Suite aux assassinats de sept personnes, commis à Toulouse et à Montauban les 11, 15 et 19 mars par Mohamed Merah, jeune Français d’origine algérienne et militant salafiste, et comme à chaque affaire de ce genre, des appels à éviter « les amalgames » entre l’islam et la violence ont été lancés.
1/ Quelques déclarations de responsables musulmans en France
– Mohamed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) : « Cet individu [M. Merah] ne peut en aucun cas justifier ses actes par la religion musulmane ».
– Chems-Eddine Hafiz, vice-président du CFCM : « Le musulman est celui qui pratique une foi qui suit les textes sacrés du Coran. A ce titre-là, lorsque quelqu’un effectue la moindre violence au nom de l’islam, je considère que ce n’est pas un musulman qui agit de la sorte : c’est un criminel, un assassin, un terroriste ».
– Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris : « Nous ne voulons pas qu’il y ait d’amalgame entre la communauté musulmane et les faits qui viennent de se dérouler, qui n’ont rien à voir avec l’islam. Nous demandons donc à la communauté nationale de se garder de tout mauvais jugement envers notre religion ».
– Ahmed Jaballah, président de l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF) : « L’islam est une religion d’amour et de paix », déclaration qu’il appuie sur le Coran : « Celui qui a tué un homme qui lui-même n’a pas tué, ou qui n’a pas commis de violence sur la terre, est considéré comme s’il avait tué tous les hommes » (5, 32).
2/ On lit aussi dans le Coran…
Sans mettre en cause l’engagement personnel de ces responsables religieux en faveur d’un islam paisible, il faut observer que les terroristes se réfèrent aussi au Coran pour justifier le rejet de l’autre et le recours à la violence.
- « O croyants ! Ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens. Ils sont amis entre eux. Celui qui les prend pour amis finit par être des leurs » (5, 51).
- « Que les incrédules n’espèrent pas l’emporter sur vous ! Ils sont incapables de vous affaiblir. Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez, de forces et de cavaleries, afin d’effrayer l’ennemi de Dieu et le vôtre » (8, 59-60).
- « Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes (1), partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. Mais s’ils se repentent, s’ils s’acquittent de la prière, s’ils font l’aumône [donc s’ils appliquent les rites de l’islam, ndlr], laissez-les libres – Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux » (9, 5 dit « verset du sabre »).
- « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre [juifs et chrétiens ou « Nazaréens »], ne pratiquent pas la vraie Religion [l’islam]. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut après s’être humiliés » (9, 29).
Selon Ibn Hazm (Xè-XIè siècles) et Ibn Arabi (XIIè-XIIIè siècles), commentateurs classiques et autorisés du Coran, ces versets abrogent le 5, 32, cité par Ahmed Jaballah (cf. supra). Directeur d’un Centre de formation doctrinale islamique (l’Institut Européen des Sciences humaines, Saint-Denis) ; Ahmed Jaballah peut-il ignorer cela ?
Dans le Coran, les verbes « tuer » et « combattre » (quelqu’un) se trouvent respectivement soixante-douze fois et cinquante et une fois, dont dix et douze à l’impératif, ce qui sous-entend qu’il s’agit d’injonctions émises par Dieu, puisque le Livre sacré des musulmans est tout entier, pour eux, dictée divine sans collaboration humaine.
3/ Que faire ?
On ne peut plus se satisfaire des affirmations rassurantes des dignitaires musulmans, répétées à chaque drame ; il ne suffit plus qu’ils se désolidarisent en leur nom personnel des actes criminels commis par certains de leurs coreligionnaires ; les élites religieuses et politiques non musulmanes ne peuvent plus feindre d’ignorer le double visage du Coran (religieux et politique sans distinction). Continuer d’entretenir ces dénis de réalité et de fuir ces questions ne peut que conduire à des affrontements destructeurs de la paix civile.
Une révision des positions est donc nécessaire de la part de tous les responsables concernés.
1. Les représentants officiels de l’Islam doivent s’interroger sur le rapport des musulmans à leurs Écritures sacrées et se livrer à un examen honnête de celles-ci en vue de susciter une interprétation du Coran compatible avec les impératifs de la coexistence pacifique. Cette démarche, qui implique la remise en cause de l’intemporalité et de l’intangibilité du Coran, est-elle possible en l’absence de Magistère unique et authentique ? (2). C’est en tout cas le seul moyen de rendre injustifiés les amalgames et de protéger les musulmans de toute stigmatisation, en particulier ceux qui souffrent, eux aussi, des agissements islamistes. Un philosophe français musulman, Abdennour Bidar, ouvre la voie à cette démarche : « Quelle que soit la distance considérable et infranchissable qui sépare ce tueur fou de la masse des musulmans, pacifiques et tolérants, n’y a-t-il pas tout de même dans ce geste l’expression extrême d’une maladie de l’islam lui-même ? » (Le Monde, 24 mars 2012) (3).
2. Les Etats européens doivent exiger des représentants officiels du culte islamique des engagements clairs pour le respect de l’ordre public, seul critère qui limite légitimement la liberté religieuse (cf. la Déclaration Dignitatis humanae du concile Vatican II , n° 7).
Annie Laurent
N.B. L’enseignement chrétien
– « Tu ne commettras pas de meurtre » (5ème commandement, Ex 20, 13, rappelé par Jésus en Mt 5, 21-22).
– « Qui prend le glaive périra par le glaive » (Mt 26, 52).
– « Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs » (Mt 5, 44).
Des chrétiens peuvent certes haïr et, animés par la colère et la haine, tuer, mais ils agissent alors en tant que pécheurs et ils ne peuvent en aucun cas légitimer leurs actes par leurs Ecritures sacrées et par l’interprétation officielle ou commune qui en est faite dans leurs communautés.
(1) Les polythéistes sont ceux qui adorent plusieurs divinités et s’opposent au dogme coranique de l’unicité divine (Dieu unique et seulement Un). Par extension, ce terme s’applique aussi aux chrétiens, « associateurs », coupables, par leur foi en un Dieu trinitaire, d’associer deux divinités (Marie et Jésus ?) au Dieu unique (cf. p. ex. : Coran 4, 171 ; 5, 72-73 ; 9, 30-31 ; 13, 33 ; 39, 65-66, etc.).
(2) La Bible comporte aussi des passages justifiant la violence, mais, avec le Christ et son exemplarité normative, l’Eglise détient la clé d’une interprétation authentique de toutes les Ecritures, qui rend impossibles une compréhension et une application « littéralistes » de l’Ancien Testament.
(3) Cf. aussi ses livres : Un islam pour notre temps, Seuil, 2004 ; Self islam, Seuil, 2006 ; L’islam sans soumission, Albin Michel, 2008.