Print Friendly, PDF & Email

Radio-Espérance, 8 avril 2015

 

Les chrétiens de France se souviennent-ils des liens historiques qui unissent leur nation à l’Eglise maronite et, plus largement, au Liban, berceau de cette communauté catholique de rite oriental ? Cette relation privilégiée est inscrite dans la mémoire du peuple maronite depuis sa rencontre avec le roi Louis IX durant la 7ème croisade, au XIIIème siècle.

Du côté maronite, la fidélité à cette amitié est constante. L’un des signes de cette fidélité est la messe aux intentions de notre pays que le chef de cette Eglise célèbre chaque année le Lundi de Pâques, en présence de l’ambassadeur de France. Lundi dernier donc, la tradition a été respectée. Le patriarche Béchara Raï a saisi cette occasion pour rappeler devant Patrice Paoli, notre représentant à Beyrouth, les fondements de cette relation multiséculaire et pour formuler quelques souhaits de nature politique à l’adresse du gouvernement français.

Dans son homélie, le cardinal Raï a placé les valeurs communes qui unissent son Eglise à la France sous le signe de la fête de la Résurrection. Il a réservé l’évocation du souvenir de Saint Louis à l’allocution qu’il a prononcée à l’issue de la messe, comme pour mettre la France d’aujourd’hui face à ses responsabilités. Voici un extrait de ses propos. Je le cite : « Jamais la France n’a cessé d’être politiquement, diplomatiquement, économiquement, culturellement et humainement, à l’écoute du pays du Cèdre ». A la suite de quoi le prélat a tenu à rendre hommage à tous les Français qui ont payé de leur vie cet engagement indéfectible.

Concernant la situation actuelle, le patriarche a insisté sur l’importance qu’il y a à préserver la formule de coexistence libanaise, alors qu’elle se trouve menacée par les conflits confessionnels et la barbarie terroriste qui dominent la région. La sauvegarde du Liban passe par le respect de la politique que son gouvernement a prise dès le début de la crise syrienne. Celle-ci consiste à ne s’aligner ni sur le régime de Bachar El-Assad ni sur les rebelles qui veulent en finir avec lui. A Beyrouth, on qualifie cette politique de « distanciation » pour éviter le mot « neutralité » qui est mal vu par certains milieux musulmans. Le patriarche Raï a demandé à la France de soutenir cette option délicate et d’aider le Liban à renforcer ses forces de sécurité, mais aussi à gérer « humainement et dignement le problème des réfugiés syriens et irakiens » dont le nombre atteint un million et demi de personnes. Cela constitue un fardeau bien lourd pour un pays de 4 millions d’habitants à la configuration religieuse si fragile.

Dans un entretien publié par Le Figaro la veille de Pâques, le chef de l’Eglise maronite avait interpellé plus vivement les dirigeants français. Faisant implicitement allusion aux erreurs commises par notre diplomatie dans la crise syrienne, erreurs qui ont consisté à exiger le départ du président Assad comme préalable à toute solution, il a déclaré, je le cite : « J’attends de la France qu’elle mette toutes ses capacités pour terminer la guerre en Syrie. Vous dites que ce régime est mauvais, mais n’allez pas du mauvais au pire en donnant le pouvoir à des groupes fondamentalistes. Ce sera l’instabilité et l’anarchie. En Irak, on a voulu de la même manière la démocratie, mais sans aucun résultat. Qui paie aujourd’hui ? Les chrétiens. Nous avons perdu, au nom de la démocratie qui n’arrive pas, un million de chrétiens sur un million et demi en Irak. Et une guerre civile sans fin. Ce scénario était prévisible pour la Syrie ».

Enfin, dans le discours prononcé à l’issue de la messe du Lundi de Pâques, le patriarche Raï a souligné le lien qui existe entre la modernisation des sociétés orientales et une solution de justice au problème palestinien. Pour lui, c’est principalement sur le conflit israélo-palestinien que sont venus se nourrir tous les intégrismes violents avec la haine vis-à-vis de l’Occident. Et de conclure par ces mots : « Le moment est grave, parce que la Syrie, l’Irak et le Yémen ressemblent beaucoup aux Balkans du début du XXème siècle : nationalisme, extrémisme religieux et luttes d’influence entre les puissances font un mélange très dangereux. L’histoire nous adresse un avertissement très clair pour le Proche-Orient ».

Attendu à Paris fin avril, le patriarche redira ses convictions. Mais la diplomatie française aura-t-elle le courage de revenir sur ses positions ? Il lui faudrait pour cela beaucoup d’humilité.

 

Annie Laurent