Philippe d’Iribarne est économiste et anthropologue, directeur de recherche au CNRS, intervenant régulièrement dans le débat public sur les questions liées à l’islam et à la laïcité. Il est l’auteur notamment des livres Les Immigrés de la République, impasses du multiculturalisme (Paris, Le Seuil, 2010), L’islam devant la démocratie (Paris, Gallimard, 2013) et Islamophobie : intoxication idéologique (Paris, Albin Michel, 2019).
Philippe d’Iribarne a délivré l’intervention finale du colloque en montrant combien la lecture de la Bible pouvait constituer au plan culturel, à côté de sa dimension spirituelle, une clé de compréhension de la civilisation occidentale, et donc une clé d’accès et d’intégration. Les grands textes qui ont contribué à structurer une vision du monde sont en effet des plus utiles pour comprendre l’autre, qu’il s’agisse par exemple des œuvres de Confucius pour le monde chinois, ou celles de Luther dans le rapport particulier que les Allemands entretiennent avec le travail. Et donc, même si la Bible n’est pas le tout de l’Occident, elle participe de son tronc commun, de la manière particulière dont sont structurés les rapports entre les personnes, et donc la vie de la cité. Philippe d’Iribarne l’a montré et développé selon plusieurs thématiques, illustrées de nombreux exemples, puisant notamment dans son livre L’islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).
La première est celle de la conception du pouvoir, qui, en Occident, est à la fois respecté et contesté, qui n’est donc ni considéré comme total et absolu, ni rejeté de manière radicale. Le monde musulman a montré récemment combien pouvait vivre cela de manière inverse : les printemps arabes ont déposé des pouvoirs forts de manière frontale et radicale, pour finir par les voir remplacés par d’autres pouvoirs, tout aussi forts. L’Occident fonctionne différemment, et on peut y voir l’influence de la Bible, par exemple dans l’attitude d’Abraham tançant Dieu lui-même et marchandant avec lui (épisode de la destruction de Sodome et Gomorrhe, en Gn 18). Ou bien celle du prophète Nathan admonestant très sévèrement son roi, David, pour avoir fait tuer son capitaine afin de prendre sa femme (en 2S 11 & 12). Ce rapport subtil à l’autorité que l’on révère tout en la critiquant se retrouve ainsi dans la pensée d’un Thomas d’Aquin affirmant la nécessité de suivre sa raison, de respecter la primauté de sa conscience personnelle, fixant ainsi des limites aux pouvoirs temporels et spirituels que l’on imagine mal dans un environnement musulman.
Poursuivant, Philippe d’Iribarne a montré que cette distance critique vis-à-vis de l’autorité se transpose dans le rapport à la tradition, aux choses établies. On n’imagine pas, en effet, les libertés qui sont prises en Occident dans l’autocritique historique ou la relativisation du sacré avoir généralement cours au Maroc ou en Algérie (pensons aux travaux d’Israël Finkelstein mettant en cause l’historicité de la Bible, de Moïse, de l’Israël antique). C’était déjà, d’une certaine manière, l’attitude d’éminents personnages bibliques : Job, par exemple, refusant les interprétations convenues, traditionnelles, que ses amis avançaient pour expliquer son sort misérable ; et plus encore Jésus, refusant d’adhérer à la lettre de la tradition, tout en ne rejetant pas la Loi qu’il affirme être venu accomplir (et non abolir). Voilà qui est très difficile à comprendre dans l’univers musulman, où l’on n’utilise pas sa raison ainsi. L’Occident bénéficie ici non seulement de l’apport biblique, de la tradition juive, mais aussi de la raison grecque – c’est le mariage de Rome, Athènes et Jérusalem, celui de la raison critique, « discutante », et de la raison contemplative au service de la recherche de la vérité.
Ce mariage a permis le déploiement d’un Occident fait de pluralités, d’acceptation de la pluralité. A l’image de la Bible, qui présente par exemple plusieurs récits, différents, de la création de l’Homme. Ou bien plusieurs Évangiles, là aussi différents, parfois contradictoires en apparence, pour relater une même vie de Jésus. Ou encore dans la structure même de la Bible qui fait coexister des récits hébraïques très anciens, au contexte historique révolu, avec certains textes de la révélation chrétienne qui pourraient presque leur sembler étrangers – les chrétiens ayant de plus condamné la tentation marcionite d’élaguer les premiers avec tradition juive.
On peut y voir une source du pluralisme démocratique, de la coexistence d’avis opposés néanmoins capables de se réconcilier, là où le pluralisme dans le monde islamique est davantage considéré comme source de dissensions (la fitna). Il permet aussi à la raison de travailler : Philippe d’Iribarne l’a illustré par l’exemple d’une chercheuse égyptienne de son équipe particulièrement marquée par la découverte de la dissertation, de la faculté de pouvoir développer une thèse et son antithèse, et d’en produire même le dépassement dans une synthèse. Un tel exercice mental semble difficile dans le monde sunnite. Plus profondément, le conférencier a invité à considérer la dimension du doute, abondamment mise en scène dans la Bible (le peuple doutant de Dieu, les apôtres doutant de Jésus, etc.) comme fondamentale pour la recherche de la vérité. A l’inverse, le monde islamique considère le doute comme intrinsèquement mauvais, et a développé un rapport tout autre à la vérité, comme devant être une certitude, un bloc, un socle et non un cheminement. Cela se traduit, incidemment, par des rapports au corps, à l’agir, très différents : l’Occident a pu ainsi faire coexister pudeur et appréciation de la beauté, en mettant en valeur l’être intérieur, relativisant ainsi l’extériorité de la personne. Il a appris à sortir des carcans de la règle, communautaire, religieuse, à l’image de Jésus relativisant le sabbat ou les interdits alimentaires.
La fréquentation de la Bible, de ses histoires, de ses personnages pourrait ainsi permettre aux musulmans de comprendre un univers différent du leur et qu’ils ont du mal à saisir à partir de leurs propres catégories. Elle pourrait aussi leur apporter les moyens d’une compréhension renouvelée d’un monde somme toute opaque, et même de leur propre rapport à Dieu, a ainsi conclu l’intervenant.
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