Lettre à mon frère musulman.

Par le père Louis-Marie Guitton.

Pardonne-moi Brahim :

l’autre jour l’évêque, qui avait remarqué tes larmes, t’avait largement ouvert les bras et te serrait contre lui. Ces pleurs accueillis en silence valaient tous les mots que j’aurais pu trouver pour te consoler. Tu nous as dit ensuite que tes larmes ne venaient pas des attitudes hostiles aux musulmans en France, mais de cette haine banalisée contre les religions, contre ta religion, à travers ces caricatures obscènes de ce qui est le plus précieux à tes yeux, ton prophète.

Pardonne-moi

parce qu’après cette folie meurtrière des attentats du mois de janvier, nous n’avons trouvé comme antidote que quelques slogans indigents, dont on constate déjà qu’ils n’étaient pas à la hauteur de la situation. Tu nous disais ton incompréhension face à ce rejet brutal de tes raisons de vivre par l’affirmation grossière d’un « devoir de blasphème ». Je me souviendrai longtemps de tes paroles sages affirmant que le fond du problème n’était pas la présence de Dieu, mais bien plutôt son absence de la société. La violence vient du fait que l’on a oublié Dieu, qu’on fait même tout pour le faire disparaître de l’horizon de l’homme. Pardonne-moi parce que nous avons certainement une responsabilité en cela. Toi, dont les ancêtres marocains impressionnèrent Charles de Foucauld explorateur par leur ferveur et leur sens du sacré, tu as été surpris en arrivant en France à l’âge de 16 ans : où donc était Dieu ?

Pardonne-moi

parce que nous catholiques sommes lents à reconnaître nos torts dans les malheurs d’aujourd’hui, nos « responsabilités dans les maux de notre temps », comme « l’indifférence religieuse qui conduit beaucoup d’hommes d’aujourd’hui à vivre « comme si Dieu n’existait pas » et la perte du sens de la transcendance… Nous n’avons pas manifesté l’authentique visage de Dieu « en raison des défaillances de notre vie religieuse, morale et sociale ».

Pardonne-moi

parce que ton profond respect pour la piété est blessé par cette hostilité qui n’est plus muette envers les croyants. Pardon pour toutes les fois où tu t’es senti heurté par l’agressivité de ces militants de l’impiété. Ils disent : pas de Dieu, mais pour toi –comme pour nous !- c’est une folie. Pardonne-moi parce que nous avons fait de cette maladie de l’intelligence une nouvelle religion : l’athéisme.

Pardonne-moi

parce que cette laïcité dont on nous parle abondamment en des termes élogieux est une idée chrétienne devenue folle. Principe évangélique sage, il a été travesti et détourné d’une façon violemment anticléricale. Avec les années nous pensions qu’il était redevenu pacifique : voilà qu’il méprise à nouveau les croyants. Parce que le laïcisme est incapable de comprendre l’Islam, il montre son dédain envers toute la dimension religieuse de l’homme et professe sa commisération pour les chrétiens. Rassure-toi, la laïcité n’est pas ce que nous avons de plus sacré et la République n’est pas devenue notre religion commune. Jamais notre foi chrétienne ne s’est cantonnée à la sphère privée, jamais elle ne doit non plus porter atteinte à la légitime autonomie des réalités temporelles.

Pardonne-moi

parce qu’on n’entend plus ces jours-ci que des appels à l’avènement d’un Islam modéré, républicain et laïc. Je suis confus que l’on puisse ainsi mépriser ta religion en s’adjugeant le pouvoir de déterminer quel est le bon ou le mauvais musulman. C’est une grande tradition jacobine française que de chercher à asservir la religion, à la museler. Mais n’est pas Napoléon qui veut… Même lui d’ailleurs, ayant échoué à éliminer l’Eglise, dût se résigner à composer avec le Pape.

Pardon, parce seuls vous pouvez nous dire et définir ce qu’est l’Islam. Comme tu le sais nous croyons en la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Le rapport difficile de l’Islam avec la violence n’est pas sans lien avec le statut du Coran et la place de la raison. Mais il ne nous appartient pas de l’interpréter à votre place. Nous ne pouvons que vous donner notre sentiment : il nous apparaît nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la raison. Pardon pour ces exégèses abusives de votre livre, pour qu’il soit absolument laïco-compatible. Nous dissertons sur le coran, mais nous ignorons le nom de nos voisins musulmans.

Pardonne-moi Brahim

parce que cette France, obscène et arrogante, obsédée et méprisante, n’est pas la France. Pardonne-moi parce que, bien qu’ayant honte d’elle-même et de son histoire, elle continue de vouloir donner des leçons au monde entier.

Pardonne-moi

parce que nous avons eu peur de vous parler. Nous n’avons pas osé vous dire que les chrétiens souffrent souvent en terre d’Islam et nous avons murmuré derrière votre dos. Nous avons préféré nous taire et nous plaindre, honteux de notre foi. Pardonne-moi parce que nous n’avons pas osé vous partager le meilleur de notre Evangile et les trésors de la Révélation, ne vous aimant pas assez pour cela. Oui, c’est cela, nous ne vous aimons pas assez, nous sommes des témoins peu crédibles de notre foi en Jésus-Christ.

Tu auras compris que, même si nous souffrons de ses contradictions, nous aimons notre pays, devenu aussi le tien. Même s’ils ne nous faisaient pas rire, nous pleurons les défunts journalistes des attentats, comme les autres victimes : nous prions pour eux et leurs familles. Même si nous ne partageons pas votre foi, nous vous estimons et voulons tisser des relations qui soient fraternelles.

Accepte notre demande de pardon et accueille notre désir de mieux te connaître et de te rencontrer. Veuille nous accorder la possibilité de bâtir avec toi la Civilisation de l’Amour.