Radio-Espérance, 16 décembre 2015 En écoute ICI

 

Les dernières semaines de la vie politique au Liban ont été marquées par de vifs débats autour de la présidence de la République. Il faut rappeler que le pays du Cèdre n’a plus de chef d’Etat depuis plus d’un an et demi, le mandat de Michel Sleiman ayant expiré le 25 mai 2014 et aucun successeur n’ayant encore été élu. Le président du Parlement a déjà convoqué 29 fois les députés afin qu’ils procèdent au vote, puisque la Constitution libanaise leur réserve cette prérogative, mais jusqu’à présent aucune des séances électorales n’a abouti à un consensus sur le nom de l’une des personnalités maronites les plus représentatives.

Ce blocage résulte de deux facteurs. Il y a d’abord le profond clivage qui oppose les principaux dirigeants et partis de cette communauté catholique au sein de laquelle doit être choisi le chef de l’Etat : les uns sont les alliés des musulmans sunnites, les autres s’alignent sur les musulmans chiites. Les musulmans de chacune des deux coalitions  ainsi constituées utilisent leurs partenaires chrétiens respectifs pour faire valoir leurs intérêts particuliers, avec l’appui de leurs parrains étrangers, en gros l’Arabie-Séoudite pour les sunnites, l’Iran pour les chiites.

Mais, fin novembre, une démarche inattendue s’est produite à l’initiative du chef du Courant du Futur, Saad Hariri, de confession sunnite et ancien Premier ministre, qui réside à Paris pour des raisons de sécurité à cause de son opposition au régime syrien de Bachar El-Assad. Hariri, qui est proche de l’Arabie-Séoudite, a rencontré le député Soleiman Frangié, fils d’une influente famille maronite du nord du Liban, et chef du parti des Maradas, venu spécialement dans la capitale française pour s’entretenir avec lui. Frangié appartient à la coalition dominée par le Hezbollah, le parti chiite libanais pro-iranien. Il est aussi un ami d’enfance du président Assad. Bien qu’ils se situent dans des camps opposés, les deux hommes ont conclu une sorte de pacte : Hariri s’est engagé à soutenir la candidature de Frangié et ce dernier lui a promis, s’il est élu, de le nommer chef du gouvernement. Il s’agissait donc d’un moyen destiné à sortir de l’impasse. Les Occidentaux soutiennent ce compromis car ils voient en Saad Hariri un musulman modéré, capable de freiner la radicalisation que l’on observe chez les sunnites libanais.

Mais, depuis son annonce, cet accord ravive les tensions au sein de la classe politique libanaise. Il faut dire que Hariri n’avait pas informé de sa démarche son principal allié chrétien, en l’occurrence Samir Geagea, chef du parti des Forces Libanaises, qui s’est senti trahi d’une certaine manière. Sans aller jusqu’à la rupture, les rapports entre eux sont depuis lors tendus. Sur le fond, Geagea redoute que l’élection de Frangié prélude au retour des ingérences de Damas au Liban alors que lui-même a payé cher – onze ans d’emprisonnement – son refus de collaborer avec l’occupation syrienne dont la fin a été obtenue il y a dix ans grâce à la résistance des militants de son parti.

Les alliés maronites de Geagea adoptent les mêmes réserves envers Frangié. Pour soutenir l’élection de ce dernier, ils exigent son engagement solennel à ne prendre aucune décision susceptible de nuire à la souveraineté libanaise. Les assurances données dans ce sens par le candidat de compromis ne les rassurent pas dans la mesure où le pacte de Paris laisse en suspens les sujets litigieux tels que les relations avec la Syrie et le statut du Hezbollah.

Or, Frangié fait partie de la coalition dominée par ce parti chiite, qui, véritable Etat dans l’Etat, mène une politique de sape des institutions. Richement doté par l’Iran, il dispose d’une puissante milice dont il envoie une partie combattre en Syrie pour épauler Assad. Il viole ainsi la décision de neutralité face au conflit syrien prise par le gouvernement, où il a des ministres.

La candidature de Soleiman Frangié se heurte aussi à la prétention de son allié maronite, le général Michel Aoun, fondateur du Courant patriotique libre. Bien qu’âgé de 82 ans, ce dernier s’estime le plus légitime pour occuper le siège de la présidence. Le Hezbollah, avec lequel il a signé un pacte en 2006, continue d’ailleurs de le soutenir. Sans doute craint-il que Frangié une fois élu ne cède aux exigences des partis souverainistes. Aoun et Frangié sont désormais brouillés.

Finalement, tout le monde est désarçonné. On attend maintenant les résultats de l’arbitrage tenté par le cardinal Béchara Raï. Le chef de l’Eglise maronite semble favorable au compromis de Paris, car pour lui l’urgence est d’en finir avec la situation présente qu’il juge intenable.

 

Annie Laurent