Article paru dans L’Homme nouveau n° 1680 du 2 février 2019

Du 24 au 28 décembre dernier, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, a séjourné en Irak pour fêter Noël avec les catholiques de ce pays déstabilisé par l’invasion américaine de 2003 qui a conduit à la victoire des chiites, numériquement majoritaires, suivie par l’émergence de l’Etat islamique (Daech), expression de la vengeance des sunnites. Après avoir célébré la messe du jour de la Nativité dans la cathédrale latine de Bagdad, l’envoyé du pape François s’est rendu à Mossoul et dans la plaine de Ninive, région vidée de ses chrétiens en 2014 par les djihadistes qui y ont fait régner l’ordre islamique jusqu’à leur défaite en 2017. Depuis lors, la reconstruction des églises et des habitations, quoique loin d’être achevée, permet le retour d’une partie des chrétiens.

Rentré à Rome, le prélat a rendu hommage à l’exemplarité du témoignage de ces chrétiens pour l’Eglise universelle.  » Ce qui m’a particulièrement frappé a été la fierté, dans le bon sens du terme, avec laquelle ces frères et sœurs vivent leur foi : ils se sentent fiers d’être chrétiens et de continuer à l’être au milieu de tant de difficultés, de tant d’épreuves et de tant de luttes ! «  (1).

Durant l’homélie destinée aux fidèles syro-catholiques rassemblés dans leur cathédrale à Qaraqosh pour la messe qu’il a célébrée en présence du patriarche Ignace III Younan, chef de cette Eglise qui est la moins nombreuse de toutes les communautés catholiques orientales, il leur a dit : « Vous êtes des experts en pardon. Il est émouvant de savoir que beaucoup ont pardonné à ceux qui leur ont fait du mal ». Et il a insisté : « Vous êtes la présence de Jésus. Vous avez une mission irremplaçable […] sur cette terre où a commencé l’histoire du salut » (2).

L’accent était donc mis sur la vocation baptismale des chrétiens d’Irak et plus largement de tous les chrétiens du Proche-Orient. Tel est bien le cœur de la question, comme j’essaie de le montrer dans mon livre Les chrétiens d’Orient vont-ils disparaître ? Une vocation pour toujours (3). Il est essentiel que l’Occident en prenne conscience et renonce à toute approche sociologique, idéologique ou seulement humanitaire s’il veut comprendre en profondeur les raisons d’être de la chrétienté dans cette partie du monde décomposée par les haines confessionnelles au sein de l’islam et par les ingérences des grandes Puissances, et s’il veut la défendre sans arrière-pensée. L’enjeu décisif, c’est la paix au Levant.

C’est pourquoi il ne convient pas d’enfermer les chrétiens orientaux dans le cadre minoritaire, comme on le fait trop souvent. Leur diminution démographique, certes très inquiétante, résulte des vicissitudes de l’histoire ; elle ne doit pas être confondue avec un état de nature, à l’instar des druzes, alaouites et yézidis dont la doctrine est réservée à leurs membres. Les chrétiens, pour leur part, ont à répandre les principes de l’Evangile (dignité de la personne humaine, respect de ses libertés, justice, créativité, gratuité, etc.) au profit de leurs compatriotes car ceux-ci en ont besoin. Pour cela, ils doivent aussi être respectés dans leur identité propre tout en étant appréciés comme acteurs à part entière du développement de leur pays.

Depuis quelques années, on observe chez les chrétiens d’Orient la volonté de s’émanciper du statut juridique et social d’inégalité, la dhimmitude, cette « protection-assujettissement » qui leur est appliquée par l’islam lorsque celui-ci détient le pouvoir. Régulièrement, leurs hiérarchies plaident pour l’égalité civique de tous les ressortissants d’un pays sur la base de la citoyenneté, comme c’est le cas au Liban. Cette exigence a été rappelée par le Conseil des sept Patriarches catholiques d’Orient lors de son dernier congrès, tenu à Bagdad du 26 au 30 novembre. Pour l’heure, hormis quelques récents gestes encourageants (Noël décrété jour férié en Irak, inauguration d’une nouvelle cathédrale copte près du Caire par le maréchal Sissi, chef de l’Etat égyptien), la sécurité des chrétiens n’est pas assurée.

Mais on voit à l’œuvre des personnalités décidées à relever le défi de la présence chrétienne. Tel est le cas, par exemple, de Mgr Nagib Mikhaël, nouvel archevêque chaldéen de Mossoul, dominicain bien connu pour sa sauvegarde du patrimoine ancien, ou de Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque melkite d’Alep, qui, à travers son mouvement « Bâtir pour rester », compense avec succès la diminution de ses fidèles par l’amélioration qualitative de ceux qui ont choisi de demeurer sur place. Puisse le rapport sur le soutien au réseau éducatif des communautés chrétiennes de la région, rédigé par Charles Personnaz, chargé de mission à L’Œuvre d’Orient, à la demande du président Macron, à qui il l’a remis le 3 janvier, contribuer à entretenir cette espérance.

 

Annie Laurent

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  • Zenit, 29 décembre 2018.
  • Salvator, 2017.