Radio-Espérance, 21 janvier 2015 en écoute ICI
Au Liban, l’année qui vient de commencer laisse un pays sans président depuis le 25 mai 2014, date de la fin du mandat de l’ancien chef de l’Etat, Michel Sleiman. Cette situation est préoccupante, compte tenu de la grave déstabilisation que connaît le Proche-Orient et de ses répercussions au pays du Cèdre, où des djihadistes venus de Syrie s’infiltrent aisément et y commettent des attentats.
Selon la Constitution, c’est au sein de la communauté maronite que doit être choisi le président de la République qui est élu par le Parlement. Au Liban, il n’y a pas de campagne électorale pour la présidentielle ; le choix d’un nouveau chef de l’Etat relève donc d’un consensus entre députés. Mais pour que le vote soit valide, un quorum des deux tiers de la Chambre est exigé. Et c’est justement ce quorum qui, jusqu’à présent, a fait défaut à chaque convocation du Parlement pour cette élection.
Ce blocage a pour cause principale la mésentente entre les deux principaux représentants chrétiens, Samir Geagea, chef du parti des Forces Libanaises, et Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre, tous deux aspirant à la magistrature suprême. Mais la solution à cette vacance du pouvoir dépend aussi de l’état des relations entre les musulmans sunnites et chiites dans tout le Proche-Orient, y compris au Liban bien sûr. Samir Geagea est soutenu officiellement par le Courant du Futur, présidé par une personnalité sunnite d’envergure, Saad Hariri, proche de l’Arabie-Séoudite. Quant à Michel Aoun, il bénéficie de l’appui du parti chiite Hezbollah, allié de l’Iran, avec lequel il a signé un pacte en 2006.
Cependant, depuis quelque temps, on observe une volonté de dialogue entre les deux principales branches de l’islam au niveau régional. Ainsi, des contacts ont lieu entre l’Arabie-Séoudite et l’Iran, ceci en vue d’apaiser les tensions qui ont pris un tour dramatique ces derniers mois avec les victoires des djihadistes en Irak. Cette reprise du dialogue entre musulmans pourrait faciliter un déblocage permettant enfin l’élection présidentielle au Liban. Le Courant du Futur et le Hezbollah affirment qu’ils accepteront tout candidat choisi par les principaux partis chrétiens. Encore faut-il que ces derniers se mettent d’accord sur un nom et sur une vision commune du rôle des chrétiens dans les institutions, rôle qui s’affaiblit à cause de leurs divisions.
A cet égard, une perspective positive semble se profiler à l’horizon. Au cours d’un voyage en Arabie-Séoudite, en décembre dernier, Samir Geagea aurait été incité par ses hôtes à se rapprocher de Michel Aoun. Le Vatican et le patriarche maronite encouragent cette initiative. Selon les journaux libanais, une rencontre entre les deux dirigeants serait donc en cours de préparation. Chacun d’eux a confié à l’un de ses proches les démarches préliminaires dans ce but et l’on dit que les discussions se déroulent sérieusement en vue d’aplanir leurs divergences dont l’essentiel concerne la stratégie à adopter dans le contexte local et régional.
Samir Geagea conteste l’idée selon laquelle l’avenir des chrétiens au Proche-Orient reposerait sur une logique minoritaire. Il dénonce les campagnes de victimisation qui dépeignent les chrétiens comme des minorités faibles et en voie d’extinction, ce qui les pousse à n’envisager leur survie que dans le giron de régimes autoritaires, ceux-ci étant d’ailleurs rejetés par beaucoup de musulmans. Pour le chef des Forces Libanaises, l’intégrisme islamique n’est pas la seule option pour l’avenir et il appartient donc aux chrétiens d’assumer leur vocation en tant que citoyens de leurs pays respectifs afin d’y promouvoir les principes fondés sur la dignité de l’homme et les libertés. On peut lire cette vision dans un ouvrage sur Geagea écrit par une Libanaise, Nada Anid. Ce livre très intéressant, intitulé « L’homme de Cèdre », est publié par les éditions Calmann-Lévy. Le dirigeant maronite s’oppose au projet de son rival, Michel Aoun, pour qui seule une alliance des minorités de toutes confessions – maronites et autres catholiques, orthodoxes, chiites, druzes, alaouites, etc. – sera de nature à contrer l’islam radical. Geagea considère cette option comme néfaste car elle aurait pour effet d’accroître la marginalisation et la vulnérabilité des chrétiens.
A Beyrouth, l’heure est donc à l’espoir d’une entente réelle entre les deux dirigeants maronites. Si les musulmans se rencontrent, il n’y a aucune raison pour que les chrétiens n’en fassent pas autant, dit-on dans la capitale libanaise.
Annie Laurent