Article paru dans La Nef, n° 339 – Septembre 2021
Michel Younès, Les approches chrétiennes de l’islam. Tensions, déplacements, enjeux, éd. du Cerf, coll. Patrimoines, 2020, 336 p., 29 €.
Comment comprendre, recevoir et qualifier l’islam, cette religion qui, apparue sept siècles après l’événement de Jésus-Christ, prétend être l’ultime révélation de Dieu aux hommes ? Ces interrogations, les chrétiens d’Orient et d’Occident, ceux d’hier et d’aujourd’hui, n’ont jamais cessé de les poser. Et leurs positions ont beaucoup varié au fil de l’histoire. Le magistère de l’Église n’est cependant pas parvenu à élaborer une doctrine définitive et précise à ce sujet. Même le concile Vatican II s’est refusé à clarifier l’islam du point de vue théologique : il n’évoque ni le Coran ni Mahomet mais seulement « les musulmans » ; sans exclure ces derniers du dessein de salut de Dieu, il se garde toutefois d’inscrire cette religion dans la perspective biblique.
Théologien d’origine libanaise, Michel Younès, qui enseigne à l’Université catholique de Lyon, dispose à l’évidence des qualités nécessaires pour aborder un thème aussi complexe et délicat que celui-ci, comme en témoigne son ouvrage remarquablement structuré dans sa forme et érudit dans son contenu. Sa démarche consiste à examiner les principes qui constituent l’islam, en montrant leurs similitudes, notamment dans les termes, et leurs incompatibilités avec les équivalences chrétiennes (origines, Livres sacrés, prophétisme, monothéisme, éléments du culte, anthropologie, communauté). L’auteur explique par exemple comment, pour un musulman, croire en l’infaillibilité de Mahomet est tout aussi fondamental que croire en Dieu, ce qui explique la condamnation pour blasphème dans les deux cas ; ou encore comment « le refus de toute immanence de Dieu transforme la transcendance divine en une redoutable divinité », ce qui revient à privilégier la soumission à Dieu plutôt que la communion avec Lui. L’examen du processus ayant conduit à la confusion entre islam et arabité permet de montrer la différence avec le christianisme dans le rapport à la culture.
Pour chacun des thèmes traités, Younès présente les regards portés par de nombreux auteurs chrétiens de toutes les époques, cultures et tendances, y compris les plus critiques, mais aussi les écrits d’intellectuels musulmans insatisfaits de ce que leur transmet la tradition. A travers leurs travaux, il décèle des ébauches de « via media » qu’il définit ainsi : « Au fond, la voie médiane cherche à sortir d’une alternative qu’elle considère fausse et néfaste : l’exclusivisme qui rejette l’autre, conduisant très souvent au mépris, et le relativisme qui nivelle les différences, ne rendant plus compte des singularités ». Enfin, scrutant les aléas et équivoques du dialogue islamo-chrétien, l’auteur estime que son efficacité repose sur un nouvel équilibre associant « l’enrichissement mutuel » avec « une approche critique et exigeante ». Telles sont, selon lui, les conditions de sa fécondité.
Annie Laurent