SYRIE – UN CONFLIT CONFESSIONNEL

 L’enlèvement de deux ecclésiastiques en Syrie, intervenu le 22 avril dernier (toujours captifs à l’heure où nous écrivons ces lignes), signe à nouveau la dimension confessionnelle du conflit commencé le 11 mars 2011. Les deux otages sont métropolites (évêques) à Alep, la grande cité du nord, en partie conquise par les rebelles durant l’automne 2012.

  • L’un, Mgr Boulos (Paul) Yazigi, gouverne l’éparchie (diocèse) des grecs-orthodoxes et il est le frère du titulaire du patriarcat dit « orthodoxe d’Antioche », Jean X, qui siège à Damas et dont les fidèles représentent 60 % des chrétiens de Syrie.
  • L’autre, Mgr Youhanna (Jean) Ibrahim, gouverne les syro-orthodoxes qui relèvent du patriarcat « syriaque d’Antioche » dont le siège est aussi à Damas. Cette Eglise est la plus ancienne présente dans le pays. Les deux prélats ont été enlevés à Kafr Daël, près de la frontière turque, alors qu’ils effectuaient des démarches en vue de la libération de deux autres prêtres kidnappés le 9 février 2013, les Pères Michel Kayyal (arménien-catholique) et Maher Mahfouz (grec-orthodoxe).

La capture des évêques

non revendiquée, pourrait être l’œuvre de l’organisation terroriste Forsat el-Nosra, liée à El-Qaïda, ou d’islamistes étrangers indépendants venus participer au djihad contre le régime de Bachar El-Assad, considéré comme hérétique et donc illégitime par les musulmans sunnites, majoritaires en Syrie, dans les pays arabes ainsi qu’en Turquie, à cause de sa confession alaouite.

Le drame a d’autant plus secoué les chrétiens syriens que ces deux pasteurs sont connus pour leur engagement au service de la paix et se sont jusqu’à présent abstenus de toute prise de position politique dans le conflit en cours. Mais c’est peut-être cela qui leur est reproché par ceux qui ne veulent pas entendre parler de dialogue et de solution pacifique…

Bien des chrétiens ressentent cet événement comme un avertissement d’avoir à quitter leur pays.

Outre l’insécurité due aussi bien aux affrontements entre l’armée régulière et la rébellion qu’au retrait des forces gouvernementales des régions perdues où règne l’anarchie, les disciples du Christ subissent les pressions croissantes de mouvements islamistes relevant d’obédiences rivales.

Ceux-ci imposent les mœurs coraniques aux populations passées sous leur contrôle, créent des tribunaux qui jugent selon la charia (la loi islamique) et se livrent parfois à d’horribles violences contre les innocents.

  • Ainsi, début avril, selon le site internet Le veilleur de Ninive, près d’Alep, treize chrétiennes ont été violées puis égorgées par des miliciens de Forsat el-Nosra.
  • Plus à l’est, à Deir ez-Zor, où il ne reste plus un chrétien, une église et un couvent capucins ont été délibérément bombardés.

Ce n’est qu’un faible aperçu de ce que subissent les baptisés depuis de nombreux mois. Confrontés à cette situation terrifiante, ceux qui restent cherchent la force dans la prière et l’assistance à la messe, y compris en semaine, comme en témoignent des prêtres résolus à demeurer auprès de leurs fidèles malgré les risques.

Durant son voyage à Paris, du 9 au 14 avril, le cardinal Béchara Raï, patriarche des maronites, a mis les dirigeants français en garde contre leur projet d’armer l’opposition anti-Assad, sachant que la haine confessionnelle est prépondérante dans ses rangs. Il semble avoir été mieux compris que lors de sa première visite, en septembre 2011, où on l’aurait presque considéré complice d’une dictature.

Mais on doit légitimement se demander s’il est encore possible d’enrayer un processus pervers que l’Occident a encouragé dès le début, par ignorance ou aveuglement idéologique.

Annie Laurent

(article paru dans L’Homme nouveau n° 1542 du 11 mai 2013).