Radio-Espérance, 30 septembre 2015 Ecoute Audio ICI
La situation des chrétiens en Irak a constitué l’un des moments les plus émouvants du Congrès de la Fondation Raoul-Follereau, qui s’est déroulé à Paray-le-Monial samedi et dimanche derniers (26-27 septembre), avec la participation du Père Najib Michaël, prieur des dominicains de Mossoul. Aujourd’hui réfugié au Kurdistan, il s’occupe là-bas de 1 400 familles chassées, comme lui, par les djihadistes de Daech, l’Etat islamique. Raoul-Follereau s’investit beaucoup pour soutenir ces chrétiens frappés par le malheur. Grâce à cette Fondation, qui s’associe à d’autres bienfaiteurs, quelques immeubles ont pu être aménagés, une école a été construite à Erbil et une radio, nommée El-Salam, c’est-à-dire « La Paix », fonctionne pour les réfugiés.
Mais les chrétiens souffrent beaucoup moralement. Ils se sentent humiliés et incompris de l’Occident.
D’abord, s’ils sont reconnaissants envers les Kurdes qui les accueillent, ils constatent que les autorités de cette province autonome, qui fait partie de la fédération irakienne, ne tiennent pas vraiment à ce que les chrétiens se fixent durablement sur leur territoire. Ainsi, le gouvernement kurde ne donne aucun terrain, ne construit aucun bâtiment, n’organise aucun cours de langue, ce qui empêche les enfants de fréquenter les écoles officielles et prive les adultes d’emplois qualifiés. En fait, les chrétiens n’ont pas confiance dans les Kurdes. Alors que l’année dernière, ceux-ci s’étaient engagés à défendre leurs villes contre l’offensive des djihadistes, ils ont abandonné les populations désarmées à leur triste sort.
Et puis, comment oublier la participation active des Kurdes lors du génocide perpétré il y a cent contre tous les chrétiens de l’Empire ottoman ? Enfin, même à l’abri des frontières du Kurdistan, les réfugiés se sentent toujours en danger. Daech n’est qu’à 30 km d’Erbil et on observe des infiltrations de djihadistes.
Beaucoup de chrétiens n’ont donc qu’un désir : émigrer en Occident. Le Père Najib Michaël sait que les hiérarchies des Eglises orientales n’approuvent pas ces projets de départ, mais lui-même veut comprendre les motifs de l’exode. Il rapporte cette réflexion, maintes fois entendue :
Notre pays, l’Irak, nous a vomis. Nous ne voulons pas consentir au sacrifice de nos enfants ».
De fait, depuis la chute de l’ancien régime de Saddam Hussein, abattu par les Américains en 2003, plus de 30 % des chrétiens ont quitté l’ancienne Mésopotamie. Pour le Père Najib, la situation actuelle est comparable à celle qui prévalait en Palestine sous le roi Hérode. Pour protéger Jésus et Marie, saint Joseph n’a pas hésité à les emmener en Egypte, en attendant de revenir chez eux quand le danger serait passé. D’ailleurs, ajoute-t-il,
on ne meurt pas pour la terre mais pour la foi ».
Aujourd’hui, il faut donc accepter l’exil, mais afin de préparer le retour. Le dominicain reconnaît cependant que beaucoup de chrétiens ne croient plus avoir un avenir en Irak. Lui-même est saisi par le doute à ce sujet.
Le Père Najib se dit également très affecté par l’attitude de l’Europe face à l’accueil des chrétiens d’Orient. Avec ses compatriotes réfugiés, il ne comprend pas la préférence donnée aux migrants musulmans.
Il en est d’autant plus troublé que les chrétiens orientaux partageant les valeurs des Européens, offrent un potentiel avantageux pour les sociétés occidentales. Il ne comprend pas non plus que les Etats européens n’appliquent pas les règles de la réciprocité dans leurs rapports avec les musulmans. Ainsi, il a constaté que dans le magasin Carrefour d’Erbil on ne vend ni vin ni saucisson, alors qu’en France les supermarchés ont des rayons halal. Pour ce religieux irakien, il s’agit d’une attitude irresponsable. Et il nous dit sans ambages :
J’ai peur pour l’Europe ».
Au milieu de ces malheurs et de ces lâchetés, sur place le bien manifesté par la sollicitude de l’Eglise envers les réfugiés quels qu’ils soient touche bien des cœurs. Et c’est ainsi que des musulmans demandent le baptême. Un groupe de catéchumènes s’y prépare à Erbil.
Pour terminer, nous pouvons méditer cette affirmation du Père Najib :
Le mal domine aujourd’hui, c’est vrai. Mais le dernier mot sera pour le bien, à condition de saisir les occasions avant qu’il ne soit trop tard ».
Annie Laurent