Radio-Espérance, 13 août 2014 en écoute ICI

 

L’aggravation des violences infligées aux chrétiens en Irak depuis le début du mois de juin dernier par les djihadistes de l’Etat islamique a conduit les responsables des Eglises orientales dont les fidèles sont concernés par la tragédie à lancer des appels de plus en plus pressants aux principaux dirigeants du monde. Les patriarches Louis 1er Sako et Ignace III Younan, chefs des chaldéens et des syriaques, communautés catholiques les plus nombreuses dans cette Mésopotamie qui fut évangélisée par l’apôtre saint Thomas, sont très actifs à cet égard. En s’adressant aux grandes Puissances, ils entendent les mettre face à leur responsabilité, qui est indéniable. D’une part, elles se compromettent avec tel ou tel régime musulman pour préserver leurs intérêts économiques et stratégiques, d’autre part, elles cultivent un aveuglement idéologique qui les empêche de prendre en compte les réalités propres à l’islam.

Il est vrai que le monde arabo-musulman pâtit de l’arrogance de l’Occident et de son soutien inconditionnel à Israël. Mais il ne doit pas pour autant s’exonérer de sa responsabilité directe dans les malheurs endurés par les chrétiens du Levant, d’autant plus que cela dure depuis l’apparition de l’islam au VIIème siècle. Sur place, les hiérarchies chrétiennes n’aiment pas trop admettre publiquement cette vérité. Il faut comprendre leur attitude. Elle est motivée par la crainte de représailles contre leurs fidèles et par le souci de ménager les musulmans modérés avec lesquels la coexistence paisible est possible.

Cependant, la tragédie atteint aujourd’hui une telle ampleur que les responsables d’Eglises ne veulent plus se contenter des déclarations ambiguës émises par des dignitaires musulmans lorsque ces derniers daignent compatir aux souffrances infligées par certains de leurs coreligionnaires à leurs compatriotes chrétiens. Ce changement est perceptible à travers une initiative audacieuse du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï. Le 7 août, il a réuni à Dimane, sa résidence d’été, située dans la montagne libanaise, des états généraux ecclésiastiques auxquels ont participé les autres patriarches catholiques ou leurs représentants ainsi que des patriarches orthodoxes, en présence du nonce apostolique au Liban, Mgr Gabrielle Caccia.

L’analyse publiée à l’issue de cette rencontre se distingue des démarches précédentes par sa mise en cause de l’islam. Estimant que le fléau du fanatisme religieux est appelé à durer longtemps, les prélats écrivent, je cite : « L’expulsion des chrétiens de Mossoul et de toutes les agglomérations de la plaine de Ninive n’est pas un incident isolé comme il s’en produit durant les guerres (…). Cette expulsion a été planifiée par l’organisation de l’Etat islamique en Irak et au Levant et d’autres groupes djihadistes qui ont contraint les chrétiens à abandonner leurs foyers exclusivement en raison de leur appartenance religieuse, en violation directe de toutes les conventions et chartes internationales. Cette décision inique, prise au nom de l’islam, est un grave recul pour la région arabe et islamique ».

Puis, les patriarches prient les autorités civiles et religieuses du monde musulman de prendre des dispositions efficaces. Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet : « Nous demandons que la condamnation de cette situation soit générale et vienne de tous les musulmans qui nous sont liés par un destin commun (…). Il est regrettable que les prises de positions islamiques, arabes et internationales, restent timides et insuffisantes, et ne reflètent pas la gravité du phénomène, et de ses conséquences sur la diversité démographique et historique des peuples de la région (…). Nous adjurons les instances islamiques, sunnites et chiites, de promulguer des décrets religieux clairs jetant l’interdit sur l’agression contre les chrétiens et tous les autres innocents. Nous demandons en outre à tous les parlements du monde arabe et islamique de voter des lois favorisant l’ouverture, rejetant clairement toute forme d’exclusion religieuse de l’autre et responsabilisant toutes les personnes qui enfreindraient ces lois ».

Enfin, considérant que ces violences commises par les djihadistes constituent des crimes contre l’humanité, les patriarches réclament justice en ces termes : « Si des parties dissimulées encouragent cet extrémisme et en financent l’effet destructeur et corrupteur, il est indispensable qu’elles soient dénoncées et qu’elles aient à en rendre compte devant l’opinion internationale ».

Autrement dit, les patriarches d’Orient ne se contentent plus de belles paroles. Ils attendent des actes.

 

Annie Laurent