L’islamisme se manifeste selon deux types de méthodes distinctes qui peuvent être complémentaires : celle qui recourt aux voies politiques, sociales et religieuses ; celle qui utilise la violence et le terrorisme. On les retrouve dans l’islamisme sunnite et dans l’islamisme chiite.

L’ISLAMISME VERSION SUNNITE

 Les Frères musulmans

Le mouvement de référence de l’islamisme sunnite contemporain est la confrérie des Frères musulmans (FM), fondée en 1928 par un instituteur égyptien, Hassan El-Banna, en vue de résister à l’influence de l’Europe qui exerçait alors une réelle séduction sur certains intellectuels musulmans du Proche-Orient. El-Banna s’est appuyé sur les écrits de deux théoriciens.

  • Ibn Taymiyya (1263-1328). Jurisconsulte syrien qui prônait la théocratie islamique. Il publia de nombreuses fatwas (décrets religieux), dont l’une, très violente, contre les alaouites.
  •  Abou Ala Mawdoudi (1903-1989). Indo-pakistanais, auteur d’une Théorie de l’Etat islamique où il expose la supériorité de la théocratie musulmane sur tout modèle occidental. Ses idées ont été reprises en partie dans un livre, Pour comprendre l’Islam, traduit dans de nombreuses langues (dont le français) et très largement diffusé encore aujourd’hui.

– Sayyed Qotb (1906-1966) rejoignit les FM par la suite. Egyptien, auteur de A l’ombre du Coran, dans lequel il milite pour l’islamisation intégrale de l’Etat et de la société, dans son mode de gouvernement monolithique, sa législation civile et pénale, sa mise sous tutelle des femmes, son statut infériorisant des juifs et des chrétiens. Il dénie à l’Islam chiite toute légitimité et appelle au djihad contre toute souveraineté qui ne vient pas de Dieu.

Le programme des FM consiste à rétablir la religion comme un système totalisant, reflet de l’unicité (tawhîd) de Dieu. Leur slogan est : « Dieu est notre but ; le Prophète notre modèle ; le Coran est notre Loi ; le djihad est notre vie ; le martyre est notre souhait ».

L’idéologie des FM s’est répandue dans presque tout le monde islamique sous des formations aux noms variés, tels que : Front islamique du salut en Algérie, Hamas (Enthousiasme) en Palestine, Mouvement de l’Unification islamique au Liban, Parti de la Justice et du Développement au Maroc, Ennahda (Renaissance) en Tunisie, Parti pour la Justice et le Développement en Turquie, Milli Görüs (Voie nationale religieuse) chez les Turcs d’Europe, Union des Organisations islamiques de France (UOIF), etc.

Longtemps hors-la-loi dans leurs pays respectifs, sauf en Jordanie, au Koweït et au Yémen, les FM ou affiliés sont parvenus récemment au pouvoir par la voie d’élections régulières dans plusieurs pays : Turquie (2002), Egypte, Maroc et Tunisie (2012). Ils s’en sont emparés par la force à Gaza (2007).

 Le salafisme

Ce courant se réfère à l’exemple des « pieux ancêtres » (salaf el-salih), les musulmans des trois premières générations, considérés comme les plus fidèles à l’enseignement et aux mœurs de Mahomet et de ses compagnons. Le programme des salafistes consiste à imiter ces derniers en tout, y compris leur apparence extérieure (p. ex. barbe non taillée, tunique à mi-mollets), à se conformer à la lettre au Coran et à la Sunna (Tradition mahométane), à refuser toute innovation et à purger la pratique de l’islam de tout ce qui a pu lui être ajouté (musique, modernisation de la loi, sécularisation des mœurs, fréquentation des non-musulmans, etc.).

Les salafistes sont présents dans tout l’espace islamique sous des noms variés : p. ex. Takfir wal Hijra (Anathème et Exil) au Liban et en Egypte, Ansar el-Islam (Partisans de l’Islam) en Irak. A partir de 1994, sous le nom de Talibans (étudiants en religion), des salafistes sont parvenus à imposer leur ordre social en Afghanistan.

Traditionnellement, les salafistes ne militent dans aucun parti légal. Cependant, en Egypte, après la révolution de 2011, ils ont créé El-Nour (La Lumière) pour avoir des élus au parlement.

Doctrine officielle du royaume d’Arabie-Séoudite, le wahabisme est une forme de salafisme. Il résulte d’une entente conclue en 1744 entre Mohamed Abdelwahab, auteur d’un Traité de l’Unicité divine (inspiré des thèses d’Ibn Taymiyya), et Mohamed Ibn Séoud, fondateur de la dynastie qui règne depuis lors dans ce pays. Le wahabisme se caractérise par une application littérale du Coran, qui fait office de Constitution, et de la Sunna.

La Djemaa el-Tabligh (l’Association pour la Prédication)

Ce mouvement missionnaire et apolitique a été fondé en Inde dans les années 1920. Ses membres, actifs auprès des musulmans du monde entier, incitent ces derniers à revenir à une pratique traditionnelle de l’Islam. Ils sont présents en France sous le nom de Foi et Pratique.

 Le djihadisme

Ce mot désigne une nébuleuse de mouvements islamistes adeptes de la violence sous toutes ses formes, donc aussi le terrorisme. Ils portent souvent le nom de Djihad islamique.

L’un des plus connus est El-Qaïda (la Base) fondé par le Séoudien Oussama Ben Laden, considéré comme le cerveau des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. El-Qaïda a fait des émules dans de nombreux pays, sous des noms variés : p. ex.

  • Djebhet En-Nosra (Front des Partisans) en Syrie,
  • Groupes islamiques armés en Algérie,
  • Boko Haram (Livre illicite) en Afrique sub-saharienne,
  • El-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en Afrique du Nord.
  • Le groupe Abou Sayyaf aux Philippines relève du djihadisme.

On trouve aussi des djihadistes parmi les Frères musulmans et les autres partis islamistes classiques.

Ces militants ont trois cibles principales :

  • les dirigeants musulmans accusés de laxisme dans l’application de la loi islamique et de compromission avec l’Occident (l’ancien président égyptien, Anouar El-Sadate, a été assassiné par des FM en 1981 pour avoir signé la paix avec Israël) ;
  • les musulmans non sunnites (chiites en Irak ou au Pakistan, alaouites en Syrie) ;
  • l’Occident « croisé » (cf. les attentats en Occident et en Afrique, les meurtres et enlèvements de chrétiens au Pakistan, au Nigéria et dans le monde arabe).

 L’ISLAMISME VERSION CHIITE

Le premier parti islamiste chiite contemporain a été fondé en Irak en 1957 sous le nom de Dawa el-Islamiya (l’Appel à l’Islam) par l’ayatollah Mohamed El-Sadr, pour lutter contre l’influence du communisme et la sécularisation de la société.

La révolution iranienne déclenchée par l’imam Khomeyni en 1978 a entraîné la mise en place à Téhéran d’un régime fondé sur l’application stricte de l’ordre islamique, dont le respect est assuré par les Pasdarans (Gardiens de la Révolution). L’actuel président de la République, Mahmoud Ahmadinejad, en est issu.

Afin d’exporter la révolution, l’Iran s’est appuyé sur les chiites du monde arabe où il a suscité l’éclosion de diverses formations politiques.

La plus importante est le Hezbollah (Parti de Dieu), créé au Liban en 1982, actuellement dirigé par Hassan Nasrallah. Ayant arraché sa reconnaissance légale (grâce au soutien de l’Iran et de la Syrie), il est représenté au parlement et au gouvernement. Il s’est aussi doté d’institutions sociales, culturelles et éducatives, ainsi que d’une puissante branche militaire, la Résistance islamique. On lui attribue des actes terroristes d’envergure, notamment au Liban contre des Occidentaux et des personnalités sunnites.

 INFLUENCES CROISÉES

Bien qu’ayant été historiquement conceptualisées par des sunnites, les doctrines islamistes ont servi de support à Khomeyni pour édifier sa république islamique, par ailleurs organisée selon les règles du cléricalisme propre au chiisme.

Ses « succès », notamment contre l’Occident, ont eu un effet d’émulation dans certains milieux sunnites sensibles au soutien accordé par l’Iran au Hamas palestinien hostile à la reconnaissance d’Israël. Cet entrisme, destiné notamment à donner du crédit à un Islam chiite contesté depuis le VIIème siècle par son rival sunnite, n’empêche cependant pas les islamistes sunnites et chiites de se haïr et de se livrer une guerre impitoyable.

Annie Laurent


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