Radio-Espérance, 3 décembre 2014- en audio ICI
En Turquie, les papes passent, mais les chrétiens du pays continuent de souffrir de marginalisation et leur nombre ne cesse de décroître. Ils sont aujourd’hui à peine 100 000 sur une population totale de 80 millions d’habitants. Et pourtant, les fidèles de toutes les Eglises, catholiques ou non catholiques, présentes dans l’ancienne Asie Mineure, ce vaste territoire qui tint une place si importante dans les premiers siècles du christianisme, accueillent toujours l’évêque de Rome avec ferveur. Il est donc heureux que, depuis Paul VI en 1967, un voyage du souverain pontife en Turquie soit devenu une tradition. Et ceci pour plusieurs raisons.
Les chrétiens puisent dans les paroles et les gestes du successeur de saint Pierre les ressources pour entretenir leur foi et leur espérance. Ils savent aussi qu’un passage du Saint-Père chez eux, aussi bref soit-il, suscite l’intérêt des médias du monde entier pour le petit troupeau de baptisés qu’ils représentent. En dehors des visites pontificales, il est si rare que l’on parle d’eux dans la presse généraliste.
C’est pourquoi la venue du pape François à Ankara et à Istamboul, la semaine dernière, a été accueillie avec tant de reconnaissance, aussi bien par les latins que par les Arméniens, les maronites et les assyro-chaldéens, et surtout par les grecs-orthodoxes. Pour ces derniers, le fait de voir le souverain pontife rendre visite à leur patriarche, au siège du Phanar ; le fait de voir les deux prélats participer côte à côte à une liturgie solennelle célébrée dans la modeste église Saint-Georges qui remplace depuis longtemps, comme cathédrale, l’impériale basilique Sainte-Sophie ; le fait encore de voir Bartholomée 1er, primat de l’orthodoxie mondiale, s’entretenir fraternellement avec François, le primat de la catholicité, tout cela revêt une symbolique très forte.
Il est probable que Bartholomée se soit senti conforté dans son rôle et sa mission, et surtout dans son attachement à Istamboul, alors que les autorités turques lui dénient le titre de « patriarche œcuménique » sous prétexte que les fidèles de cette Eglise ne sont plus que 1 500 aujourd’hui dans la ville. Le patriarche refuse d’ailleurs les conseils de ceux qui l’invitent à installer son siège en dehors de la Turquie pour vivre en un lieu où il serait entouré d’une communauté plus substantielle. Quitter Istamboul, l’ancienne Constantinople, reviendrait non seulement à abandonner ce siège dont la fondation est attribuée à l’apôtre saint André mais aussi à en supprimer l’existence même. Cela aurait de graves conséquences car seul le patriarcat œcuménique peut, en principe, rassembler tous les orthodoxes, qui sont écartelés entre des patriarcats autocéphales. Tandis qu’un espoir d’unité se fait jour avec la perspective d’un concile pan-orthodoxe convoqué pour la Pentecôte 2016, précisément à Istamboul, la disparition du Phanar serait vraiment dommageable.
Pour les latins de Turquie également, ainsi que pour les catholiques des rites orientaux, la visite du pape est toujours l’occasion de rappeler la précarité de leur existence comme Eglises. Contrairement aux orthodoxes et aux Arméniens, les Eglises catholiques ne bénéficient d’aucune existence légale, comme l’a rappelé récemment le vicaire apostolique latin d’Istamboul, Mgr Louis Pelâtre, dans un entretien au Figaro. Je cite :
Ce que nous demandons depuis longtemps, c’est la reconnaissance juridique de nos statuts. Nous n’avons pas de personnalité juridique. Donc, officiellement, nous n’existons pas ! Il y a 44 ans que je suis en Turquie et sur cette question je n’ai vu aucune évolution ».
A une journaliste du quotidien La Croix, le même prélat expliquait ainsi le comportement des autorités turques :
Sans doute y a-t-il encore dans la mentalité turque un ressentiment contre les minorités chrétiennes, assimilées aux puissances étrangères qui ont dépecé l’Empire ottoman en 1918. De manière implicite, on fait comprendre aux chrétiens qu’ils ne sont que tolérés et qu’ils n’ont pas à réclamer une égalité de droits avec les autres citoyens turcs ».
Il est important de ce point de vue de signaler la visite que le pape François a rendue au département des affaires religieuses, le Diyanet. Cet organisme, qui émarge au budget de l’Etat, est chargé de gérer tout ce qui se rapporte aux cultes, mais sa compétence ne concerne que l’islam sunnite. Le Saint-Père au charisme si puissant parviendra-t-il à corriger cette injustice ?
Annie Laurent