Alors que se multiplient les violences commises par des personnes ou des groupes s’identifiant comme musulmans et justifiant leurs actes au nom de Dieu (attentats terroristes, persécutions infligées aux chrétiens dans les pays gouvernés par l’Islam, entraves à la liberté religieuse, etc.), il peut être tentant de rejeter les musulmans.
1/ LES PRINCIPES
La loi naturelle
L’amitié et la fraternité entre les hommes sont des données inscrites dans la nature humaine. L’homme est fait pour aimer et être aimé. Il ne peut être heureux en nourrissant de la haine contre son frère en humanité, même si ce dernier est violent ou se réfère à des principes qui prônent la violence.
L’enseignement biblique
Tout être humain, homme et femme, est créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn I, 26 et s.). C’est ce qui lui confère sa qualité de personne. Ainsi, aux yeux de Dieu, chacun est d’égale dignité, et ceci quelle que soit sa condition ou sa religion.
En Jésus-Christ, Dieu s’est révélé comme Dieu Amour (1 Jn 4, 16). Bien que haïssant le mal et tout ce qui y conduit, Dieu ne pratique pas un amour sélectif ou de préférence. Sa charité, gratuite, est égale pour tous. « Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux car Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 44-45). Par ce divin précepte, Jésus coupe la route à la « haine théocratique » : haïr les ennemis de Dieu (réels ou supposés) pour pouvoir les tuer en Son Nom.
La charité de Dieu repose sur le service, non sur une appréciation de la qualité des gens. Il aime pour donner et non pas parce qu’Il serait séduit par quelque chose que l’homme lui apporterait.
Jésus est venu pour les pauvres et les pécheurs, « non pas pour juger le monde, mais pour sauver le monde » (Jn 3, 17). Les chrétiens, enfants de Dieu par la grâce du baptême, sont appelés à leur tour à servir leurs frères en étant « sel de la terre et lumière du monde » (Mt 5, 13-14), en leur pardonnant et en les aimant gratuitement.
Les chrétiens ne peuvent donc pas se dérober à cet appel qui les invite à une conversion du coeur et, à l’image du Christ, non seulement à « aimer l’autre comme soi-même » (Lv 19, 18 ; Mc 12, 31 ; etc.), mais aussi à aimer cet autre comme le Christ Lui-même l’aime (cf. Jn 15, 12-13).
L’enseignement coranique
Dans le Coran, Dieu ne révèle rien de son mystère d’amour. Transcendant, dépourvu d’immanence, « impénétrable » et « inaccessible », « Le Dieu du Coran est seulement Majesté et jamais Emmanuel, Dieu avec nous » (Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, Plon-Mame, p. 152). Il reste éloigné de ses créatures humaines, impassible face à leur histoire. S’Il se réserve la possibilité d’aimer les hommes, c’est d’un amour arbitraire, conditionné par leur adhésion et leur fidélité à l’islam. « Je n’ai créé les êtres et les hommes que pour qu’ils m’adorent » (76, 19). Le verbe « adorer » implique ici une soumission sous la contrainte et non l’adhésion libre à une relation d’amour.
Dans l’islam, le verbe « aimer » attribué à Dieu évoque l’attitude d’un Maître satisfait ou insatisfait de son serviteur et non pas celle d’un Père aimant, ouvrant ses bras à son enfant prodigue (Lc 15, 11-24). Un choix est opéré par le Dieu du Coran qui établit une nette différence entre les musulmans et les « autres », qu’il n’est pas recommandé d’aimer.
« Ceux qui prennent pour Maîtres : Dieu, son Prophète et les croyants, voilà ceux qui forment le Parti de Dieu et qui seront les vainqueurs » (5, 56).
« O croyants, ne prenez pas pour amis vos pères et vos frères s’ils préfèrent l’incrédulité à la foi ! Ceux qui agiraient ainsi seraient injustes » (9, 23).
« O croyants, ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens. Ils sont amis les uns des autres. Celui qui les prend pour amis finit par être des leurs. Dieu ne guidera pas les pervers » (5, 51).
2/ COMMENT AIMER LES MUSULMANS ?
Une première prise de conscience est nécessaire : le monde musulman, n’ayant pas la connaissance d’un Dieu qui aime chaque homme d’un amour infini, souffre dramatiquement de manque d’amour et de considération. Telle est la cause principale qui conduit certains de ses membres à des actions d’extrême violence.
Il incombe donc aux « non-musulmans », conscients de cette frustration de porter sur les musulmans un regard bienveillant, fait d’estime, de sympathie, de compassion et de respect. Et donc de bannir des attitudes trop vite venues, telles que l’invective, l’ironie sur leurs pratiques cultuelles, la condescendance et le mépris, voire la haine. Pour les chrétiens en particulier, il s’agit finalement de tendre à aimer les musulmans comme Dieu lui-même les aime.
Cette disposition sera d’autant plus motivante qu’elle tiendra compte de tout ce qui manque aux musulmans en matière d’amour de Dieu.
Les conditions pour un amour authentique et fécond
Il convient tout d’abord de bien distinguer les personnes de la religion à laquelle elles se référent. Aimer les musulmans ce n’est en aucun cas aimer l’islam. En revanche, le fait d’enfermer tous les musulmans indistinctement dans un cadre pré-établi, figé et immuable, revient à les priver implicitement de liberté et donc à manquer à la charité envers eux.
L’amour des musulmans ne peut donc se passer de la vérité et de la justice
- La vérité
Porter un regard lucide sur les textes fondateurs des musulmans (Coran, Sunna, biographie de Mahomet), qui peuvent légitimement effrayer, choquer ou révolter, et interroger les musulmans sur ces points, ce n’est pas manquer à la charité envers leurs personnes. C’est plutôt les considérer en adultes capables de réflexion et d’ouverture à la vérité.
Admettre que l’islam représente un défi existentiel pour les sociétés chrétiennes ou sécularisées ne signifie pas que l’on rejette les musulmans. Mais la réponse à ce défi ne doit pas être de nature idéologique (ex. le laïcisme), tout comme elle ne doit pas recourir au rejet des personnes ou au chantage à la réciprocité. Seule la pratique des vertus, particulièrement la droiture et la force, spirituelle et morale (armes prônées par l’Evangile), peuvent résoudre les problèmes que pose l’islam.
Avoir une claire conscience du trésor inestimable que constitue le patrimoine chrétien, ce n’est pas mépriser les musulmans. Il convient donc de ne pas faire semblant de voir dans l’islam une doctrine d’égale valeur au christianisme.
Entretenir des relations d’amitié avec des États ou organisations islamiques dans un but intéressé (p. ex. : avantages financiers ou stratégiques, signature de contrats commerciaux, etc.), tout en taisant d’éventuels comportements inacceptables de leur part, c’est s’éloigner de la charité, qui implique la gratuité.
- La justice
Exiger des États islamiques qu’ils respectent les libertés fondamentales de leurs ressortissants, musulmans et non musulmans, est un impératif lié à la justice.
Résoudre de manière équitable les conflits qui lèsent le monde musulman, tels que la question palestinienne, est également un impératif lié à la justice incombant aux Puissances responsables (sans oublier la justice due aux chrétiens de Palestine confrontés aux pressions de leurs compatriotes musulmans).
Enfin, aimer les musulmans, c’est aussi avoir le souci de leur salut éternel, ne pas oublier que, comme tous les autres hommes, ils ont le droit de connaître Dieu en vérité et, ainsi, de parvenir au salut (cf. Tm 2, 4 et s.). Il ne faut donc pas partir d’un a priori injustifié selon lequel les musulmans seraient, par principe, imperméables à l’enseignement de l’Evangile.
Les conseils d’un chrétien oriental
Extrait de la communication donnée au Vatican le 28 novembre 1995 par le Père Michel Barakat, vicaire général du diocèse grec-catholique de Baalbek (Liban), lors du Synode spécial des évêques pour le Liban : « Il faut aimer les musulmans tels qu’ils sont sans pour autant aimer l’erreur qu’est l’islam. Il importe que notre témoignage soit un témoignage véridique. Certains diluent le message évangélique sous prétexte de le faire mieux accepter. Cette attitude frise le mensonge. D’ailleurs, bien des musulmans nous demandent d’être de bons chrétiens. Ainsi, devons-nous être vrais et vivre la vérité de l’Evangile avec force et audace dans toute notre vie, car la charité, comme le dit saint Paul, met sa joie dans la vérité (I Co 13, 6) ».
Annie LAURENT