Rémi Brague, Où va l’histoire ? Entretiens avec Giulio Brotti, Salvator, 2016, 182 p., 20 €.
Dans cette conversation érudite avec le journaliste Giulio Brotti, philosophe comme lui, Rémi Brague répond aux questions cruciales que le monde occidental contemporain, désenchanté, se pose sur le sens de l’existence, sur la vocation et l’avenir de l’homme au regard de la modernité et des progrès de la science, sur ce qu’il est convenu d’appeler les « valeurs », mais aussi sur la coexistence des religions.
Ses réflexions, d’une rare lucidité, résument l’essentiel des thèmes déjà abordés dans l’œuvre magistrale qu’il a déjà produite. Considérant l’importance de la connaissance de l’histoire, Brague déplore le mépris actuel pour cette discipline, qui touche même les élites dirigeantes. Pour lui, il y a danger car « l’ignorance de l’histoire fomente inévitablement des reconstructions du passé soit fantaisistes, soit – et c’est bien pire – biaisées par une idéologie ».
Ce thème lui offre l’occasion de rappeler le lien étroit qui existe entre le christianisme et l’histoire, ce qui n’est pas le cas de l’islam, lequel se veut anhistorique, avec son Coran réputé « incréé », autrement dit sa révélation conçue comme « inlibration » alors que la Révélation chrétienne repose sur l’Incarnation. Sceptique sur le bienfondé du dialogue islamo-chrétien parce qu’il s’accroche à de fausses similitudes, notre philosophe réfute l’idée aujourd’hui imposée selon laquelle l’Europe devrait tout son savoir à l’islam.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la perte de confiance de l’homme en lui-même, conséquence de la crise de la foi, du refus de la vérité, de la peur de l’engagement et du don, ainsi que du dévoiement du sens de la liberté, comprise aujourd’hui comme « l’abandon à la plus totale servitude ». Après une « société sans pères », va-t-on vers une « société sans mères » ? Cette interrogation est au cœur de la déconstruction de l’homme par lui-même, processus terrifiant que Rémi Brague ne peut qu’entrevoir en le déplorant évidemment.
Annie Laurent
Article paru dans La Nef, n° 283, juillet-août 2016.
