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Article paru dans France-Catholique, n° 3672 – 13 mars 2020

    Par Annie LAURENT

 

« Pourquoi vouloir convertir les musulmans puisqu’ils croient en Dieu ? ».

Cette interrogation étonnée a surgi ces dernières décennies à la faveur du relativisme et de la sécularisation qui se sont répandus en Occident, jusque dans certains milieux catholiques. Mais le Dieu de l’islam est-Il le même que Celui que les chrétiens adorent ? Son projet pour l’homme correspond-il à celui du Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ ? Ces questions essentielles méritent d’être clarifiées à l’heure où les chrétiens sont appelés à une rencontre quotidienne avec les musulmans.

Certes, chrétiens et musulmans croient en un Dieu unique. Leurs religions peuvent donc être qualifiées de monothéistes. Mais la vraie question est celle-ci : comment Dieu est-Il unique ? En fait, le Coran refusant de s’aventurer dans la connaissance intérieure du mystère divin et refusant également à Dieu la possibilité de se révéler, les musulmans ignorent la pleine vérité sur Dieu.

Ce Livre incréé, qui vient d’au-dedans de Dieu où il se trouve depuis toute éternité, insiste sur l’unicité stricte de Dieu (un Dieu Un et seulement Un), tandis que dans la Bible Dieu se révèle comme un Dieu de relation dans son identité trinitaire (Un en Trois Personnes). Celle-ci s’est manifestée en plénitude par l’Incarnation de son Verbe, Jésus-Christ, au terme d’une longue et progressive pédagogie. Mais le Coran combat la foi des chrétiens, considérée comme un « égarement » : « Ne dites pas Trois » (4, 171). « Associer » deux divinités, Jésus et Marie, au Dieu Un, constitue le seul péché irrémissible (2, 165).

Du point de vue islamique, où n’existe que la génération biologique, il est impossible à Dieu de prendre la condition humaine et d’être le Père des hommes, sous peine d’altérer son absolue transcendance. « Dis : “Lui, Dieu, est Un, Dieu de plénitude. Il n’engendre pas ; Il n’est pas engendré ; nul n’est égal à Lui » (112, 3). Il est d’ailleurs impensable que Dieu ait voulu créer l’homme « à son image et à sa ressemblance », son seul statut étant d’être soumis, sens du mot « musulman ».

Qui est alors Jésus pour les musulmans ? Le Coran l’appelle Issa, nom arabe qui n’est pas l’équivalent de l’hébreu Yechoua et de l’araméen Yasouh (« Le Seigneur sauve »), et il n’est pas qualifié de « Christ ». Issa n’est pas Fils de Dieu, il est seulement un prophète envoyé avec une double mission : apporter l’Evangile, livre qui corrige les erreurs censées avoir été introduites dans la Torah par les juifs et préfigure le Coran ; annoncer la venue de Mahomet comme « sceau des prophètes ».

Cependant, Issa a bénéficié de privilèges uniques par rapport à la condition humaine : il a été conçu miraculeusement dans le sein virginal de Marie (confondue avec la sœur de Moïse et d’Aaron, Coran 19, 28) ; il a accompli des prodiges, évoqués allusivement, suivis de la précision que cela n’a pu être possible qu’ « avec la permission de Dieu ». En outre, le Coran omet les paraboles et le sermon sur la Montagne, tout comme il nie la Passion et la crucifixion, et tait la Résurrection, déniant ainsi à Issa tout rôle rédempteur. Enfin, selon la tradition, Issa reviendra à la fin des temps pour confirmer l’islam. Malgré ces privilèges, Jésus ne peut prétendre égaler ou dépasser Mahomet.

Quant à Marie, seule femme nommée dans le Coran, elle y est particulièrement honorée. « Ô Marie ! Dieu t’a choisie en vérité ; Il t’a purifiée ; Il t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers », lui disent les anges en lui annonçant sa maternité (3, 42). Mais cet hommage lui est rendu en ce qu’elle est soumise à Dieu, donc vraie musulmane, et cela sans rapport avec la conception immaculée dont l’Evangile se fait l’écho. L’authentique dévotion que lui portent un nombre croissant de musulmans, comme en témoigne leur fréquentation des sanctuaires qui lui sont dédiés et les grâces qu’ils en reçoivent, laissent cependant penser à une vocation privilégiée de Marie dans le dessein salvifique de Dieu puisque celui-ci n’est pas réservé aux baptisés.

Le Coran ignore pourtant cette perspective puisqu’il occulte le péché originel avec ses conséquences sur la création, et donc la nécessité d’une rédemption. Le sacrifice de la Croix n’a alors aucune raison d’être. En fait, l’énigme du mal reste sans réponse. Dieu en serait-Il l’auteur ? L’islam est silencieux sur la disponibilité de Dieu à donner sa grâce pour surmonter les tentations et vivre saintement, raison pour laquelle il n’a ni sacrements ni sacerdoce.

A défaut d’être sauvé, il s’agit de gagner, et donc d’accéder au paradis, ou de perdre, ce qui conduit à l’enfer. Ces « fins dernières » ne relèvent pas de l’ordre surnaturel. L’âme n’est pas appelée à la vision béatifique, la distance qui sépare l’homme de Dieu sur terre demeurera dans l’éternité. C’est pourquoi le purgatoire est inenvisageable. Le Dieu du Coran reste donc étranger à ses créatures humaines auxquelles Il ne révèle que sa volonté et sa Loi tout en lui imposant une forme de prédestination qui le prive de liberté concernant les actes à accomplir.

Depuis Adam, tout être humain qui vient au monde est réputé musulman. L’islam est la religion de l’innéité et il est interdit d’y renoncer sous peine de damnation, comme l’enseigne le Coran. « Celui qui désire une autre religion que la soumission ne sera pas accepté par Dieu et il sera dans la vie dernière parmi les perdants » (3, 85). Ainsi l’islam méconnaît le principe de la liberté de conscience.

Pour les chrétiens, Dieu est certes bien au-delà de toute la création mais, tout en étant indicible par son mystère, Il a voulu se faire connaître aux hommes et les appeler à vivre dans son intimité d’amour, ici-bas et dans son paradis.