Pour comprendre les chrétiens d’Orient

rien de tel que de les connaître et pour cela de les fréquenter. Cette démarche est aujourd’hui facilitée par la présence de plus en plus consistante des fidèles des Eglises orientales (catholiques et orthodoxes) établis dans plusieurs pays d’Europe, notamment en France où certains disposent de paroisses propres.

Parmi les plus anciennes, il y a Saint-Julien-le-Pauvre, située dans le quartier latin à Paris. Cette chapelle romane a été attribuée aux melkites-catholiques en 1889 et dotée d’une iconostase indispensable à la célébration du rite byzantin. Sept ans auparavant, l’église Saint-Nicolas-de-Myre était édifiée pour cette communauté à Marseille, ville qui accueille d’ailleurs tous les autres rites orientaux (arménien, maronite, assyrien, chaldéen, syriaque, copte). Le culte de l’Eglise maronite, dont le patron, saint Maron, est fêté le 9 février, est pratiqué dans la capitale depuis 1892. Cette année, la communauté paroissiale s’apprête à commémorer le centenaire de son installation au 15 rue d’Ulm (Vème). Dans le Val-d’Oise, l’importante concentration de chaldéens, arrivés plus récemment d’Irak et de Turquie, a nécessité la construction de l’église Saint-Thomas-l’Apôtre, qui a été consacrée en 2004. Malgré ses amples dimensions, cet édifice de style babylonien ne suffit plus, si bien que le chantier d’une seconde église doit démarrer au printemps à Arnouville.

Loin de leurs foyers

les immigrés orientaux doivent s’adapter à un contexte ecclésial latin qui ne leur est pas forcément familier. C’est pourquoi, soucieux de protéger leurs traditions et d’assurer leur bien spirituel, le Code de droit canonique oriental prévoit la création d’éparchies – équivalents des diocèses dans les Eglises orientales -, en dehors des territoires historiques des patriarcats, prérogative qui appartient au souverain pontife. Mais, alors que sur tous les autres continents, depuis plusieurs décennies, il existe de telles structures, en Europe, la plupart des catholiques orientaux relèvent encore des ordinaires latins. La seule exception concernait jusqu’à une date récente les Arméniens-catholiques. Depuis 1986, ils ont un évêque à Paris (actuellement Mgr Hovhannès Teyrouzian) qui officie dans la cathédrale Sainte-Croix, située dans le Marais. Cette situation peut surprendre, eu égard aux relations multiséculaires qui unissent les Européens aux chrétiens du Levant.

Le pape Benoît XVI

a cependant apporté une première réponse à une requête formulée durant le Synode spécial des Evêques pour le Moyen-Orient (Rome, octobre 2010). En juillet 2012, avec l’accord de l’épiscopat de France, il a créé l’éparchie Notre-Dame du Liban, établissant son siège à Paris. Son premier titulaire est Mgr Maroun-Nasser Gemayel, qui est aussi visiteur apostolique pour les maronites d’Europe occidentale et septentrionale. Le nouvel évêque est membre à part entière de la conférence épiscopale et est donc associé à ses orientations pastorales.

Grand érudit, ce prêtre libanais est l’auteur d’une thèse remarquable sur les échanges culturels entre les maronites et l’Europe, éditée à Beyrouth en 1984. Il y montre l’apport de son Eglise à l’orientalisme. Dès le XVIème siècle, des maronites enseignaient l’arabe et le syriaque au Collège de France. La plupart des fidèles de son diocèse sont venus du Liban, berceau de cette communauté de rite oriental (syriaque) qui se rattache à Antioche et dont tous les membres sont catholiques, contrairement aux cinq autres Eglises du Levant dont une partie reste séparée de Rome.

Dès son installation, Mgr Gemayel a pris la mesure de l’immensité de la tâche qui lui est confiée – ce n’est pas rien de construire un diocèse dont les fidèles sont aussi dispersés – mais il s’y est attelé avec un bel enthousiasme. Assisté de son fidèle secrétaire, le Père Raymond Bassil, il a visité tous les lieux où vivent des maronites : ils sont 85 000 en France et quelque 130 000 disséminés dans quatorze autres pays européens. Après avoir évalué leurs besoins, le nouvel évêque s’est lancé dans une difficile tâche d’organisation.

Le plus important à ses yeux est de raviver l’identité de ses fidèles et de les rassembler autour d’un projet missionnaire commun. Dans ce but, Mgr Gemayel a convoqué un synode diocésain dont la première session s’est déroulée à Paris du 12 au 14 décembre dernier. Elle a été encadrée par deux messes célébrées en rite maronite dans des sanctuaires prestigieux : la chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du Bac, et la cathédrale Notre-Dame, en présence du cardinal André Vingt-Trois et du nonce apostolique, Mgr Luigi Ventura. Mgr Gemayel a ainsi voulu, en quelque sorte, officialiser et rendre visible l’existence de son éparchie.

Pendant trois jours, des comités ont travaillé sur les thèmes définis par l’évêque. Le plus pressant est d’aménager la vie ecclésiale et rituelle des fidèles. Ceux-ci doivent pouvoir disposer d’un nombre suffisant de paroisses afin de vivre la liturgie et les sacrements et de recevoir la formation doctrinale conformes à leurs traditions. Il s’agit de conserver un patrimoine spirituel, mais aussi culturel, qui risque de disparaître si, faute de moyens suffisants, les maronites sont contraints de se dissoudre dans leurs milieux d’adoption. Ainsi, pour ce qui est de la France, aux trois plus anciennes paroisses (Paris, Marseille et Lyon), Mgr Gemayel en a déjà ajouté trois nouvelles (Suresnes, Bordeaux et Nice). Il envisage d’en créer quatorze autres.

Mais le fait de cultiver leur identité ne doit bien entendu pas conduire les maronites à s’isoler du reste de l’Eglise. Le synode diocésain a donc aussi pour but de réfléchir au moyen d’adapter et de vivre la maronité dans un contexte autre que celui du Proche-Orient ? Mgr Gemayel a suggéré une ébauche de réponse en recourant à la métaphore du cèdre, chère à son peuple.

 C’est son enracinement qui permet au cèdre de croître et de garder sa fière allure, aussi bien en France, en Europe qu’au Liban. Je ne crois pas qu’un maronite doit se définir par sa terre d’appartenance ; c’est plutôt par sa foi qu’il se définit : une foi non limitée à un territoire, une foi transnationale ».

Au programme des autres priorités figurent le resserrement de la communion avec les diverses communautés catholiques orientales d’Europe et avec l’Eglise latine. Le synode est appelé à se poursuivre en plusieurs phases jusqu’à la fin 2015. Des recommandations engageant les fidèles seront alors proclamées.

 

Annie Laurent

Article paru dans L’Homme nouveau n° 1559 du 1er février 2014