Le 2 décembre 2015
Les attentats qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre 2015 ont profondément touché les chrétiens du Proche-Orient sans pour autant les étonner. Depuis longtemps, ils nous prévenaient que l’Europe n’était pas à l’abri des malheurs dont ils font eux-mêmes la douloureuse expérience. Mais nous n’avons pas su ou voulu les écouter. Dans la Petite Feuille verte n° 34-35 que vous allez lire, vous trouverez certaines réactions de ces chrétiens orientaux ainsi que leurs conseils et les conclusions qu’il conviendrait d’en tirer pour l’avenir de la France.
PETITE FEUILLE VERTE N° 34-35
PFV n° 34 – CLAIRVOYANCE ET EXPÉRIENCE DES CHRÉTIENS D’ORIENT
En août 2014, après avoir été contraint de quitter son diocèse conquis par l’Etat islamique, l’archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr Emile Nona, adressait aux chrétiens du monde entier une déclaration prophétique :
Nos souffrances d’aujourd’hui sont un prélude aux vôtres, chrétiens européens et occidentaux qui souffrirez aussi dans un proche avenir ».
Et il invitait les Etats occidentaux à prendre des mesures « fortes et courageuses ». Comme en écho, une Syrienne réfugiée en France confiait au lendemain des attentats : « La France a pris en son sein des gens prêts à la mettre à genoux. J’ai vu en France des barbus que je n’avais jamais vu dans ma vie en Syrie, avant la guerre ».
Les Orientaux chrétiens nous invitaient à ouvrir les yeux sur des réalités propres à l’islam, réalités que nous ne voulions pas voir.
Le cardinal Béchara Raï, patriarche des maronites, peu avant les attentats :
Les musulmans considèrent les chrétiens comme faibles et ils croient que, parce qu’ils n’ont pas d’enfants et pratiquent à peine leur foi, l’islam les vaincra facilement. Malheureusement, les musulmans prennent leur foi plus au sérieux que la plupart des chrétiens, et ils gagnent du terrain à cause de cela ».
Critiquant la politique des Européens dans la crise migratoire, il disait :
Il est inutile pour l’Europe de se quereller sur la question de l’accueil des réfugiés, sans traiter la cause fondamentale de l’émigration du Moyen-Orient qui est un conflit armé. » (Entretien publié par l’hebdomadaire italien Famiglia cristiana daté du 5 novembre 2015).
Mgr Issam Darwich, archevêque melkite de Zahlé (Liban) :
Nous avons toujours su que Daech est un danger pour le monde entier. Mais l’Europe ne l’a pas pris au sérieux (…). Les fondamentalistes ne peuvent pas supporter que des musulmans soient gouvernés par une majorité chrétienne, comme en France. Ils croient que ce devrait être le contraire, que les musulmans doivent dominer le monde entier (…). L’Europe doit modifier sa politique concernant le conflit en Syrie et ouvrir enfin les yeux (…). Il est temps de lutter contre Daech conjointement avec le gouvernement syrien. Ce n’est qu’après que nous pourrons voir comment les choses vont évoluer en Syrie ».
Lui aussi critique la politique européenne en matière d’immigration :
L’Europe doit examiner au plus près ceux qu’elle laisse entrer. C’est facile pour Daech de mêler ses combattants aux réfugiés. » (Entretien à l’Aide à l’Eglise en Détresse, AED, 20 novembre 2015).
Mgr Georges Abou Khazen, vicaire apostolique latin d’Alep :
Ici, depuis des années, nous subissons des massacres et nous vivons dans la terreur (…). Tout cela a lieu dans l’indifférence de la communauté internationale. Aujourd’hui, après les massacres de Paris, il faut trouver une unité forte et authentique pour lutter contre le terrorisme (…). La réponse politique à apporter consiste dans l’arrêt de tout appui à ces groupes, promoteurs de mort, qui se servent d’une idéologie religieuse comme d’un bouclier. » (Agence Fides, 14 novembre 2015).
Père Samir-Khalil Samir, jésuite égyptien :
La solution de facilité, très à la mode, consiste à dire que Daech n’a rien à voir avec l’islam. C’est le pire discours que je connaisse. […] Des dizaines de passages du Coran justifient la violence […]. Il faut distinguer islam et islamisme, mais l’islamiste n’est pas contre l’islam. […] Aujourd’hui,l’Occident est vu [par les musulmans], d’un point de vue religieux et moral, comme décadent. […] Ils disent : l’Occident est devenu athée, il faut donc le combattre ».
Le P. Samir déplore aussi la naïveté des Européens à l’égard de l’islam car cette attitude « entraîne des erreurs qui peuvent être graves ». Enfin, il déplore la compromission des dirigeants européens, prêts à sacrifier l’éthique pour le profit en vendant des armes à des pays comme l’Arabie-Séoudite ou Qatar : « On ne peut pas se contenter d’être l’ami de certaines puissances sous prétexte qu’on en tire un profit. » (Entretien à Famille chrétienne, n° 1975, 21-27 novembre 2015).
Père Pierre Madros, prêtre du patriarcat latin de Jérusalem :
Ces événements tragiques, inattendus et incompréhensibles chez beaucoup d’Occidentaux, fort prévisibles, (…) vont-ils réveiller la fille aînée de l’Eglise, afin qu’elle revienne à son premier amour ? Ou bien tout sera-t-il oublié, et noyé dans un “pas d’amalgame” expéditif et peu objectif ? N’est-ce pas là, pour la ville-lumière, l’heure du Malin et le royaume des ténèbres ? ».
Le Père Madros regrette aussi le dévoiement de la laïcité française :
L’Etat et l’école devraient promouvoir la foi, non la combattre. Nous venons de le constater à nos dépens et sur les corps des 130 victimes de la capitale française : interdire le catéchisme a créé un vide où facilement et sournoisement a pu s’infiltrer, au lieu de l’Evangile de la paix, de l’amour et de la vie, le prêche du djihad mortel ».
Il déplore enfin l’interdiction de « toute critique et de toute clairvoyance [de l’islam] sous prétexte de charité », rappelant toutefois :
En tant que chrétiens, disons-le une fois pour toutes, nous n’avons peur de personne et nous ne haïssons personne ! » (Homélie de la fête du Christ-Roi, 22 novembre 2015).
Des ecclésiastiques orientaux ont pour leur part mis l’accent sur la réponse spirituelle à apporter au drame de Paris.
Sa Béatitude Ignace III Younan, patriarche syro-catholique (Beyrouth) :
Nos deux pays, le Liban et la France, dans l’espace de 24 heures, ont été la cible des attaques barbares, qui visent clairement à miner les valeurs sur lesquelles ils ont été fondés : liberté, respect d’autrui et convivialité civile. Des valeurs dont nous ne devons absolument pas avoir honte ou nous flageller (…). Les loups sont dans le bercail ! Réveille-toi, France bien-aimée » (Message adressé à l’Oeuvre d’Orient, 17 novembre 2015).
> Sa Béatitude Grégoire III Laham, patriarche grec-catholique (Damas) :
Une fois de plus, nous voilà dans la spirale de cette violence aveugle qui semble aspirer notre monde, […] nous rappelant les paroles de saint Paul, “Car le mystère d’iniquité s’opère déjà…”, dans ce monde éloigné de Dieu alors que résonnent en nous celles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : “… si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même” (Luc 13, 3) ».
> Mgr Jean-Abdo Arbach, archevêque grec-catholique de Homs (Syrie), de passage en France dans le cadre du jumelage de son diocèse avec celui de Fréjus-Toulon :
Il faut détruire la menace terroriste bien entendu et en protéger la France. Mais il faut également que la France retrouve la foi, l’espérance et la charité. Il faut vivre du Dieu d’Amour, et nourrir les âmes errantes ! Soyez ce que vous êtes, des chrétiens, pour résister à la sauvagerie de ces fanatiques » (Propos rapportés par Charlotte d’Ornellas, SOS Chrétiens d’Orient, 15 novembre 2015).
Ces derniers mois, un livre intitulé Fatwas et caricatures (éditions Salvator), écrit par une Libanaise chrétienne, Lina Murr-Nehmé, aurait dû alerter les dirigeants et l’opinion sur la guerre impitoyable que l’islamisme mène à l’Occident. Historienne courageuse, l’auteur s’appuie sur des documents irréfutables, dont certains sont reproduits en fac-similés dans son ouvrage, pour montrer que la propension à la violence n’est pas accidentelle, mais connaturelle à l’islam qui l’a mise en œuvre dès l’origine, sous Mahomet et les premiers califes. Les musulmans l’ont assumée en lui donnant une caution divine. L’action de Daech et des autres mouvements islamistes n’est donc que l’actualisation de ce programme. Fatwas et caricatures a été écrit pour réveiller les consciences européennes.
PFV n° 35 – DES LEÇONS À TIRER ET DES RÉVISIONS À OPÉRER
Toutes ces prises de position suggèrent les révisions que la France doit opérer pour opposer un front de fermeté au mépris de certains musulmans et aux agressions des djihadistes. Voici un petit vademecum avec quelques pistes de réflexion et d’action éclairées par ce que nous disent les chrétiens d’Orient.
1°/ Une approche lucide et réaliste
Les élites françaises (dirigeants politiques, élus locaux, intellectuels, journalistes, ecclésiastiques) doivent porter un regard lucide et correct sur l’Islam dans toutes ses dimensions (religieuse, anthropologique, sociale, politique), et entretenir avec les musulmans un rapport de vérité. Car il n’est pas indifférent d’être citoyen selon que l’on est musulman ou non, compte tenu de la manière dont l’Islam envisage l’organisation de l’État et de la société, ainsi que le statut de la personne et ses relations avec les non-musulmans.
– Il ne faut pas faire semblant de croire que l’Islam est une religion comme les autres et qu’il n’est qu’une religion. Il n’appartient pas aux non-musulmans de dire quel est le véritable Islam, ce qui implique d’éviter des déclarations telles que : « L’Islam est une religion de paix, d’amour et de tolérance », « Daech pratique un Islam dévoyé », etc.
– Il faut éviter le déni de certaines réalités gênantes dans l’Islam alors que l’actualité les met en évidence. Ce mensonge conduit les populations européennes non musulmanes à la méfiance et à la peur, voire à l’agressivité envers les musulmans, ce qui risque d’engendrer un cercle vicieux de violences. Quant aux accusations d’« islamophobie », elles sont un piège dans lequel il faut éviter de tomber, sous peine de se priver de la liberté de critiquer les aspects dérangeants, voire inacceptables de l’Islam, comme l’absence de liberté religieuse ou le traitement de la femme.
– Il faut éviter toute attitude pacifiste ou fausse dans les rapports de la France (et de l’Europe) avec les États musulmans. Par exemple, nier que l’on a des ennemis ou refuser de les nommer ; pratiquer une diplomatie à géométrie variable : on combat certains régimes sous prétexte de servir la démocratie (cf. la Libye et la Syrie) en même temps que l’on conclut des alliances avec des régimes indéfendables (cf. les États de la péninsule Arabique) ou que l’on cède au chantage d’autres pays comme la Turquie. Le mensonge est facteur de guerre et non de paix. Le monde musulman, qui traverse une crise très grave, a besoin de se sentir respecté par l’Occident pour guérir du ressentiment qui l’anime.
2°/ Des dispositions à adopter
La France doit prendre acte des effets négatifs de l’idéologie du multiculturalisme et y renoncer tout en s’efforçant d’interrompre le processus en cours de confessionnalisation des musulmans établis sur son sol.
– Il faut concevoir l’accueil et le traitement des musulmans, qu’ils soient immigrés ou nationaux, en tant que personnes et non comme membres d’une communauté aux traditions et mœurs incompatibles avec celles qui fondent la civilisation française. Ceci pour favoriser leur assimilation dans le droit fil de la tradition française, qui concerne précisément les personnes individuelles et non les communautés.
– Il ne faut pas céder aux revendications communautaristes au nom de la tolérance ou du respect des cultures. Cela relève d’une générosité mal éclairée. En se multipliant dans tous les secteurs de la vie, l’acceptation de ces revendications par les pouvoirs publics entraîne forcément une rupture du lien social et nuit à la cohésion nationale.
– Il faut exiger des citoyens musulmans l’engagement à respecter pour eux-mêmes et pour autrui le droit et les valeurs français, tels que la liberté religieuse (y compris de conscience, donc le droit de changer de religion) ou l’égalité en dignité de l’homme et de la femme. Mais pour cela, il est essentiel de refonder une société vertueuse, digne d’être enviée et imitée, par exemple par une politique favorable à la famille.
– La France doit reformuler le contenu de la laïcité. La neutralité de l’État en matière religieuse ne signifie pas la neutralité de la société dans ce domaine. La laïcité ne doit pas être une idéologie hostile aux religions.
La saine laïcité signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux » (Benoît XVI, exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, 12 septembre 2012).
– Il est nécessaire d’assumer l’histoire de la France avec fierté et de remettre à l’honneur l’héritage culturel et spirituel de la patrie, notamment au sein de l’enseignement public, au lieu d’entretenir le dénigrement systématique. Les dirigeants doivent assumer les racines chrétiennes de la civilisation française qui ont contribué à son rayonnement dans le monde.
– La France doit réviser sa politique étrangère, en particulier envers le Proche-Orient, pour tenir compte des réalités locales, sans chercher à imposer à d’autres pays ses propres critères d’organisation sociale et politique ; elle doit renoncer à certaines alliances financièrement avantageuses mais immorales, cesser de manipuler le monde arabe pour ses propres intérêts sans chercher à résoudre honnêtement la question palestinienne.
– Enfin, il faut considérer le combat contre Daech dans sa dimension spirituelle comme condition essentielle à la victoire temporelle.
C’est la figure de l’amour qui domine dans la vie chrétienne, celle du frère, du fils, de celui qui dialogue, de celui qui compatit. Mais nous ne pouvons plus oublier celle du guerrier. Guerrier dont les armes sont d’abord spirituelles, mais guerrier quand même […]. Si nous ne retrouvons pas cette virilité guerrière, celle qui faisait chanter à saint Bernard la louange de la nouvelle milice, nous aurons perdu contre l’islamisme aussi bien spirituellement que matériellement » (Fabrice Hadjadj, Famille chrétienne, n° 1975, 21-27 novembre 2015).
Annie Laurent
Déléguée générale de Clarifier
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