Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 345 p., 2015, 21, 50 €.

Bien qu’ayant renoncé à tout mandat électif, Philippe de Villiers ne déserte pas le champ de la politique. Avec la liberté qui l’a toujours distingué au sein de la classe dirigeante, une liberté dont il a payé le prix fort, et sans doute stimulé par l’extraordinaire succès du Puy du Fou, il exploite ici ses souvenirs et son expérience pour servir la France d’une autre manière. En témoin privilégié, il écrit donc pour ses compatriotes angoissés qui se découvrent de plus en plus abandonnés par un système politique infidèle à sa mission de service du bien commun.

Son livre passe en revue les maux dont souffrent la France et l’Europe. Ils sont légion, affectant la politique, l’économie, l’art et la culture, les traditions, la religion, le respect de la vie, les relations internationales, etc. Dans son habituel style bien frappé, émaillé de trouvailles (cf. « l’eurobéatitude »), nourri d’informations parfois peu connues (par exemple, le rôle des groupes de pression financiers qui interviennent dans les institutions européennes ou encore l’avertissement du roi du Maroc, Hassan II, à une France qui renie sa vocation) mais aussi de constats désolants (désacralisation de la liturgie, scandale de l’avortement, ruine de la paysannerie, urbanisation agressive, désincarnation des centres de décision), Philippe de Villiers raconte les manœuvres, lâchetés, mensonges et trahisons de nos élites occupées depuis quarante ans à déconstruire la nation, à la pousser à se haïr et à la soumettre à une Europe américanisée.

Il décrit le renoncement aux attributs de souveraineté, l’éradication de la langue, les amnésies historiques, la domestication des consciences et les déracinements, ainsi que les projets terrifiants concernant l’homme de demain, mondialisé, artificiel et immortel (le transhumanisme). « On veut tuer la mort », écrit-il, sans s’étonner alors des progrès de l’islam en Europe, sujet auquel il consacre un chapitre très charpenté. Sur l’islamisation, son constat est rude mais si vrai : « Face à face, il y a des âmes pleines et des âmes vides (…). Le fruit est mûr ».

Une grande figure de résistant émerge de cet ouvrage, celle d’Alexandre Soljenitsyne, que l’auteur a eu le privilège d’accueillir dans sa chère Vendée et de visiter en Russie, nation avec laquelle il invite à coopérer pour reconstruire une Europe libre et digne de sa vocation chrétienne. Villiers rapporte la prédiction de son ami entrevoyant chez nous l’apparition de « petites lucioles » qui « briseront la spirale du déclin du courage ».

Malgré le bilan accablant que dresse Philippe de Villiers avec une lucidité toute crue, démarche qu’il convient de saluer, son essai n’est pas un acte de désespoir. Au contraire, il veut préparer la relève dont il observe les prémisses encourageantes dans une France qui, sans peut-être en prendre encore conscience, refuse de se rendre.

Annie Laurent